Les lectures de Nicolas Dickner

Nicolas Dickner
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Photo: Cindy Boyce
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Les lectures

Les lectures de Nicolas Dickner

À chaque numéro, Nouveau Projet vous permet de plonger dans l’univers littéraire d’une personnalité publique. Cette fois-ci, nous vous proposons les lectures de l’écrivain québécois Nicolas Dickner.

Moby-Duck 

Donovan Hohn, Viking, 2011

Tout commence il y a quelques années, lorsque Donovan Hohn découvre l’histoire d’un déversement accidentel de jouets de bain en plastique survenu en 1992 dans le nord du Pacifique, et dont la très lente dérive aura fourni aux océanographes d’inestimables données sur les courants marins.

Hohn fouille le sujet et en tire un reportage pour Harper’s Magazine. Puis, au lieu de passer à autre chose, comme une personne normale l’aurait fait, le voilà qui se met lui-même à dériver et à déplier tous les aspects de la question: conteneurisation du transport, industrie manufacturière dans le Guangdong, imaginaire de l’enfance, chimie des plastiques... Peu à peu, cela prend la forme d’une quête postmoderne, à l’intersection de la science populaire, de la grande enquête et de la chronique insolite.

Il en résulte ce livre inclassable, qui donne une étonnante vue en coupe de notre époque. Incontournable pour qui s’intéresse à l’envers du quotidien.


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Idoru 

William Gibson, Viking, 1996

Bien qu’il ne s’agisse pas du roman le plus connu de William Gibson (dont on aura plutôt lu Neuromancer ou Pattern Recognition), Idoru semble posséder un statut particulier auprès de son lectorat. Il faut dire que le motif central du récit, le mariage d’un chanteur pop japonais avec une entité artificielle, répond à une fascination répandue (et apparemment inépuisable) pour les sous-cultures nippones.

Idoru illustre à merveille les techniques narratives de la science-fiction contemporaine—en revanche, j’ai l’impression que le lecteur est moins harponné par ces techniques que par le sens du détail. Gibson excelle en -effet dans l’art d’injecter d’infimes anomalies dans la trame de ses récits —gratte-ciels qui croissent de manière autonome, ordinateurs amérindiens, stalactites d’urine solidifiée—, et ce sont ces anomalies qui confèrent à Idoru la dose d’intemporalité un peu irréelle qui fait la bonne SF.

L’esthétique de l’internet y est, hélas! plus douloureusement datée; on veillera à la considérer dans une perspective historique.


La vie mode d'emploi 

Georges Perec, Hachette, 1978

Je viens de terminer ma troisième lecture de La vie mode d’emploi, ce qui, sans constituer un exploit, témoigne d’une certaine persistance. Ces quelque 600 pages en corps 8 bien tassé, émaillées de descriptions maniaques, ont la réputation d’être—si on me permet de jouer sur l’étymologie—épuisantes d’exhaustivité.

On a souvent parlé des nombreuses contraintes oulipiennes qui irriguent cette œuvre, mais on a plus rarement souligné le succès avec lequel Perec y accomplit son programme d’une littérature à la Alexandre Dumas: ces romans d’aventure que l’on dévore, couché à plat ventre sur son lit. Cet aspect devient plus frappant lorsque que le lecteur a bien intégré les structures narratives. Tel passage qui apparait de prime abord comme une liste ou une description fastidieuse se transforme alors en un mécanisme narratif chirurgical, redoutable. Le relecteur ne s’y trompe pas.

Certains livres, on le sait, engendrent des lecteurs sur mesure: House of Leaves, Ficciones, Moby Dick. Ainsi, lorsqu’on lit La vie mode d’emploi, on court le risque de se métamorphoser en lecteur perecquien. Cette ambition me semble louable. Heureux qui, à la fin de ses jours, pourra dire: je fus, pour Georges Perec, un lecteur consciencieux.


Né à Rivière-du-Loup en 1972, Nicolas Dickner a étudié les arts plastiques et la littérature avant d’exercer divers métiers. Sa carrière d’écrivain commence avec L’encyclopédie du petit cercle, en 2000, et prend de la vitesse avec le roman Nikolski, en 2005. Il est également l’auteur du roman Tarmac et de plus de 200 chroniques publiées dans l’hebdomadaire Voir. Il vit présentement à Montréal, où il prépare son troisième roman.

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