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Ou comment les travailleuses montréalaises du textile, en luttant pour de meilleures conditions de travail, ont aussi combattu les dérives réactionnaires des années 1930.
Progression fulgurante de l’extrême droite, chasse au communisme, antisémitisme au sein de l’élite intellectuelle: durant les années 1930, le Canada n’est pas à l’abri des idées totalitaires et racistes qui déferlent sur l’Occident. Mais plusieurs tentent de s’y opposer. Face à la collusion des nations et des patrons, des hommes et des femmes mettent en avant la solidarité horizontale de la lutte contre l’exploitation. C’est le cas des travailleuses du vêtement qui, en 1937, malgré leurs différences culturelles et religieuses, s’opposent à la volonté des patrons.
Les midinettes
Elles sont plus de 5 000 à travailler au centre-ville de Montréal. À midi, elles ont droit à une «dinette», un diner rapide, d’où leur nom de midinettes. Dans son rapport déposé en 1938, la Commission royale d’enquête sur l’industrie du textile décrit leurs conditions de travail: semaine de 60 heures, conditions d’hygiène lamentables, salaires souvent payés à la pièce, etc. À cela il faut ajouter le harcèlement sexuel des patrons, qui ne se gênent pas pour abuser de leur autorité auprès des femmes, dont certaines sont encore de jeunes filles.
En avril 1937, les midinettes décident que c’en est assez. Réunies sous la bannière de l’Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames, elles déclenchent la grève. Plus d’une centaine d’ateliers montréalais sont paralysés.
Une grande bataille
Pour mener à bien cette lutte, les travailleuses peuvent compter sur l’appui d’une militante hors pair: Rose Pesotta. D’origine ukrainienne, elle a été organisatrice syndicale aux États-Unis et à Porto Rico. Anarchosyndicaliste, elle a une vision particulière de l’organisation ouvrière. Pour elle, le syndicat doit non seulement défendre les femmes sur leur lieu de travail, mais aussi s’impliquer dans leur vie de tous les jours. À partir de 1936, les ouvrières prennent donc des cours de langues, d’histoire, de politique et d’économie; elles développent leurs habiletés sportives en jouant au football, au basketball et aux quilles; elles participent à des pièces de théâtre, organisent des concerts et des bals, etc.
Alors que l’air du temps est à l’intolérance, ces activités créent des liens entre des femmes d’origines canadienne-française, anglaise et juive. Cette solidarité sera d’ailleurs essentielle à leur bataille. Dès les premiers jours de la grève, elles font face aux charges concertées des patrons, de l’État, de la presse et de l’Église. Des scabs tentent de franchir les lignes de piquetage et la violence est au rendez-vous. Autour du square Phillips, les escarmouches se transforment parfois en bagarre générale, faisant plusieurs blessées et causant de nombreuses arrestations.
À peine quelques jours après le début du conflit, les patrons des manufactures, en collaboration avec les syndicats catholiques, réclament la déportation de Pesotta et de Bernard Shane, son acolyte organisateur, de même que de tous les grévistes «étrangers». On accuse Pesotta de soutenir la République contre Franco, qui jouit ici d’une vive admiration, et on considère que le syndicat est infesté de «communistes, d’étrangers et de bandits américains» qui ont recours aux «menaces et à l’intimidation». Maurice Duplessis ordonne l’arrestation des dirigeants syndicaux. (Deux jours plus tard, sous prétexte qu’un règlement du conflit est imminent, il fera marche arrière et les syndicalistes ne seront finalement pas arrêtés.)
Le 5 mai, un règlement est adopté par le syndicat et les patrons. C’est une grande victoire. Les femmes obtiennent une augmentation de salaire de 10%, la semaine de 44 heures, la reconnaissance du temps supplémentaire, une journée de repos le samedi. Le mois suivant, 5 000 travailleuses se rassemblent au centre-ville afin de fêter la victoire. L’ambiance est électrisante.
Comme le soulignera plus tard Rose Pesotta, «les milliers de femmes et de filles présentes, désormais émancipées d’une longue exploitation, avaient pris conscience qu’elles faisaient partie de la grande armée des travailleuses organisées et qu’elles n’étaient plus sans défense». Contre le patriotisme dégénéré de l’élite et l’arbitraire patronal, elles ont fait craquer quelques allumettes sous la chape de plomb de la grande noirceur.
Historien des mouvements sociaux, enseignant, blogueur à Voir.ca et collaborateur au journal Le Couac, Marc-André Cyr s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de la révolte au Québec.
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