«On a construit un pont, pis on l’a j’té à terre»

Photo: Yves Renaud
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«On a construit un pont, pis on l’a j’té à terre»

Projet Polytechnique, notre Pièce 37, s’interroge sur le chemin parcouru depuis le drame de 1989, et notamment sur le rapport des Québécois·es aux armes à feu. Nathalie Provost, survivante de la tuerie, n’a cessé de se battre pour un plus grand contrôle des armes au Canada. Elle est un des personnages de la pièce.

Nathalie Provost

Le Canada a échoué. C’est la plus grande défaite en matière de contrôle des armes. On ne s’en remettra, à mon avis, jamais. T’sais, Marie-Joanne, si un gouvernement construit un pont, pis que c’est supposé couter cinq-cent-millions, mais que, pour toutes sortes de raisons, ça finit par couter un milliard de dollars, est-ce que le gouvernement qui suit va mettre le pont à terre parce qu’y a couté trop cher? Ben non! Parce qu’y a du monde qui passe dessus. Ben avec le registre, c’est ça qu’on a fait. On a construit un pont, pis on l’a j’té à terre…


Marie-Joanne

Je comprends pas pourquoi le fait d’avoir un registre est si dérangeant pour eux... Ça les empêche pas d’acheter une arme!


Nathalie Provost

Ça les dérange parce qu’on voit ce qu’ils achètent! Pis… ben, parce qu’il reste que c’est gênant, de dire que t’as quarante guns.


Serveur

Voulez-vous autre chose?


Jean-Marc

Non, c’est bon. Merci.


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Le serveur se met à l’écart, mais continue de dévisager le trio.


Nathalie Provost

Rappelez-vous l’insistance de Guy Morin à ne jamais dire combien il a d’armes, quand on était à Tout le monde en parle


Guy Morin

Guy Morin! Président de Tous contre un registre québécois des armes à feu. Quand Guy A. m’a demandé combien j’avais d’armes, j’y ai répondu: «C’est pas de tes affaires!»


Nathalie Provost

Pis de toute façon, eux autres, dans leur tête, si tu n’es pas en contact avec les armes, tu ne comprends pas, donc tu ne sais pas de quoi tu parles! Ben j’m’excuse, mais j’ai été en contact avec une arme. Du mauvais bord.


Chœur

Nathalie Provost a reçu quatre projectiles... Elle a encore un morceau de balle sous la paupière. Elle remarque que Marie-Joanne regarde sa cicatrice, elle lui prend la main.


Nathalie Provost

Vas-y, touche! Touche!


Temps. Marie-Joanne touche la paupière de Nathalie.


Marie-Joanne

Est-ce que ça te fait mal?


Nathalie Provost

Non, tu sais, ça fait trente ans... Mais je dis ça, pis, depuis à peu près deux ans, ma jambe droite, celle qui a été la plus blessée, recommence à me faire mal.


Marie-Joanne

Ah oui, hein?


Nathalie Provost

Y a dix ans, j’avais pas mal. Mais j’vieillis…


Nathalie Provost + Marie-Joanne

Pis quand on vieillit, ben nos fragilités ressortent.


Nathalie Provost

C’est drôle. Ça... ça revient vers moi.


Tout à coup, le bouquet de ballons de la table d’à côté éclate et Nathalie se lève d’un bond. Un seul ballon est demeuré intact, et continue de flotter.


Nathalie Provost

(Visiblement ébranlée) La grosse émotion qui me reste, c’est les bruits qui la provoquent. Depuis ce soir-là, je vais pus aux feux d’artifice. Pis j’adore les feux d’artifice, mais j’y vais pus, je suis pas capable. Je viens épuisée. Je pourrais pardonner à Marc Lépine... Mais je pourrai jamais pardonner à Stephen Harper.


Pour aller plus loin

Projet Polytechnique est le 37e titre paru dans la collection Pièces

Notre entrevue avec Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond, réalisée en décembre 2022.

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