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Petit guide de philosophie appliquée

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Université de Sherbrooke

Petit guide de philosophie appliquée

De l’arrivée des travailleurs numériques au sein de l’aide humanitaire aux commissions d’enquête: comment la philosophie peut-elle nous aider à mieux comprendre les enjeux du monde contemporain?

Au moment du tremblement de terre qui déchire le Népal en avril 2015, Jean François Dubé est logisticien pour Médecins Sans Frontières (MSF). Avec l’équipe d’urgence mobilisée sur le terrain, il essaye de dresser un état des lieux. L’enjeu? Évaluer l’étendue des dégâts, cartographier les besoins en eau et en premiers soins, les zones à évacuer d’urgence, les routes bloquées. La tâche n’est pas aisée: le séisme est d’une telle amplitude que les secousses ont semé avalanches et désolation jusqu’au nord de l’Inde. Mais cela ne fait qu’accentuer un état de fait général: «Dans des situations d’urgence, explique-t-il, l’accès à l’information est toujours un défi. Les données et témoignages nous arrivent au compte-goutte ou au contraire en quantités massives. Il faut dans les deux cas évaluer leur fiabilité, les hiérarchiser, et cela prend du temps.»

Le terme «massives» est tout à fait à propos, ici. Les renseignements—tel bâtiment vient de s’écrouler, tel hôpital est privé d’électricité, tel pont est à terre—se répandent comme une trainée de poudre sur l’internet, notamment sur les réseaux sociaux. Cette mine d’informations accessible non seulement très rapidement mais aussi à grande échelle a donné naissance à de nouvelles professions dans le domaine humanitaire. Depuis 2010, les «THN» (ou travailleurs humanitaires numériques) appuient leurs confrères de terrain en traitant en temps réel les données informatiques à des kilomètres de distance.

«Quelles sont les forces et faiblesses de ces deux canaux d’informations? Existe t-il un risque que les données apportées par les THN nuisent aux opérations (et si oui, quels sont ces risques—fausses informations, surcharge cognitive des travailleurs de terrain, etc.)? Quels sont leurs atouts?», s’interroge Jean François Dubé. Pour le comprendre, le logisticien a repris les études à l’Université de Sherbrooke dans un domaine peu connu du grand public l’épistémologie pratique. Depuis janvier 2016, il consacre sa maitrise aux biais humains et algorithmiques de la collecte (et du traitement) de l’information humanitaire.


Réconcilier pensée philosophique et méthodes empiriques

«L’épistémologie, c’est une branche de la philosophie qui s’intéresse à la connaissance, au savoir, au vrai», explique le chercheur François Claveau, professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épistémologie pratique. L’adjectif «pratique», lui, indique le lien fort que les outils philosophiques entretiennent avec le réel.

Dans quelles conditions une information peut-elle être considérée comme fiable? Cette question, qui préoccupe historiquement les journalistes, regarde donc depuis trois ans les chercheurs de cette chaire portée par le Département de philosophie et d’éthique appliquée. «Notre mission est d’étudier les organisations qui produisent, diffusent ou relaient des données socioéconomiques», poursuit François Claveau. «Les citoyens, les journalistes comme les décideurs sont bombardés de statistiques, parfois contradictoires. Comment le profane peut-il s’y retrouver? Est-ce que les diverses organisations sont toutes également dignes de notre confiance?»

Il ne s'agit pas de réaliser des contre-expertises pour confirmer ou infirmer des chiffres mais plutôt d’étudier si tel think tank, telle banque centrale ou telle organisation internationale dispose des propriétés nécessaires à la production d’une information crédible et indépendante. Pour ce faire, l’équipe mobilise une palette d’outils liés aux sciences sociales: «On utilise des méthodes qualitatives et quantitatives, la bibliométrie, l’observation participante, etc. On est très multidisciplinaire dans notre approche», indique François Claveau.


Contribuer aux débats sociaux

Cette orientation pratique du département de philosophie de l’Université de Sherbrooke reflète une tendance de fond: les philosophes sont de plus en plus actifs à l’extérieur des campus, à titre d’experts pour des comités d’éthique, dans le cadre de réformes institutionnelles ou de débats publics. Les avancées technologiques incessantes des sociétés industrielles les placent face à des défis majeurs et les obligent à amender le cadre théorique pour rester pertinents. Or, leur volonté de penser rigoureusement le monde dans lequel on vit se double souvent de l’envie d’agir sur lui. C’est tout le propos de la philosophie pratique: articuler recherche et impact concret.

Des couloirs de ce département sortent donc des personnes outillées pour l’enseignement dans les cégeps et universités, mais aussi disposées à toutes sortes d’autres débouchés professionnels auprès des organismes qu’elles ont auscultés pendant leurs années d’études. MSF, la Croix Rouge ou l’ONU se montrent particulièrement intéressés par les recherches de Jean-François Dubé, par exemple. Ses travaux offrent un éclairage complémentaire aux études éthiques pour comprendre les répercussions du tournant numérique dans l’humanitaire. Le besoin de documenter cet aspect est criant: plusieurs bourses de recherche ont été ouvertes, et la Chaire n’attend que de bonnes et bons candidats. À bon entendeur.



Quelques cas pratiques d’épistémologie:


Commissions d’examen

Une bonne partie du travail des commissaires consiste à consulter le public. Est-ce que cet exercice sert principalement à légitimer les conclusions de la commission ou contribue-t-il substantiellement à la réflexion des commissaires?


Think tanks 

Lorsqu’un think tank a une position idéologique bien campée, peut-on encore le considérer comme une source d’information crédible? À défaut de lui demander de dire «toute la vérité», pouvons-nous, par un système de vigilance collectif, l’inciter à dire «seulement la vérité»?


Grandes organisations internationales 

Dans les années 1990, l’OCDE mettait l’accent sur la flexibilisation du marché du travail; elle attire aujourd’hui l’attention sur la lutte contre les inégalités. Les changements radicaux des recommandations de ces organismes sont-ils dictés par un réel avancement des connaissances en sciences sociales ou par le climat politique?


Banques centrales

Les institutions financières nationales contribuent de plus en plus à la connaissance en économie monétaire. Avons-nous atteint le point où la concentration de la recherche au sein même des banques centrales devient malsaine?


Informatique de la santé

La quantité faramineuse de données produites par les hôpitaux et les cabinets de médecins pourraient être analysées par des outils d’intelligence artificielle qui promettent de faire avancer la recherche médicale. Pouvons-nous éviter que les bénéfices de cette technologie soient inégalement distribués, par exemple en contribuant surtout au traitement des «maladies de riches»?


Chaire de recherche du Canada en épistémologie pratique

Faculté des lettres et sciences humaines

2500, boulevard de l’Université Sherbrooke (Québec) J1K 2R1

819 821-8000, poste 62298 www.epistemopratique.org


La Chaire de recherche du Canada en épistémologie pratique offre une bourse annuelle de 20 000$, destinée à une étudiante ou à un étudiant nouvellement inscrit au doctorat en philosophie pratique. Détails: lc.cx/mP7n

Pour en savoir davantage sur le virage numérique en urgence humanitaire, c’est ici.



Sise à Sherbrooke, ville francophone au sud du Québec, l’Université de Sherbrooke est au cœur d’un pôle de recherche international. L’institution a su établir sa notoriété grâce à ses enseignements et à ses travaux de recherche qui lui ont permis d’échanger, de collaborer et d’innover avec des universités et des partenaires de partout dans le monde.


Ce contenu, réalisé par Atelier 10 dans le respect de ses lignes directrices, a été commandité par l’Université de Sherbrooke—Atelier 10 n’est pas une agence de publicité: nous sommes des journalistes et éditeurs et faisons ici preuve de la même rigueur que dans le reste de nos activités. Nous choisissons les organisations avec qui nous souhaitons travailler. Elles doivent pour cela être en accord avec nos valeurs et apporter une contribution positive à la société québécoise.

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