S’enraciner au Vietnam

Annabelle Moreau
Photo: Annabelle Moreau
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Reportage

S’enraciner au Vietnam

L'entrepreneuriat expatrié

Quand l’appel de l’ailleurs se fait sentir et que la réinvention passe par le travail: le parcours d’un Québécois devenu entrepreneur au Vietnam. 

C’est à bord d’un autobus de nuit entre Ha Giang et Hanoï que j’ai fait la connaissance de Maxime Godin-Murphy, en mars dernier. Quelques mots ont suffi à révéler notre accent québécois mutuel, et nous avons rapidement troqué la langue de Shakespeare pour celle de Miron.

Il m’a appris qu’il était hôtelier à une centaine de kilo mètres au sud d’Hanoï. Le Montréalais de 32 ans venait d’explorer le nord du Vietnam 12 jours durant, et l’autobus le ramenait auprès de sa femme, Theu, et de leur fille Kim, née en 2014.

Une semaine plus tard, je débarquais au Nguyen Shack dans le petit village de Khe Ha, près de Ninh Binh. La région est surnommée la « baie d’Along terrestre », du nom de la sublime baie vietnamienne où des pics karstiques pointent dans le golfe du Tonkin. Mais ici, pas d’eau, seulement des rizières. C’est à cet endroit qu’ont été tournées certaines scènes du film Indochine avec Catherine Deneuve, au début des années 1990.

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Le Nguyen Shack, c’est le nom du «concept» de Theu et Maxime: «Nguyen» pour le nom de famille de Theu (et patronyme le plus répandu au pays), et «Shack» pour la touche québécoise. Car ce n’est pas vraiment un hôtel, ni un resort, ni un homestay, ni une guesthouse—catégories les plus utilisées pour distinguer les types d’hébergement au Vietnam. Certes, on peut y dormir et y manger comme dans les autres établissements du pays. L’offre du couple se distingue toutefois par une ambiance décontractée au cœur d’un paysage à couper le souffle, de même que par une approche écotouristique et locale qui n’est pas très répandue au pays de l’oncle Hô. «On veut faire découvrir le Vietnam autrement, d’une manière moins touristique, à partir d’endroits plus stratégiques, moins fréquentés», explique Maxime.

  • Maxime Godin-Murphy, le guide, en pleine action devant un temple creusé dans la montagne.
    Photo: Annabelle Moreau

Le gout du voyage et de l’aventure, doublé d’un projet de documentaire, a poussé le Québécois—alors monteur et réalisateur—à quitter la province il y a trois ans. «J’ai toujours voulu un travail qui me ferait voyager, souligne-t-il. C’est durant un tour du monde que j’ai rencontré ma femme.»

Après quelques mois en Europe et dans la région des Balkans, Maxime a débarqué dans le delta du Mékong. Theu y était déjà propriétaire de quelques bungalows à Cai Rang, petite ville réputée pour son marché flottant. Chaque matin, des fruits, des légumes et des poissons de toute la région y sont échangés d’une embarcation à une autre.

À la suite d’un décès dans sa famille, Theu a de mandé à Maxime s’il pouvait prendre le relais durant son absence. Il a ainsi fait ses premiers pas dans ce qui deviendrait plus tard une réelle vocation.

Au retour de Theu, le voyageur a décidé de poursuivre ses propres projets. «Nous avons gardé contact par courriel, dit-il. Theu voulait que je revienne, mais je ne connaissais pas la vie d’hôtelier, même si j’ai toujours été sociable. Je suis finalement revenu en me disant “Je reste trois mois”, et je ne suis jamais reparti.»


Vietnam mon amour

Propriétaires du Nguyen Shack de Ninh Binh depuis la f in 2014, Maxime et Theu continuent d’exploiter celui de Cai Rang. En mai dernier, le frère de Theu a ouvert un troisième Nguyen Shack à Dalat, dans les hauts plateaux du centre du pays. L’esprit cool et écotouristique du couple québéco-vietnamien fait son chemin.

«Je trouve que ça me ressemble comme style de tourisme, ajoute Maxime. Nous avons une approche locale, nous faisons honneur à la mémoire du passé et tous nos bungalows sont construits en bambou.» En plus d’utiliser ce matériau traditionnel, le couple fait appel à des ouvriers locaux et à des membres de la famille de Theu quand vient le temps de trouver des employés—ce qui rend l’expérience d’autant plus agréable pour les clients.

À Khe Ha, je rejoins un groupe de cyclistes déambulant entre les rizières. Devant, Maxime explique la production de riz et de tofu, sûr de lui. Il s’arrête dans un temple creusé dans la montagne pour s’étendre sur les principes du bouddhisme, ou encore devant une école pour parler de l’éducation au Vietnam.

Le Québécois n’est pas seulement hôtelier: il est aussi guide, serveur sur l’heure des repas, DJ—il s’occupe de l’ambiance musicale et de l’animation—, professeur d’anglais pour des élèves du coin, bref, homme- orchestre et entrepreneur à part entière dans ce pays qu’il a fait sien. 


Formée en littérature comparée, Annabelle Moreau a travaillé dans le milieu de l’édition avant de se lancer comme indépendante en 2011. Journaliste, rédactrice, recherchiste et réviseure, elle collabore à plusieurs publications et projets, notamment l’émission Rature et lit, et les magazines Lettres québécoises et Collections.

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