Treize mots pour Milan Kundera

Kateri Lemmens
Photo: Gallimard
Publié le :
Portraits de disparu·e·s

Treize mots pour Milan Kundera

L’écrivain franco-tchèque, à qui l’on doit notamment L’insoutenable légèreté de l’être et Le livre du rire et de l’oubli, nous a quitté·e·s le 11 juillet à l’âge de 94 ans.


Rideau

Parce que Kundera a férocement protégé sa vie privée et ce qu’il définissait comme son œuvre, comme l’essentiel, du parasitage biographique, je n’ai jamais rien cherché à savoir sur son histoire personnelle, dont je connais à peine quelques petits détails (oui, je me souviens vaguement du visage de Vera, photographiée rigolant avec lui, dans un vieil article que j’ai consulté pendant mes études). Dans le grand testament littéraire qu’il nous a légué, il n’a jamais cessé de nous interdire d’«arracher le rideau» de la vie privée, d’aller fouiller là où son œuvre n’est pas, là où la littérature n’est pas: dans «l’inessentiel», dans la biographie de l’auteur, dans les «poubelles», là où nous ne sommes pas chez nous. Comme il l’explicite dans Les testaments trahis, «la vie sans secrets», le fantasme lyrique de la transparence, de la vie privée exposée, montrée à tou·te·s sans rideau aucun, tient d’une vieille utopie totalitaire à laquelle s’oppose la pudeur, la possibilité de notre liberté, et dont «l’enjeu le plus grand est la survie ou la disparition de l’individu». Si je l’imagine bien sûr, homme de chair et d’os projeté dans -l’Histoire turbulente et parfois loufoque de son époque, et s’il m’est difficile de ne pas lui associer certains traits qui reviennent chez ses personnages (tant masculins que féminins), quand j’écris Kundera, je ne parle jamais que de ce personnage de romancier et d’essayiste que je recrée à partir de ses livres, de l’autre côté de la fenêtre, sans jamais essayer d’arracher les rideaux, de forcer les portes ou les serrures. Je réunis donc ici, de mémoire surtout et de manière élective, en pensant à ses «Quatre-vingt-neuf mots», quelques-uns des mots-clés qui me restent lorsque je pense à son œuvre.


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