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L’histoire de la répression de la communauté homosexuelle est celle de la fermeture de ses lieux de rencontres.
Des étudiants occupent des locaux d’une université montréalaise pour protester contre le racisme. «Laissez bruler les nègres!», crie la foule à l’extérieur pendant que les flammes ravagent l’édifice...
Le 29 janvier 1969, 200 étudiants de l’Université Sir George Williams (qui deviendra plus tard Concordia) à Montréal se rendent à une audience où comparait leur professeur de biologie, Perry Anderson. Ce dernier est accusé de racisme envers les étudiants noirs. Après plus d’un an de campagne de pétitions et de manifestations pacifiques, le professeur est toujours soutenu par l’administration. À la sortie de l'audience perturbée par leur présence et leurs slogans, les étudiants se dirigent vers le centre informatique de l’université...
Après deux semaines, les autorités décident de mettre fin à l'occupation. L’escouade antiémeute se déploie afin de vider les lieux. Les étudiants, en guise de réplique, lancent du matériel informatique par les fenêtres, brisent des ordinateurs et, finalement, mettent le feu à l’édifice.
Les policiers, afin d’humilier la centaine d’étudiants, séparent les Blancs des Noirs. Rosie Douglas, l’un des leaders, est mis en joue par le chef des opérations: «Un seul geste et je te tire une balle dans la tête, sale nègre!» À l’extérieur, sur le boulevard Maisonneuve, la foule crie à répétition: «Laissez bruler les nègres!»
Un noir passé
Les évènements de Sir George Williams ne sont pas anecdotiques. Ils participent de cette vaste et longue lutte pour l’émancipation des minorités en général et des Noirs en particulier. L’année même où les étudiants mettent le feu au centre informatique, les États-Unis enregistrent un nombre record de manifestations, principalement en faveur des droits civiques et contre la guerre du Vietnam.
En 1968, au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, la plupart des grandes villes américaines sont balayées par des émeutes, dont certaines durent plusieurs jours. La communauté noire de Montréal, qui compte à ce moment quelque 15 000 membres, rassemble pour sa part une foule de 600 personnes à Sir George Williams, qui a déjà la réputation d’être fréquentée par des activistes de gauche. Précédés d’une immense photographie de Malcolm X, les marcheurs prennent la rue Sainte-Catherine pour se rendre au square Dominion, où environ 2 000 personnes chantent «We Shall Overcome», hymne du mouvement afroaméricain.
Le mouvement noir n’en est pas à ses premières relations avec Montréal et le Québec. Quelques années auparavant, Aimé Césaire, l’incontournable penseur de l’anticolonialisme, ne tarissait pas d’éloges sur Nègres blancs d’Amérique, cette «autobiographie précoce d’un “terroriste” québécois» écrite d’une prison de Manhattan par Pierre Vallières. En 1965, des membres du Front de libération du Québec, de mèche avec des membres du Black Liberation Army américain, projetaient même de faire exploser la Statue de la Liberté. Des militantes du FLQ, munies de dynamite volée à Montréal, avaient traversé la frontière à destination de New York, avant d’être arrêtées par le FBI, qui avait infiltré l’organisation révolutionnaire américaine.
Ouverture
Ces évènements sont très mal connus au Québec. Notre mémoire retient plus fidèlement ce que nous croyons être que ce que nous avons été. L’histoire de la révolte de Sir George Williams participe de la «mémoire des vaincus». Elle trouve sa correspondance dans les émeutes de Montréal-Nord (2008) ou de Victoriaville (2012), et non dans les «grands» évènements et personnages de l’histoire nationale officielle. Elle donne du relief à ce que notre société tente de nier, mais qui lui colle toujours à la peau.
Historien des mouvements sociaux, Marc-André Cyr s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de la révolte populaire au Québec. Il est auteur de La presse anarchiste au Québec (1976-2001).
L’histoire de la répression de la communauté homosexuelle est celle de la fermeture de ses lieux de rencontres.
Les institutions ont abandonné certaines couches de la population pour qui l’émeute est devenue la seule option.
Avant que les changements climatiques deviennent l’ennemi public numéro un, les combats environnementaux ne faisaient pas courir les foules.