Cartographie littéraire

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Urbanité

Cartographie littéraire

Des néons de la rue Sainte-Catherine aux chauffeurs de taxis de la rue Jean-Talon, bien des facettes de Montréal ont été immortalisées dans des romans, poèmes et chansons. Portrait kaléidoscopique.

Mont Royal

Who knows it only by the famous cross which bleeds

into the fifty miles of night its light

knows a night—scene;

and who upon a postcard knows its shape —

the buffalo straggled of the laurentian herd, —

holds in his hand a postcard.

In layers of mountains the history of mankind,

and in Mount Royal

which daily in a streetcar I surround

my youth, my childhood —

the pissabed dandelion, the coolie acorn,

green prickly husk of chestnut beneath mat of grass —

O all the amber afternoons

are still to be found.

[...]

One of these days I shall go up to the second terrace

to see if it still is there —

the uncomfortable sentimental bench

where,—as we listened to the brass of the band concerts

made soft and to our mood by dark and distance —

I told the girl I loved

I loved her.

A.M. Klein

«The Mountain», 1947

Mile End

Le salon de coiffure était au coin de l’avenue du Parc et de Laurier, en plein cœur du quartier juif prolétarien où j’ai grandi. Cette vieille zone urbaine, la seule circonscription canadienne de l’Histoire à avoir envoyé un communiste au Parlement—Fred Rose—, a aussi été le berceau de deux boxeurs passables—Louis Alter et Maxie Berger—, de la cohorte habituelle de médecins et de dentistes, d’un célèbre directeur de casino, d’une pléthore d’avocats sans foi ni loi, d’anonymes instituteurs comme de milliardaires du schmatt, de quelques rabbins et d’au moins un assassin présumé: moi. Je me souviens de congères de deux mètres s’accumulant autour des perrons qui devaient être nettoyés à la pelle dans un froid polaire, et du bruit des chaines que voitures et camions faisaient en passant, les pneus à neige appartenant alors à un futur encore lointain, et des draps pétrifiés en feuilles de glace sur les cordes à linge des arrière-cours.

Mordecai Richler

Le monde de Barney, 1999

SAINT-HENRI

Je l’avais aussi convaincu, lentement mais surement, que mon quartier était mieux que Pointe-aux-Trembles. Il y avait le canal Lachine, la piste cyclable, il y avait la rue Saint-Ambroise, la brasserie McAuslan, le marché Atwater. Il ne pleuvait jamais. J’avais commencé à lui expliquer que les lettres tout étirées, au fond de la station de métro, représentaient le titre d’un classique de notre littérature, que Jésus de Montréal était mort d’une embolie cérébrale juste en face de ces grands triangles de brique jaunes.

Daniel Grenier

Les mines générales, 2013 

LASALLE

Il y avait des lots vacants partout, on allait aux cerises, près de la Ville LaSalle, on se baignait dans le canal Lachine, on jouait dans des séances à la salle paroissiale.

Gilles Archambault

La fuite immobile, 1974


CARTIERVILLE

Cartierville, ses poupées monstrueuses et populaires éclatées dans le gras du rire mécanique.

Nicole Brossard

Sold-out, 1973

CÔTE-DES-NEIGES

Une Côte, ma côte, comme la plus belle fille de la ville, allongée en travers du mont Royal, les jupes bouffantes sous le vent qui vient par rafales du lac Saint-Louis que l’on devine là-bas, ou des Laurentides qui certains jours jouent aux montagnes, dans l’horizon.

Jacques Godbout

«La Côte-des-Neiges», 1963


CENTRE-VILLE

La grande St. Catherine Street galope et claque dans les Mille et une Nuits des néons

Gaston Miron

«Monologue de l’aliénation délirante», 1970

VILLERAY

Me voici vis-à-vis du champ vacant de la rue Jean-Talon. C’est ici que, l’été, une multitude de papillons voltigent à travers les chardons, que mes sœurs nomment des «piquants». Avant d’arriver au coin de la rue Saint-Denis, je vois des taxis stationnés le long du trottoir. Ils attendent les clients. Il y a un gros téléphone noir vissé sur un poteau. Les chauffeurs fument, jasent, se taquinent, observent la circulation, les tramways qui tournent en tous sens au coin de la rue.

Claude Jasmin

Enfant de Villeray, 2000

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GRIFFINTOWN

Le jour se lève sur Griffintown après le temps de survivance, les mois de neige et de dormance. Un soleil précaire pointe à l’est. Sur l’horizon se profile un paysage désolé, traversé de collines de rouille où subsiste, par strates et dans un silence condamné, toute une généalogie d’objets obsolètes: enjoliveurs dépareillés, chaines de vélo rompues, plaques de tôle gondolées. Au loin se dresse la montagne royale, coiffée d’une croix, insensible aux doléances des arbres étirant vers elle leurs bras décharnés comme des indigents dans l’attente de la manne.

Marie Hélène Poitras

Griffintown, 2012

CENTRE-VILLE

La Place Ville-Marie est l’enfant naturel de notre biculturalisme: édifiée sur pilotis, prête déjà à s’effondrer, elle me fait rêver au spectacle merveilleux de son avalanche. Il me serait doux de voir ces 42 étages de néant s’écrouler pour former une pyramide. Ambigüité pour ambigüité, j’aurais pris la peine juste avant ce bel éclatement, de soustraire au massacre les jeunes filles que je veux continuer de voir déambuler, voilées par leur beauté éclatante et sombre, sœurs multiples à qui je suis lié, autant de Maries que je ne veux pas voir impliquées dans cette crucifixion alcanique. 

Hubert Aquin

«Essai crucimorphe», 1963

PLATEAU MONT-ROYAL

Tant que le tramway longeait la rue Mont-Royal, elles étaient chez elles. [...] Mais quand [il] tournait la rue Saint-Laurent vers le sud, elles se calmaient d’un coup et se renfonçaient dans leur banc de paille tressée: toutes, sans exception, elles devaient de l’argent aux Juifs de la rue Saint-Laurent, surtout aux marchands de meubles et de vêtements, et le long chemin qui séparait la rue Mont-Royal de la rue Sainte-Catherine était pour elles très délicat à parcourir. [...] Aussitôt le coin des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine tourné vers l’ouest, la liesse reprenait de plus belle et emplissait le tramway de cris sonores et de rires pleins. [...] Tout le long de la rue Sainte-Catherine Ouest, les nez se collaient aux vitres en hiver, les bras s’appuyaient sur le rebord des fenêtres en été. Les dernières descendaient chez Eaton, au coin University. Jamais personne du groupe n’allait plus loin. À l’ouest de ce grand magasin, c’était l’inconnu: l’anglais, l’argent, Simpson’s, Ogilvy’s, la rue Peel, la rue Guy, jusqu’après Atwater, là où on recommençait à se sentir chez soi à cause du quartier Saint-Henri, tout proche, et de l’odeur du port.

Michel Tremblay

La grosse femme d’à côté est enceinte, 1978

PLATEAU MONT-ROYAL

Entre la rue Sherbrooke et l’avenue des Pins, entre le boulevard Saint-Laurent et la rue Saint-Denis s’étend un quartier, un quartier de fruit trop mûr, à l’écorce appétissante, au jus rance, à la chair puante, un bout de ville insomniaque dont les frontières, comme celles qui circonscrivent le territoire de chiens sauvages, sont délimitées par de subtiles odeurs que l’étranger ne renifle jamais sans inquiétude. C’est le Carré Saint-Louis et son appendice, la rue Prince-Arthur. Si le centre-ville est l’organe génital de Montréal, par où la ville copule tristement et sans illusions avec le reste des civilisations, le carré Saint-Louis se situe quelque part entre le sein et le nombril, comme un mamelon supplémentaire, et bien que la fontaine qui gicle tout l’été en son centre évoque une bite de béton qui n’en finit plus de dégorger son amour. Ce n’est pas un carré comme les autres, parce que son aire s’étend bien au-delà de ses angles, un problème à faire bander les poètes géomètres.

Christian Mistral

Léon, Coco et Mulligan, 2007

Parc La Fontaine

Il faut alors traverser la rue Christophe-Colomb, passer vite devant le Jardin des merveilles, descendre un raidillon et traverser le pont en enjambant les étangs aux fontaines lumineuses nuitamment blanches, vertes, jaunes, bleues, les jets sont comme des arrosoirs de pelouse mobiles montant et descendant dans un mouvement de vertige, juste avant le théâtre de verdure, de l’autre côté du chalet, en contrebas duquel, par beau temps, les barques glissent sur le plan d’eau au milieu des canards, tandis que les vieux se reposent ou rêvent à l’avenir en suçant un cornet de glace.

Jean Basile

Le Grand Khan, 1967

VIEUX-MONTRÉAL

À l’Accueil Bonneau dans le Vieux-Montréal on m’a reçu avec un bol de soupe chaude et une paire de chaussures qui me font presque. Je chausse du 12. C’est toujours difficile de me trouver quelque chose.

Dany Laferrière

Chroniques de la dérive douce, 1994


Fleuve

Le fleuve, c’est une bande herniaire. Montréal s’est crevé. Tous les soirs, tous les matins, sauf les gris, le rouge du soleil dans l’eau, c’est le sang des insulaires qui se dilue, indifférent, dans l’eau froide et figée.

Jacques Renaud

Le cassé, 1964

HOCHELAGA

Le petit groupe partit par un matin radieux, le paquet de sandwichs sous le bras. La rue Cuvillier les mena jusqu’à la rue Notre-Dame, où ils prirent le tramway en face de cette longue usine si triste, la fameuse filature du quartier, la facterie de coton. Ce seul tour de tramway était déjà toute une expédition, quoique la rue Notre-Dame soit, de ce côté, bien terne avec ses vieux bâtiments délabrés qui cachent la vue du Fleuve.

Roger Viau

Au milieu, la montagne, 1951


POINTE-AUX-TREMBLES

En ce temps-là, Pointe-aux-Trembles, c’était la campagne, des champs d’avoine, des rangées d’arbres, des peupliers argentés, des cerisiers, des vaches. On disait de nous: «Ils habitent le Bout-de-l’Île» ou le Bas-de-l’Île. Depuis longtemps pourtant, il n’y avait plus d’Iroquois menaçant de prendre pied sur le Bout-de-l’Île.

Jovette Marchessault

Comme un enfant de la terre, 1975

VIEUX-MONTRÉAL

Now Suzanne takes your hand 

And she leads you to the river 

She is wearing rags and feathers 

From Salvation Army counters 

And the sun pours down like honey 

On Our Lady of the Harbour 

And she shows you where to look 

Among the garbage and the flowers 

There are heroes in the seaweed 

There are children in the morning 

They are leaning out for love 

And they will lean that way forever 

While Suzanne holds the mirror

Leonard Cohen 

«Suzanne», 1966

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HOCHELAGA

Tu checkes tes cliques, tes claques quand tu viens dans l’boutte

Paske le gars avec la calotte, y’a p’t’être faite un peu trop d’poudre

Y pourrait d’venir nerveux avec ta face d’envie de chier

Quand tu sors du P’tit Extra après avoir trop mangé

Crack house, pawnshop avec un snack à bp

Jocelyn vient débarquer de son 2500 hd

Men yé 24/7, le cash y rentre dans baraque

Y roule sa p’tite business au coin de la rue Frontenac

Din boutte à l’autre de ma grosse rue

Saint-Laurent à Létourneau, le monde ont pas frette aux yeux

Man y creuve, y’en arrache été comme hiver

Mon ostie de crisse, tu marches dans ton cimetière

Bernard Adamus

«Rue Ontario», 2010

CENTRE-SUD

Au-delà de la machine à écrire, une fenêtre s’ouvrait sur la rue De Lorimier dont elle barrait le ciel monoxydé de ses meneaux souillés et suintants. De cet endroit, la prison Parthenais n’était plus en vue. En revanche, grâce à la clairière ouverte par un jardin communautaire au sein des agglomérats de brique et des frondaisons de béton, une belle perspective faisait apparaitre un bout du mont Royal à l’ouest, bleu sombre dans son manteau de feuillages, coincé entre deux façades grises et agressives. [...] Au sud, le pont Jacques-Cartier, visible du trottoir seulement, élevait son embrouillamini de poutrelles à l’assaut du ciel et drainait un lourd trafic sous notre balcon, à partir duquel on pouvait aussi repérer, en s’étirant le cou vers le nord, les cheminées désuètes du bonhomme Miron, flèches bariolées à l’ombre desquelles tous les camions de vidanges de l’ile, nous rugissant au nez, allaient se défaire de leur poids de senteurs.

Louis Hamelin

Ces spectres agités, 2010

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