Denis Côté: le cinéaste affranchi
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Les parents auraient, selon l’autrice de notre Document 26, tout avantage à s’inspirer de la permaculture pour élever leurs enfants. Une métaphore féconde, portée par une pédopsychiatre inquiète. Dans cet extrait de l’essai Le drame des enfants parfaits, elle explique ce qui l’a poussée à prendre la plume.
Voilà maintenant plus de 15 ans que je travaille comme psychiatre auprès des enfants et des adolescents·e·s. Cela parait si peu et en même temps si riche de rencontres, de visages, de sourires partagés, de pleurs, de situations familiales touchantes, parfois tragiques. Quinze ans au cours desquels j’ai vu disparaitre l’enfance sous le poids des diagnostics et où j’ai fini par me demander si elle n’était pas tout simplement devenue une maladie.
La magie propre à l’enfance, son essence même, me semblent disparues, volatilisées. On a normalisé l’enfance au prix d’un travail de façonnage et d’élevage méthodique, parfois acharné.
Certains comportements—comme l’agitation, l’impulsivité, la difficulté de réguler ses émotions et d’entrer en relation—sont tout à fait normaux dans le développement d’un enfant. Mais ils sont vus au travers de la loupe grossière du parent, de l’enseignant·e ou du médecin. Très (trop) vite, l’enfant sera étiqueté TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) ou «opposant provocateur».
Il ne s’agit évidemment pas pour moi de tomber dans les extrêmes, le scepticisme, voire le négationnisme, qui consiste à dire que les troubles mentaux sont une construction sociale ou un mythe. Le TDAH, par exemple, est un trouble neurodéveloppemental réel, indéniable. L’idée, ici, est de réfléchir sans oeillères à l’accroissement de diagnostics erronés qui aboutissent trop souvent à une médication.
En une décennie et demie de pratique en France, puis au Québec, j’ai perdu mes illusions de départ. J’ai aussi perdu, à l’occasion, l’envie même de pratiquer cette médecine absurde et complice de cette mascarade.
Comment ne pas me souvenir de ces Simon, Fanny et Tom, arrivé·e·s à mon bureau avec des diagnostics psychiatriques multiples (TDAH, trouble d’opposition/provocation, autisme, bipolarité) et leurs médications associées? Des enfants âgés de 3 à 14 ans qui m’avaient été adressé·e·s parce que plus aucune médication ne marchait. Et pour lesquels je découvrais que c’était tout simplement parce que le vrai problème n’était pas considéré. Parce que ces enfants portaient des symptômes qui appartenaient à d’autres—leurs parents et le système scolaire malade.
L’idée, ici, est de réfléchir sans oeillères à l’accroissement de diagnostics erronés qui aboutissent trop souvent à une médication.
Si la solution est souvent de prescrire une médication, c’est que, m’explique-t-on, on ne peut pas laisser ces enfants se désorganiser à l’école ou chez eux, être en «bris de fonctionnement», en attendant les services. Il faut bien faire quelque chose.
«Bris de fonctionnement»: cette expression provoque immanquablement en moi un malaise, tant elle évoque justement un article brisé qu’il s’agirait d’apporter chez le réparateur. Un objet.
J’ai vite réalisé que l’enfant ne doit être ni trop (réactif, joyeux, émotif) ni pas assez, car chaque «sortie de rail» peut être taxée de trouble ou de maladie. Nous sommes aux prises avec de véritables épidémies de diagnostics psychiatriques posés sur des enfants médicamentés de plus en plus jeunes. Selon la Régie de l’assurance maladie du Québec, la consommation d’antidépresseurs chez les moins de 14 ans a connu une hausse de 28%, seulement entre 2020 et 2022. C’est énorme. Ces enfants sont-ils tous anxieux et dépressifs? Tous incapables de s’adapter au système? Ou serait-ce le contraire? J’ai eu l’intuition d’un monstre tentaculaire qui engloutit les enfants à force de diagnostics abusifs et exagérés.
Avais-je choisi cette magnifique spécialité pour étiqueter des enfants en masse, leur prescrire des pilules qui les tranquillisent et les aident à supporter un système malade? Ma mission était-elle de créer des enfants compétitifs et performants à l’école, de futurs adultes productifs, potentiellement rentables, hypertechniques—et souriants, s’il vous plait?
Il fallait assurément que je fasse ma part pour dire l’urgence, au nom des enfants que j’avais l’impression de trahir. Car si l’on se demande souvent quelle planète on leur laissera, il est aussi pertinent de se demander quels enfants on laissera à notre planète.
Céline Lamy vit dans les Laurentides où elle travaille comme pédopsychiatre, psychothérapeute et écothérapeute. Elle est aussi professeure adjointe de psychiatrie à l’Université de Montréal, et mère de quatre enfants.
Pour aller plus loin
Le drame des enfants parfait est le 26e titre paru dans la collection Documents.
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