L’importance du bon voisinage
Le collectif Solon, né en 2015 au cœur de Montréal, s’est donné la mission d’aider des groupes de quartier à réaliser leur vision.
Charlevoix teste une solution pour sortir de la logique d’affrontement entre le développement économique et social.
L’hiver s’annonce animé à Petite-Rivière-Saint-François. Ce village de 800 âmes inaugure le premier Club Med en montagne en Amérique du Nord. «Un gros projet pour une petite municipalité», reconnait le maire, Gérald Maltais. En novembre 2017, l’annonce de l’arrivée de ce géant du tourisme a suscité l’envie de plusieurs municipalités. Mais le développement économique a aussi un cout: dans une région où le salaire annuel moyen atteint à peine 24 000 dollars, il peut accroitre les inégalités en faisant pression, par exemple, sur le prix des logements et des propriétés.
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, dit-on, mais on peut éviter d’en casser trop en ajustant les ingrédients de la recette. C’est le but de l’évaluation d’impact sur la santé (EIS), une démarche qui permet d’anticiper les effets—positifs et négatifs—d’une politique, d’un programme ou d’un projet sur le bienêtre de la population. Dévoilée en décembre 2020, l’EIS Charlevoix marque un précédent: en sol québécois, il s’agit du premier exercice de ce type portant sur un projet privé. «Le promoteur, le Groupe Le Massif, s’est montré ouvert et courageux», convient Sonia Racine, conseillère en développement collectif chez Communagir, qui accompagne les acteur·trice·s du développement social de Charlevoix dans cette démarche.
Les billots de la discorde
En principe, l’EIS est effectuée bien avant la première pelletée de terre. Celle de Charlevoix a été réalisée trois ans après l’annonce du projet.
C’est l’abattage d’arbres centenaires dans une érablière, au cours de la fin de semaine de l’Action de Grâce 2018, qui a tout déclenché. Des coupes menées avec la bénédiction de la municipalité. L’image des billots empilés crée une onde de choc: en 24 heures nait la page Facebook «Charlevoix, mieux sans Club Med». «Nous ne cherchions pas la guerre avec le promoteur, insiste Julie Richard, doctorante en santé communautaire, et l’une des instigatrices de la page. Nous voulions dialoguer avec lui, pour exprimer de façon rigoureuse nos attentes de développement solidaire.»
L’épisode de l’érablière mène à une série de consultations semi-publiques, le mois suivant. Pour l’occasion, le Groupe Le Massif invite des citoyen·ne·s, sélectionné·e·s selon leur bagage, à trois soirées d’information sur les aspects sociaux, environnementaux et économiques de son projet. «Nous étions bien préparés, raconte Julie Richard, invitée à la soirée sur l’environnement. Nous avons cité le risque de contamination des cours d’eau par les sédiments issus de la coupe des arbres, les glissements de terrain potentiels, la destruction de la biodiversité associée au tourisme de masse, etc. Nous avions des données et des faits. Le promoteur a compris que nous n’étions pas des chialeux de service.»
Un dialogue s’installe: «Nous ne voulons pas nuire à la communauté, assure le représentant du promoteur, mais que pouvons-nous faire?» ajoute-t-il, un peu dépassé. Les citoyen·ne·s suggèrent d’impliquer le Développement social intégré (DSI) Charlevoix, une alliance régionale regroupant les acteur·trice·s de la santé, des services sociaux, de l’éducation et de l’économie, ainsi que les MRC.
C’est ici qu’intervient la petite magie qui opère parfois pour donner un coup de main aux processus difficiles. Julie Richard vient alors de découvrir l’EIS dans un séminaire de doctorat, et pressent que cette démarche pourrait permettre de discuter de façon objective des impacts du Club Med sur la communauté. Elle en parle à son amie Émilie Dufour, qui est aussi co-coordonnatrice du DSI Charlevoix. Cette dernière a rendez-vous avec le Groupe Le Massif le mois suivant. «J’ai demandé à mes contacts de la direction de la santé publique de m’expliquer l’EIS, raconte Émilie Dufour. Et je l’ai intégrée à ma présentation.»
Apparue dans les années 1990, l’EIS s’intéresse, entre autres, aux effets d’un projet sur l’emploi, le logement et la mobilité. L’objectif est d’agir en amont pour atténuer les impacts négatifs et accroitre les impacts positifs. Dans le secteur public, les municipalités québécoises mènent des EIS depuis plusieurs années ; la région de la Montérégie, championne nationale, en a une vingtaine à son actif. Mais cette fois, il s’agit de convaincre un promoteur privé de se prêter à l’exercice.
La diapositive numéro 10 de la présentation du DSI Charlevoix marque l’esprit des représentant·e·s du Groupe Le Massif. «J’y expliquais que le fossé se creuse entre les différents groupes de citoyens de notre région, raconte Émilie Dufour. On observe davantage de zones très défavorisées et très favorisées. Le promoteur a été troublé par ces données: personne ne souhaite contribuer, en toute connaissance de cause, à accroitre les inégalités.»Le Groupe Le Massif accepte donc de participer à la tenue d’une EIS. La démarche coute 70 000 dollars : le promoteur et le DSI Charlevoix ont chacun déboursé 20 000 dollars. Les 30 000 dollars restants proviennent du temps des professionnel·le·s de la santé publique qui ont contribué à la démarche.
Effet domino
Toute EIS débute par une revue des expériences similaires. «Avant le Club Med Charlevoix, il y a eu par exemple Tremblant et Whistler», illustre Denis Bourque, professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste du développement territorial intégré. On dresse ensuite un portrait de la communauté concernée: revenus des citoyen·ne·s, parc immobilier, offre de transport collectif, réseau routier, habitudes de déplacement, type d’emplois disponibles, etc. Puis, on construit une chaine de causalités. «On élabore des scénarios démontrant l’effet domino d’un projet sur la santé des citoyens», explique Thierno Diallo, conseiller scientifique au Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques et la santé, et membre des comités d’accompagnement et de suivi de l’EIS Charlevoix.
Émilie Dufour recommande...
Les Terres du Séminaire, surnom donné à la Seigneurie de Beaupré, un territoire de 1 600 kilomètres carrés où abondent les clubs de chasse et de pêche. «Notre lieu secret se trouve en bordure d’un lac, raconte Émilie Dufour, directrice générale du DSI Charlevoix. Pour y accéder, on roule une heure en pickup sur une route de terre. La pêche, c’est un prétexte pour se faire un trip de filles.»
www.seigneuriedebeaupre.ca
Pour évaluer la santé des populations, il existe une quinzaine de facteurs déterminants. Selon sa nature et les caractéristiques de la communauté, chaque projet influence des facteurs différents. «Pour le Club Med, nous en avons retenu cinq: le revenu, l’emploi et la main-d’œuvre, le logement, la mobilité, l’activité physique et l’environnement alimentaire», explique Bonaventure Mukinzi, spécialiste en aménagement territorial et santé publique et cofondateur de la firme Développement santé, embauchée pour mener l’EIS. Le trio revenu/emploi/main-d’œuvre permet de bien comprendre le type de projections possibles à partir de l’étude. «De nombreux citoyens de la région travaillent dans le secteur touristique, illustre Bonaventure Mukinzi. La plupart occupent un emploi saisonnier. Selon le type d’emplois offerts par le Club Med, et les salaires, l’effet peut être positif ou négatif. Si ce sont des emplois réguliers, la situation des travailleurs est bonifiée, mais les entreprises locales qui offrent des emplois saisonniers peuvent se retrouver en pénurie. Et si les emplois sont bons, mais que la main-d’œuvre locale n’est pas qualifiée pour les occuper, il n’y a aucun gain. Pire encore: on pourrait observer une augmentation des inégalités causée par l’arrivée de travailleurs extérieurs qualifiés pour occuper ces postes à la place des locaux.»
Des retombées intéressantes
Le rapport de l’EIS, déposé en décembre 2020, comporte divers scénarios et recommandations. Chaque recommandation s’adresse à un acteur précis : la municipalité, la MRC, le promoteur, les services sociaux, etc. Grâce à cette étude, confirme André Roy, directeur général du Groupe Le Massif, «nous savons sur quel déterminant nous avons le pouvoir d’agir. C’est le cas pour l’emploi, par exemple.» Ainsi, au printemps 2021, deux cohortes de travailleur·euse·s locaux·ales étaient en formation pour combler les besoins du Club Med en moniteur·trice·s. « Nous avons développé ce projet avec Emploi Québec et la commission scolaire »
Le rapport incite aussi le promoteur à réfléchir à des enjeux à plus long terme, comme l’accès au logement. Est-ce à nous de construire du logement abordable? À la municipalité? Je l’ignore, dit André Roy. Il est clair qu’on ne réalisera pas toutes les recommandations. Mais c’est une démarche utile. Comme développeur, nous étions conscients qu’un hôtel de 300 chambres aurait des impacts sur le petit village. Mais, avant l’EIS, je ne réalisais pas que ces effets pouvaient se manifester aussi profondément dans la vie des citoyens.»
L’EIS Charlevoix amorce sa phase la plus exi-geante : le test de la réalité et les arbitrages qui en découlent. L’exercice a généralement des effets positifs. L’expérience de la Montérégie nous apprend que les participant·e·s des diverses EIS ont acquis une meilleure compréhension de l’ensemble des déterminants de la santé. À plus long terme, la majorité des acteur·trice·s municipaux·ales responsables des politiques ou des projets soumis à une EIS ont continué à considérer la santé dans leurs mandats subséquents.
«L’EIS Charlevoix tombe à point nommé, affirme pour sa part le professeur Denis Bourque. Avec la relance post-Covid, les projets se multiplient. Et chacun d’eux façonnera le territoire. Cette démarche peut contribuer à ce que leur influence soit plus positive que négative.» Julie Richard renchérit : «L’EIS contribue à ébranler les croyances en apportant une information objective. Les municipalités n’ont pas à autoriser un projet uniquement parce qu’il crée des emplois ; ces emplois combleront-ils les besoins des citoyens et amélioreront-ils leur bienêtre? C’est ça, le développement territorial intégré »
Un laboratoire de transformation sociale
Les Petites Franciscaines de Marie ont fait partie de la vie des habitant·e·s de Baie-Saint-Paul pendant 125 ans. En 2016, la municipalité a acheté leur domaine, évalué à 7,4 millions de dollars, pour 800 000 dollars. C’est ainsi qu’est né Maison Mère, un projet ambitieux qui veut combiner un espace collaboratif, La Procure, une exploitation agricole inspirée des savoirs des sœurs, et d’autres projets encore à définir. Le défi: trouver une forme d’autonomie financière. Et que les citoyen·ne·s s’approprient ce bâtiment imposant.
Une chaine pour la sécurité alimentaire
Récupérer, distribuer, transformer et éduquer, c’est la base de la sécurité alimentaire. Depuis 2019, avec le Circuit AlimenTerre, Charlevoix s’attaque à chacun des maillons de cette chaine : signature d’ententes de récupération avec les épiceries et les restaurateur·trice·s; optimisation de la distribution; acquisition de broyeurs transformant les surplus de pain en chapelure pour remplacer la farine dans certaines recettes; implantation du jardinage parmi les activités des camps de jour et création d’ateliers culinaires. En novembre 2020 seulement, 1 871 kilogrammes de nourriture ont été récupérés. DB
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Grâce à son plan de connectivité écologique, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière contribue à la protection d’une trentaine d’habitats naturels de la région.
À Sherbrooke, un regroupement citoyen se bat pour protéger à perpétuité un immense boisé au cœur de la ville. Recette pour une mobilisation réussie.
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