Dix façons de repenser la production de nos aliments

Marie-Claude Élie-Morin
Publié le :
Mode d'emploi

Dix façons de repenser la production de nos aliments

En septembre dernier, les amateurs de viande ont dû avaler leurs burgers de travers en lisant les manchettes des journaux: du bœuf haché transformé par la firme XL Foods en Alberta était contaminé à la bactérie E. coli. Après un rappel massif et des millions de kilos de viande détruits, on a découvert des lacunes hygiéniques importantes dans l’usine, qui a repris ses activités deux mois plus tard.

Pour Roméo Bouchard, ex-agriculteur biologique et fondateur de l’Union paysanne, cette catastrophe alimentaire laisse présager des dégâts encore plus importants si l’on ne revoit pas en profondeur notre modèle de production agricole. Il propose dix façons d’amorcer le changement, ici et maintenant.



Manger moins de viande

On le répète depuis plusieurs années, la production de viande est exces-sivement énergivore. Il faut de 10 à 15 kilos de céréales et 100 000 litres d’eau pour en obtenir un kilo. Le tournant le plus important à prendre en agriculture, du point de vue de l’écologie et de la santé publique, est de diminuer notre consommation de viande. Or, les Nord-Américains l’augmentent, encouragés par les émissions de cuisine, les chaines de supermarchés et le marketing des fédérations de producteurs. C’est un discours qui doit changer, surtout lorsqu’on sait à quel point les réserves mondiales d’eau seront fragilisées par le réchauffement climatique.


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Élever autrement les bêtes que l’on mange

Ce cas récent de contamination à l’E. coli nous rappelle les risques pour notre santé de la production de viande -industrielle. Par exemple, les bœufs élevés pour l’abattage sont nourris aux grains: on veut les engraisser plus vite, d’autant plus qu’ils ne vont pas brouter de l’herbe dehors. Or, ce sont des ruminants, faits pour manger des fibres. Plusieurs recherches ont démontré qu’une telle alimentation crée une prolifération plus grande de bactéries dans leurs estomacs et leurs intestins, dont l’E. coli. Les hormones de croissance qu’on donne à ces animaux contribuent aussi à affaiblir leur système immunitaire. Dans les usines, le rythme effréné auquel sont soumis les employés des chaines de montage augmente également le risque de contamination, en favorisant les accidents.



Concentrer nos efforts sur les produits de niche

Au Québec, nous avons fait l’erreur de tabler sur l’exportation massive de produits génériques, comme le porc. Cela nous mène à un cul-de-sac. L’État québécois a englouti deux milliards de dollars depuis l'an 2000 dans ce secteur, qui est toujours en difficulté. Année après année, on sauve les producteurs de la faillite sans se questionner. On engraisse à perte des bêtes sans pour autant concurrencer les prix de géants comme le Brésil. Il faut accepter d’avoir une agriculture nordique, de petit volume, et concentrer plutôt nos efforts sur les produits de niche: appelfllations contrôlées, produits transformés, valeur ajoutée. Même les chefs de file dans le secteur constatent que c’est la voie d’avenir; le plus gros intégrateur de porcs au Québec, les viandes Du Breton, s’est doté récemment d’une porcherie entièrement biologique.



Appuyer le bio avec vigueur en y mettant l’argent qu’il faut

À en croire les médias qui montent en épingle un microphénomène, l’agriculture biologique a le vent dans les voiles. Mais dans la réalité, le nombre de producteurs biologiques au Québec stagne autour de 1 000 depuis dix ans, car les subventions sont accaparées par des fermes obéissant au modèle industriel conventionnel. Et encore, lamajorité des producteurs biologiques au Québec font du sirop d’érable! Cette faible diversité explique que l’onimporte 70% des produits biologiques que l’on consomme. Il faudrait donc soutenir systématiquement l’agriculture biologique comme modèle d’agriculture d’appellation et de proximité. Ce choix de société, des pays comme la Suisse, la France et l’Allemagne l’ont fait avant nous.



Remettre l’agriculture à l’ordre du jour politique

Lors de la campagne électorale de septembre 2012, aucun parti politique n’a parlé d’agriculture, à part pour évoquer le concept fourretout de «souveraineté alimentaire». Tous ont affirmé vouloir augmenter le nombre de produits québécois dans nos assiettes, sans chercher à définir le type d’agriculture que nous souhaitons. Le Parti libéral et le Parti québécois demeurent convaincus qu’ils ne peuvent pas gagner d’élections s’ils remettent en question le fonctionnement de la Financière agricole et le pouvoir de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Mais l’opinion publique a changé. La population est plus sensible aux impacts environnementaux de l’agriculture industrielle et voit d’un mauvais oeil les milliards en subventions versés pour sauver un modèle qui ne fonctionne pas. La classe politique doit se mettre à jour aussi.



Assoupir les règles de zonage agricole

À l’heure actuelle, il est presque impossible pour des jeunes de faire l’achat d’une petite terre agricole, en raison de certaines dispositions trop restrictives de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, qui empêchent notamment le démantèlement des grandes terres agricoles ou la commercialisation de produits directement à la ferme. Dans les faits, ces règles ne profitent qu’aux grands intégrateurs et il faut impérativement les revoir pour redynamiser nos campagnes.



Mettre à profit les connaisances de pointe en agronomie

Beaucoup de gens s’imaginent que les militants prônent le retour à une agriculture de subsistance peu performante. Au contraire, nous possédons aujourd’hui un solide savoir agronomique et des outils de pointe qui nous permettent de faire de l’agriculture biologique avec de très hauts rendements et une consommation d’eau minimale. Profitons-en.



Mettre fin au monopole syndical de l’UPA et réformer la Financière agricole

Comme l’État ne reconnait aucune autre affiliation syndicale en agriculture, l’UPA exerce un pouvoir démesuré dans toutes les décisions qui touchent l’agriculture, l’alimentation et la société rurale. Cette influence rend pratiquement impossibles la diversification de notre agriculture et un débat sain entre différentes approches agricoles. Le monopole syndical conduit aussi à un contrôle par l’UPA du conseil d’administration de la Financière agricole, qui attribue à son tour du financement uniquement aux projets qui correspondent au modèle conventionnel ou industriel.



Appliquer les recommandations de la Commission Pronovost

En 2008, la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, présidée par Jean Pronovost, a déposé son rapport final. Un chef-d’œuvre de réalisme et d’équilibre, qui tient compte des réalités multiples en agriculture, des grandes fermes industrielles comme des petits producteurs, et de l’urgence de débloquer la voie pour aller vers une plus grande diversification. Ce rapport dort malheureusement sur les tablettes depuis. Nous devrions exiger que les recommandations qu’il contient soient remises à l’ordre du jour.



Agir avant qu’il ne soit trop tard

Il est difficile d’être optimiste, ces jours-ci. L’Union paysanne a été fondée en 2001, et force est de constater que les choses n’ont pas tellement bougé depuis. Pourtant, il est évident qu’en maintenant le modèle agro-alimentaire actuel et son intégration à la grandeur du continent nord-américain, nous fonçons à pleine vitesse dans un mur sur les plans écologique, social et de la santé publique. Déjà, le prix du pétrole et la raréfaction des ressources d’eau propre, les pertes en bio-diversité et la pollution des cours d’eau par les intrants chimiques sont des sirènes d’alarme. Ce système finira par mourir de lui-même, puisqu’il n’aura plus les moyens de se perpétuer—mais -pourrons-nous réparer les dommages qu’il aura causés avant de s’écrouler? 


Marie-Claude Élie-Morin est journaliste indépendante et recherchiste. Plus tard cette année, TV5 diffusera la série documentaire Miroir, portant sur le culte des apparences, pour laquelle elle a réalisé la recherche et les entrevues.

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