Filles d’aujourd’hui

Élise Desaulniers
 credit: Illustration: Mathieu Lavoie
Illustration: Mathieu Lavoie
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Commentaire

Filles d’aujourd’hui

Avec la série Girls, Lena Dunham fouille le rapport des femmes à leur corps, ainsi que les joies et misères de l’exploration sexuelle dans la vingtaine. Portrait d’une série télé irrévérencieuse—et fort libératrice. 

Considéré dans ce texte

Girls et Lena Dunham. L’étiquette en matière de sexe à la télé. La vingtaine. Le Gatorade, la limonade et les expériences de vie significatives.

La vie d’un groupe d’amies dans la vingtaine habitant à New York»: sur papier, la série télé Girls a tout pour être insupportable. Les péripéties de copines sont en voie de devenir le pendant rose du sexe, du sport et du sang avec des thèmes récurrents: la beauté, les petits conflits, la difficulté à trouver l’amour. J’ai vu suffisamment d’épisodes de Gossip Girl chez ma manucure pour me convaincre de me tenir loin des épigones de Sex and the City (et des salons d’esthétique qui laissent la télé allumée).

Il m’aura fallu une sorte d’intervention divine—une conférence où l’auteure et professeure de littérature Martine Delvaux évoquait la série—pour oser lancer un téléchargement. Dès les premières minutes, j’ai compris que Girls est tout ce que les séries de filles ne sont pas.

Au lieu de la séance d’essayage d’escarpins, la série s’ouvre sur un repas au restaurant que partage la protagoniste, Hannah Horvath, avec ses parents. Pressé par sa femme, son père lui annonce qu’ils ont quelque chose à lui dire. Visiblement mal à l’aise, il crache le morceau: il est temps de donner à Hannah une «poussée finale». Une poussée finale? Sa mère clarifie: «Nous n’allons plus te soutenir financièrement.» Deux ans après être sortie de l’université, Hannah n’a toujours pas de boulot payant. Elle les implore de reculer. Pas la peine d’argumenter, sa mère maintient sa décision: «Plus d’argent.» Découragée, Hannah avise ses parents qu’elle ne pourra pas les voir le lendemain parce qu’elle sera occupée à «devenir qui elle est».

La série tourne autour de cette recherche de soi. D’abord avec Hannah, l’aspirante écrivaine, obsédée par sa personne et fascinée par cette obsession, qui s’inspire de ses amies pour écrire. Ces personnages secondaires s’étoffent et se densifient au fil des épisodes: il y a Marnie, la beauté classique, émule de Kate Middleton, responsable, conformiste et contrôlante; Jessa, une enfant dans un corps d’adulte qui vit en faisant abstraction de toute règle et de tout principe, souvent guidée par ses pulsions sexuelles; et Shoshanna, la cadette du groupe, un peu naïve et girly, fan de Sex and the City.

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Toutes sont à la recherche de leur place dans le monde, recherche menée en parallèle avec la lutte pour leur survie financière: voilà les thèmes principaux de Girls, explorés à travers une succession de relations peu satisfaisantes et de non-évènements pour le moins intéressants, avec Brooklyn comme trame de fond. Ce sont ces rencontres et tout particulièrement les rencontres sexuelles qui m’ont d’abord séduite. Les filles d’aujourd’hui utilisent le sexe pour apprendre à se connaitre, à devenir qui elles sont. En ce sens, Girls vise juste: les expériences sexuelles sont souvent les plus prenantes et complexes que vivent les filles de 25 ans. Au lieu du sexe décoratif placé au bout d’une soirée bien arrosée, on nous montre des aventures sexuelles riches et signifiantes.


Cette proposition audacieuse, qui prend les clichés à rebrousse-poil et ose provoquer des malaises, est l’œuvre d’une jeune Américaine d’à peine 27 ans, Lena Dunham [voir bio en encadré]. Elle en est la conceptrice, l’auteure et la réalisatrice. Elle y tient aussi le rôle principal, celui d’Hannah. En 2010, Dunham s’était fait remarquer avec un premier long métrage, Tiny Furniture, comédie dramatique tournée dans le loft de ses parents, où elle tenait déjà le premier rôle. Tiny Furniture a remporté le prix du meilleur film au festival South by Southwest, dont l’un des volets s’intéresse aux jeunes réalisateurs. Quelques mois plus tard, Dunham obtenait le feu vert de la chaine hbo pour tourner un pilote de Girls, soutenue par Judd Apatow comme producteur. Apatow est considéré comme un prodige dans le milieu de la comédie: il est notamment derrière The Ben Stiller Show et le film Bridesmaid.

La suite relève du conte de fées. Girls est acclamée par la critique, une deuxième saison est diffusée et une troisième est en tournage. Au printemps dernier, Dunham décrochait le Golden Globe de la meilleure actrice dans une série musicale ou comique. Elle est également devenue la première femme à remporter le prix du meilleur réalisateur de série au Directors Guild of America, et elle vient tout juste de signer un contrat de 3,6 millions$ pour un premier livre. Pas mal comme début de carrière, pour une quasi-autodidacte qui s’est d’abord lancée dans l’écriture et la réalisation afin de se donner des rôles comme actrice, de peur qu’on la cantonne à celui de «l’amie vulgaire qui se tient à côté du buffet».


Porter moins de maquillage à l’écran que dans la vraie vie

Le physique de Lena Dunham ne correspond effectivement pas aux standards de la télé. Un peu ronde, avec un sourire qui n’est pas passé entre les mains d’un orthodontiste, elle détonne. Aux côtés de Christina Hendrix, la voluptueuse rousse de Mad Men, elle est l’une des rares actrices (légèrement) rondes qu’on peut voir dans un rôle important à l’écran. Mais, contrairement à Hendrix, Dunham n’est pas une icône sexuelle. Sa photo figure régulièrement dans les pages de fashion faux pas des magazines, et elle porte encore moins de maquillage à l’écran que dans la vraie vie.

Plutôt que de masquer son corps, Lena Dunham le dévoile. Elle multiplie les scènes de nudité et les prises de vue peu flatteuses. Ses shorts fleuris laissent paraitre des traces de cellulite et lorsqu’elle sort du lit, aucun drap n’empêche ses seins de s’affirmer. Elle mange des cupcakes dans son bain et envoie des photos d’elle nue par texto à son amant. Ni mannequin, ni obèse de service, le personnage d’Hannah a simplement l’air d’une personne ordinaire.

On sent dans Girls une volonté de «désérotiser» le corps féminin, de le soustraire aux contraintes esthétiques dominantes et aux impératifs commerciaux. Lena Dunham refuse d’avoir honte de ses rondeurs, et sa nudité ne se limite pas aux scènes de sexe. Ce changement de paradigme suscite des réactions polarisées. Alors que de nombreux analystes félicitent Dunham, il provoque ailleurs malaises et railleries. Howard Stern l’a traitée de «little fat chick», d’autres ont été dégoutés et ont écrit qu’elle ferait mieux de se rhabiller et de s’abonner au gym.

Mais si Lena Dunham se dévoile, ce n’est pas seulement pour montrer que les femmes n’ont pas toutes des corps parfaits. C’est aussi pour révéler une vérité sexuelle inédite: «Je trouvais que les représentations sexuelles que j’avais vues à la télé n’étaient pas correctes à l’endroit des jeunes femmes qui essaient de comprendre quelque chose à tout ça. Je ne l’ai pas fait pour provoquer. Je l’ai fait pour éduquer.»

On baise, dans Girls, mais on ne fait pas dans la porno. En même temps, on s’en inspire: rapports de pouvoir genrés, reprises de scénarios en vogue sur le web, décors glauques, dialogues malhabiles et explicites. Lena Dunham emprunte des éléments de l’esthétique pornographique pour montrer la réalité de la sexualité des filles et la complexité de leurs relations amoureuses. Margaret Talbot, journaliste au New Yorker, y voit du «sexe solipsiste de niche dont les attentes proviennent de la porno». Une formulation élégante pour parler de l’égotisme de ceux qui ont découvert le sexe à travers les films XXX et qui essaient d’entrainer leurs partenaires dans des enchainements inspirés de YouPorn. Le résultat: des scènes de sexe où l’excitation laisse vite place au malaise et un antidote à l’habituelle pudeur hollywoodienne. Au fil des épisodes, on découvre un éventail d’expériences sexuelles qui sont, au mieux, plutôt banales et, au pire, particulièrement étranges, voire désagréables.


Tu veux du Gatorade?

Hannah fréquente Adam, un grand brun musclé aux oreilles décollées. Ils sont amants et Hannah avoue ne l’avoir jamais vu en dehors de chez lui, ni avec un chandail sur le dos.

Le sexe dépeint dans Girls est cru. On ne montre pas au spectateur ce qu’il veut voir, on montre ce qui est nécessaire à la narration.

Le second épisode de la première saison s’ouvre sur le couple dans la position du missionnaire, dans la chambre d’Adam. On voit les deux personnages de profil, dans la pénombre. Le rythme est rapide, la respiration, haletante. Adam demande à -Hannah si elle aime ça. Oui, elle aime tout ce qu’il lui fait. Il continue quelques instants et se redresse:

—Quand je t’ai vue, j’ai su que t’aimerais ça.

—Vue où?

—Dans la rue, tu marchais seule.

—On ne s’est pas rencontrés dans la rue. On s’est rencontrés dans une fête.

Hannah hésite avant de comprendre le jeu où veut l’entrainer Adam. Elle se ravise:

—Oui, dans la rue...

—Tu étais une droguée d’à peine 11 ans. Tu avais ta maudite boite à lunch de bout de chou.

—J’étais terrifiée en te voyant.

—T’es juste une petite salope. Je vais te renvoyer chez tes parents, couverte de sperme.

—Fais pas ça. Ils vont être vraiment fâchés.

Adam se retire brusquement.

—Où veux-tu que je vienne?

—Où? Quels sont mes choix?

Il enlève son condom, commence à se -masturber et s’assoit sur Hannah.

—Tes seins?

—On dirait que tu veux venir sur mes seins. Viens sur mes seins. J’attends juste ça et t’es parti pour le faire.

—Touche-toi.

—Où?

—Tu le sais bien. Touche-toi.

—C’est difficile dans cette position.

La respiration d’Adam est haletante et il place sa main sur la gorge d’Hannah.

—À partir de maintenant, il faut que tu me demandes la permission pour jouir. Si tu te touches et que tu vas jouir, il faut que tu m’appelles avant.

—Tu veux que je te téléphone?

Adam ne répond pas et déplace sa main sur le visage d’Hannah, comme pour la faire taire. Il lui écrase la tête dans l’oreiller pendant qu’il se masturbe frénétiquement.

—Je vais te faire le continent africain sur le bras... ah fuck.

Et il jouit d’un cri. Hannah reprend son souffle.

—C’était vraiment bon. J’ai presque joui.

—Tu veux un Gatorade?

—À quoi?

—Orange.

—Euh, non merci. Ça va.

Dans la scène suivante, on retrouve -Hannah sur le pas de la porte. Elle est sur le point de partir et s’assure qu’elle n’a rien oublié. Adam est resté dans le lit et lui fait dos. Il lui demande où elle va.

—Tu ne te souviens pas? Je suis une petite salope qui rentre chez ses parents couverte de sperme. De ton sperme.

—Pardon?

—Je blaguais avec ce que t’as dit hier soir. Que t’allais me renvoyer couverte de sperme.

Adam ne comprend pas et la fixe, silencieusement. Hannah reprend alors la conversation sérieusement et décrit les plans de sa journée: un entretien d’embauche et l’avortement de son amie Jessa.


Alors qu’on pense avoir tout vu à la télévision, Lena Dunham parvient encore à nous déstabiliser. Le sexe dépeint dans Girls est cru. On ne montre pas au spectateur ce qu’il veut voir, on montre ce qui sert la narration. Cette dernière scène n’est pas un simple épisode de domination/soumission à la Fifty Shades of Grey, mais plutôt -l’expression de toute la complexité de la relation entre Adam et Hannah. Alors qu’Adam est perdu dans ses fantasmes et ses pensées, Hannah prend des notes mentales. L’auteure, en retrait, griffonne dans son carnet pendant que les autres ont du plaisir. Hannah ne partage pas tout à fait l’abandon d’Adam, et ça nous dérange. Mais elle n’est pas pour autant la victime; elle est simplement en train de se demander ce qu’elle veut et ce qu’elle fera de cette relation.

Les aventures sexuelles des personnages de Girls sont montrées comme des expériences de vie significatives, pas comme un passetemps ou une simple recherche de plaisir. Le sexe est la seule sphère de leur vie où les Girls sont entièrement libres d’expérimenter. Lorsque la porte de la chambre à coucher est fermée, elles peuvent être qui elles veulent. Hannah se réfugie chez Adam pour s’éloigner du loyer à payer et se laisser tomber dans le vide, dans les bras de son amant qui lui dit quoi faire et quand jouir. Elle propose à son patron, qui fait des attouchements aux filles du bureau, de passer à l’acte parce que «les adultes essaient des choses», et accepte de sortir avec un pharmacien du Wisconsin pour voir à quoi ressemble une date «ordinaire». Quant à Marnie, après quatre ans passés avec un Charlie fou d’elle qui la baisait sans enthousiasme, elle cède aux avances de Booth Jonathan, un artiste en vogue qui l’a prévenue: «La première fois où je vais te baiser, ça va peut-être t’effrayer un peu parce que je suis un homme et que je sais comment faire les choses.» Le sexe est décevant, mais elle gagne la possibilité d’être vue à ses côtés et d’organiser un vernissage.

En matière de relations, les comédies romantiques ne font pas dans la nuance. Elles ne montrent pas comment des relations non binaires peuvent être enrichissantes. Pourtant, notre vie en est remplie.

Le New York Times consacrait récemment un article à la vie sexuelle des étudiantes de l’université Penn State. La journaliste Kate Taylor a interviewé une soixantaine d’entre elles pour conclure que les hommes n’étaient pas les seuls à souhaiter du sexe sans attache. Les étudiantes y trouvent aussi leur compte: une vie sexuelle satisfaisante, sans perdre de temps à gérer une relation amoureuse. Dans ces milieux hautement compétitifs, étoffer son cv semble plus urgent que de se trouver un copain (ou, pire, un mari). Pour ces jeunes femmes privilégiées, la vingtaine est une étape décisive de leur vie où elles ne devraient pas avoir d’autres préoccupations que leur développement personnel.

On le voit bien, la vingtaine est une page blanche où on peut écrire, raturer et ré-écrire sa vie à souhait. Après s’être fait dire quoi faire depuis leur naissance, les Girls s’accordent le droit de décider par elles-mêmes et de vivre leurs propres expériences. Coucher, c’est prendre le contrôle de sa vie. L’égalité des sexes nous aura apporté le plein pouvoir sur notre corps et par le fait même sur notre existence.


Prendrais-tu une limonade?

À la mi-temps de la seconde saison, Hannah fait l’expérience d’une nouvelle vie qui occupera tout un épisode, une sorte de parenthèse à la fois dans son existence et dans la série. Tout commence au Grumpy, le café où elle travaille. Un homme arrive, la quarantaine, regard franc et col en V. Il se plaint calmement d’avoir trouvé des sacs contenant les déchets du café dans sa poubelle. S’ensuit une querelle avec Ray, le gérant, qui refuse de prendre toute responsabilité. Le ton monte et l’homme tourne les talons, en colère. Hannah n’a pas supporté la scène: «C’était horrible à regarder, dit-elle au gérant. C’est un environnement de travail toxique. Tu sais quoi? Je démissionne.»

On la retrouve dans la rue, s’avançant vers une porte avant d’y sonner. Elle s’apprête à repartir, comme si elle ne s’attendait pas à une réponse, mais la porte s’ouvre. C’est l’homme du café, un verre de limonade à la main: «Hey! Est-ce qu’on se connait?» Hannah, embarrassée, lui explique qu’elle travaille au Grumpy et qu’elle a quelque chose à lui avouer. L’homme l’invite à entrer. Elle hésite: «Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Je veux dire, vous êtes un inconnu, je pourrais me mettre dans une situation à la Ted Bundy [ndlr: le fameux tueur en série]. Lui aussi était beau, propre... et avait probablement une maison en pierre brune.» À peine a-t-elle terminé sa phrase qu’elle s’avance d’un pas décidé et passe sous le bras de l’homme qui tient toujours la porte. Elle traverse le salon aux murs blancs, où trône un piano à queue, et s’arrête.

—OK, cet endroit est incroyable.

—Oh, merci! Ça s’en vient. Prendrais-tu une limonade?

—Mmm mmm.

Après plusieurs secondes et quelques gorgées, elle finit par admettre qu’elle est responsable des déchets. Et que si elle a choisi cette maison-ci, c’est qu’elle en aimait l’apparence. Elle s’excuse, les deux en rient et elle remet son verre de limonade «qui est aussi très beau, comme tout ce que tu sembles posséder».

Un moment de silence s’installe. Plutôt que de se diriger vers la porte, elle s’avance vers l’homme et l’embrasse. Puis elle recule: «Je suis tellement désolée. C’était vraiment stupide de faire ça... Je comprendrais si tu voulais me faire arrêter parce que...» L’homme l’embrasse à son tour, la prend dans ses bras, l’assoit sur le comptoir de la cuisine, et ils continuent de s’embrasser.

L’épisode s’appelle One man’s trash, un clin d’œil à l’expression «One man’s trash is another man’s treasure» (les déchets des uns font le bonheur des autres). Hannah passera deux jours chez cet homme, Joshua, un séduisant médecin de 42 ans récemment séparé. Ils font l’amour, mangent des steaks, lisent le journal et jouent au pingpong à moitié nus. En entrant chez Joshua, Hannah a mis le pied dans un univers parallèle. Joshua est riche, sa maison est magnifique, il prend soin d’elle, la fait jouir, lui dit qu’elle est belle. Tout le contraire de sa vraie vie.

Chose rare dans Girls, la première fois d’Hannah et de Joshua n’a pas été montrée à l’écran. Nous les avons plutôt retrouvés après, alors qu’ils se rhabillent. La seconde fois, Joshua enlève son T-shirt et s’étend sur le dos. Hannah lui défait sa ceinture, et on devine qu’elle va lui faire une fellation, mais sa tête reste hors champ. Joshua est visiblement excité: «Je veux que tu me fasses jouir, OK, fais-moi jouir Hannah.» Une scène de sexe classique qu’on a vue 1 000 fois à la télé. Mais Dunham ne s’arrête pas là. Le visage d’Hannah revient à l’écran alors qu’elle demande à Joshua de la faire jouir. Elle se met sur le dos, Joshua s’exécute avec ses doigts. On est toujours dans le même plan-séquence; la caméra s’approche lentement d’eux pendant qu’ils s’embrassent. Hannah atteint l’extase. En fin de compte, on ne les verra réellement faire l’amour que quelques secondes... sur la table de pingpong, entre deux matchs.

Dans Le magicien d’Oz, on comprend que ce que l’on doit retenir des mondes parallèles nous sert dans le vrai monde. L’expérience que vit Hannah auprès de Joshua pourrait bien donner un sens à son existence. Après avoir passé presque deux jours dans cette maison de rêve, dans les bras d’un homme de rêve, Hannah comprend qu’elle mérite mieux:

—Ne le dis à personne, mais je veux être heureuse.

—Évidemment. Tout le monde est comme ça.

—Oui, mais je ne pensais pas que je voulais ça. J’ai fait la promesse il y a longtemps que je ferais des expériences, toutes les expériences, pour pouvoir les raconter aux autres et peut-être les sauver. Mais ça devient fatigant. Essayer de vivre toutes les expériences, pour tout le monde, laisser n’importe qui me dire n’importe quoi... Et je suis venue ici. Et je t’ai vu, et tu as un bol de fruits, un frigo bien rempli, ce peignoir, et tu me touches d’une façon... Je réalise que je ne suis pas différente, tu sais? Je veux ce que tout le monde veut. Je veux toutes les choses. Je ne veux qu’être heureuse.

Contrairement à Carrie Bradshaw, Hannah Horvath ne croit pas au prince charmant.

Ce que Hannah a réalisé lors de cette rencontre, c’est qu’elle était profondément seule, que ce dont elle avait vraiment besoin, c’était de regarder quelqu’un et d’avoir la conviction que cette personne sera près d’elle lorsqu’elle vieillira. La succession d’expériences est éprouvante. Le sexe sans lendemain, c’est aussi des rencontres dégradantes, de la détresse émotionnelle et de l’isolement.

Le jour suivant, Hannah se réveille dans le lit de Joshua, parti travailler. Piano mélancolique en trame de fond, on la voit aller chercher le journal, se préparer des rôties et déjeuner en lisant sur la terrasse. Elle prend le temps de faire le lit et le tour de la maison. Avant de sortir, elle se ravise et va chercher un sac de déchets qu’elle dépose dans la (bonne) poubelle. Puis elle retourne chez elle. Elle sait maintenant ce qu’est l’intimité. C’est une adulte responsable.


Montrer les relationspar le sexuel

Au début de la première saison, on retrouve Hannah, Shoshanna et Jessa assises sur un banc de parc. Hannah a du mal à comprendre comment Adam peut disparaitre et ne pas répondre à ses textos. Si ce n’était le gros bleu sur l’une de ses fesses, elle croirait même qu’elle l’a inventé. C’est alors que Shoshanna sort de son sac un bouquin rose fluo intitulé Listen Ladies: A Tough Love Approach to the Tough Game of Love. Elle fait la lecture du manuel de psycho-pop à ses copines: «Quand un gars ne te propose pas de rendez-vous, c’est qu’il n’est pas intéressé», «Le sexe par en arrière est dégradant: vous méritez quelqu’un qui veut regarder votre beau visage.» Jessa est sceptique: «Cette femme ne s’intéresse pas à ce que je veux.» S’ensuit un échange entre les filles. À qui s’adresse ce livre? Qui sont les ladies du titre? Pour Shoshanna, elles sont toutes des ladies. Jessa, elle, refuse l’étiquette: «Chaque fois que je baise, c’est mon choix.»

Listen Ladies, c’est aussi l’habituelle trame de fond des comédies romantiques. On peut multiplier les aventures sexuelles, mais c’est pour nourrir les discussions au brunch et dans l’espoir de tomber sur le bon gars avec qui s’installer. Et lorsqu’une fille sort avec le mauvais, on l’encourage à le laisser et à poursuivre la recherche du père de ses enfants. En matière de relations, les comédies romantiques ne font pas dans la nuance. Elles ne montrent pas comment des relations non binaires peuvent être enrichissantes. Pourtant, notre vie en est remplie.

Contrairement à Carrie Bradshaw, Hannah Horvath ne croit pas au prince charmant. Elle ne laissera pas son numéro à Joshua (elle rappelle plutôt Adam). Girls est une série postrévolution sexuelle. Lena Dunham a compris que la révolution sexuelle ne se vit pas tant dans les rapports charnels que dans les rapports humains. Les hommes et les femmes sont libres de créer une multitude de relations, avec ou sans désir sexuel, amitié, tendresse ou lien romantique. Devant cette liberté, on peut choisir, à l’instar de Jessa, de multiplier les aventures. On peut aussi, comme le souhaite Shoshanna, essayer de construire des rapports durables. Mais la question est secondaire. On peut simplement profiter de cette liberté durement acquise comme d’un moyen pour explorer des relations riches, brèves, ratées, satisfaisantes ou honteuses, mais toujours singulières. C’est exactement ce que nous montre Girls. Ces filles d’aujourd’hui, ce ne sont pas des ladies.


Après avoir publié Je mange avec ma tête et Vache à lait, deux essais sur les questions éthiques liées à l’alimentation, Élise Desaulniers cherche à se refaire des amis en abordant des sujets plus consensuels.

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