L'ombre du succès

Octobre 2016. Fabian piétinant un champ de maïs transgénique tout juste labouré dans la province agricole d’Entre Ríos, à 300 kilomètres au nord de Buenos Aires.
Octobre 2016. Fabian piétinant un champ de maïs transgénique tout juste labouré dans la province agricole d’Entre Ríos, à 300 kilomètres au nord de Buenos Aires.
Photos: Pablo E. Piovano
Publié le :
Photoreportage

L'ombre du succès

ARGENTINE – Dernier témoignage d’un militant engagé contre l’usage massif de produits chimiques dans les champs de son pays.


Longtemps en première ligne des manifestations contre l’épandage de pesticides en Argentine, Fabian Tomassi est l’une des figures de proue de ce combat. En 2016, il avait accordé une longue entrevue à ce sujet à Nouveau Projet—l’une de ses dernières. Il s’apprêtait alors à témoigner au premier procès citoyen contre la firme Monsanto, organisé à La Haye, aux Pays-Bas. Rongé par une maladie dégénérative causée par une exposition prolongée à ces produits, il avait dû renoncer à se déplacer. Il est décédé en septembre 2018, à l’âge de 53 ans.

Jusqu’au bout, il s’est accroché à la vie, investi d’une mission: porter la voix des milliers d’Argentins intoxiqués. «Je ne veux pas avaler mes mots, je veux les crier, a-t-il écrit à la fin de ses jours. Je suis la face cachée du succès. Je ne laisserai pas ceux qui s’enrichissent me faire taire.»

En 1996, l’Argentine a été l’un des premiers pays au monde à approuver la culture et la commercialisation à grande échelle de soja transgénique, une semence spécialement conçue par Monsanto pour supporter les effets d’un désherbant désormais notoire, le Roundup. Le pays est aujourd’hui le premier producteur de farine et d’huile de soja au monde. Mais c’est aussi un vaste laboratoire à ciel ouvert pour divers géants de l’agrochimie. En 20 ans, l’usage de pesticides et d’herbicides en tout genre y a bondi de 1057%. Chaque année, 370 millions de litres de ces produits y sont répandus.

Simple travailleur agricole, Fabian est devenu un cobaye bien malgré lui. «Je devais ouvrir les seaux de pesticides déposés près des avions, les verser dans des barils de 200 litres d’eau et envoyer le mélange dans les cuves avec un tuyau d’arrosage», expliquait-il. Des années plus tard, même si le corps ne suivait plus, l’esprit demeurait vif et l’homme égrenait encore sans peine la longue liste de produits aux noms imprononçables qu’il a manipulés sans protection pendant des années. Parmi ceux-ci, le célèbre glyphosate, le produit clé du Roundup, mais aussi des polychlorobiphényles (PCB) et de l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique, un composant de l’Agent orange utilisé durant la guerre du Vietnam.

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