Pelleteurs de nuages

Laurence Butet-Roch
Photo: Laurence Butet-Roch
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Photoreportage

Pelleteurs de nuages

Sur le Chemin de Saint-Rémi, les histoires personnelles se révèlent pas à pas, à la cadence des marcheurs, tantôt vigoureux, tantôt fatigués. Portraits.

Considéré dans ce texte

L’histoire populaire du Québec. La spéléologie. La sérénité qu’on ne trouve que dans la lenteur. Les beaux habits d’un vieux garçon. L’attachement viscéral à la terre et au territoire.

Quelques centaines de kilomètres séparent SaintAdrien, situé en Estrie, de Sainte-Florence, village niché au creux de la vallée de la Matapédia, en Gaspésie. En voiture, le paysage défile à toute allure. À pied, le parcours se fait en une quarantaine de jours et mène à la découverte d’un territoire mi-sauvage, mi-cultivé, habité par des Québécois hardis et rêveurs, à l’image de leurs ancêtres.

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Pendant trois ans, Louise Bourgeois et Stéphane Pinel ont dessiné le Chemin de Saint-Rémi, mus par le désir d’honorer le passé et de faire connaitre des régions moins fréquentées. Pas à pas, tel le Survenant du roman de Germaine Guèvremont, ils ont convaincu les maires de 54 municipalités de s’associer au projet. Puis, en mai dernier, quelques dizaines de pèlerins ont suivi leurs traces, dans le cadre d’une marche inaugurale faisant office d’essai. Huit d’entre eux, avec une confiance mêlée d’insouciance, ont parcouru le chemin d’un bout à l’autre. Si chacun a entrepris le périple pour des raisons bien personnelles, tous étaient propulsés par le même brin de folie, convaincus qu’à travers cet éloge de la lenteur, ils trouveraient une certaine sérénité. Les pelleteurs de nuages, ce sont aussi et surtout les gens croisés tout le long du chemin, des hommes et des femmes qui ouvrent leur porte aux marcheurs fatigués par la journée passée à écumer les routes de campagne. Écouter les récits des uns et des autres donne un aperçu de l’histoire populaire et des défis actuels du Québec.

  • Fervent marcheur depuis qu’il a parcouru le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, il y a 15 ans, Yvon tenait à faire partie des premiers à accomplir son équivalent québécois; une manière pour lui de célébrer toutes ses années de pèlerinage à l’étranger et de partager avec ses compatriotes l’expérience acquise lors de ses différents périples. À 69 ans, il est le doyen du groupe et aide les novices à trouver leur rythme. Par moment, il leur prête son bâton taillé sur mesure pour les encourager à garder la cadence. Entre Saint-Philémon et Saint-Paul-de-Montminy, 16e jour de marche. Juin 2015.
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  • Traces de pas. Entre Saint-Jacques-le-Majeur-de-Wolfestown et Irlande, 3e jour de marche. Mai 2015.
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Fernand habite sur le haut de la « côte à Bonito », sur le terrain en face de celui qui l’a vu grandir. Quand il était bucheron, il passait au moins la moitié de l’année en Colombie-Britannique : « Le travail était exigeant, les arbres, énormes, mais la paie était en conséquence, meilleure qu’au Québec », dit-il. Malgré tout, il n’a jamais envisagé de délaisser complètement sa province natale. Aujourd’hui à la retraite, il se consacre à ses chevaux, qu’il attèle à une petite carriole dans laquelle les promeneurs sont invités à monter. Les Hauteurs, 35e jour de marche. Juin 2015.

  • À 20 ans, Alain s’est découvert une passion pour les grottes en apprenant l’existence de celle dite « des fées », près de chez lui, à La Rédemption. « Plonger au cœur d’une caverne comme celle-ci, c’est prendre contact avec son propre intérieur », explique l’ancien prospecteur minier. Bien qu’il estime être de nature introvertie, voilà plus d’une quarantaine d’années qu’il accompagne d’autres amateurs de spéléologie dans le ventre de la terre. Il considère ce trou de plus 04 de 45 mètres de profondeur comme sa deuxième maison. La Rédemption, 37e jour de marche. Juin 2015.
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  • Camp de chasse. Entre Ham-Nord et Saint-Jacques-le-Majeur-de- Wolfestown, 2e jour de marche. Mai 2015.
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Alors que bien des familles d’agriculteurs peinent à trouver une relève, les propriétaires de la ferme Le Broutard des Appalaches peuvent compter sur leur fils, Alexis. Lors d’une commission parlementaire en février 2015, le Conseil du patronat du Québec a suggéré d’utiliser les fonds consacrés au soutien des municipalités dévitalisées pour réinstaller leurs habitants ailleurs. Une proposition qui a enragé les résidents d’Esprit-Saint et leur a rappelé un moment important de leur histoire: dans les années 1960, le gouvernement de la province avait ordonné la fermeture de 96 communautés, dont la leur. La population locale avait résisté et lancé les Opérations Dignité, qui étaient parvenues à faire fléchir les autorités. Comme ses ancêtres, Alexis tient à sa terre : «Je ne peux même pas imaginer vouloir vivre ailleurs. Regarde autour de toi, ici, c’est le paradis.» Esprit-Saint, 32e jour de marche. Juin 2015.

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Étudiante en pharmacie, Sophie, 25 ans, s’est jointe aux pèlerins du Chemin de SaintRémi pour les 15 derniers jours, immédiatement après avoir terminé sa session. Stressée par les cours et la vie urbaine, elle avait besoin de s’évader pendant quelque temps et de renouer avec la nature et le calme. Sainte-Florence, 42e jour de marche. Juin 2015.

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  • Cahier des visiteurs. Saint-Jacques-le-Majeur-de-Wolfestown, 3e jour de marche. Juin 2015.
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Perché sur le haut de la maison qu’il rénove, Dominique sonde les alentours. Il rêvait de restaurer une des demeures du village depuis son enfance: «Elle appartenait à un docteur, dont le portrait trône toujours au grenier, avant d’être habitée par un vieux garçon. Je le voyais souvent sur la galerie, tiré à quatre épingles, les chaussures cirées, une chemise blanche sur le dos et le pantalon repassé. Mais à l’intérieur, tout était très sale. Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences», révèle le jeune homme. Saint-Philémon, 15e jour de marche. Juin 2015.


  • L’église de Saint-Léon-de-Standon avait d’abord été construite sur le terrain de Jean-Baptiste Nadeau, situé en hauteur. « L’histoire raconte que le prêtre ne voulait pas grimper la côte en plein hiver et qu’il a exigé que le lieu de culte soit déplacé près de la rivière, confie Françoise, l’arrière-petitef ille du cultivateur. Ils ont même utilisé le bois de l’ancienne chapelle pour construire le presbytère. » Le clergé a encore fait des siennes dans les années 1930 et 40, en aménageant un cimetière sur un site souvent mis à mal par la crue des eaux, contre la volonté des paroissiens. Le temps venu, ceux-ci ont refusé d’y enterrer leurs proches, lui préférant un autre lieu. Saint-Léon-de-Standon, 12e jour de marche. Juin 2015.
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« S’il vous plait, laissez la porte ouverte », demandait la jeune Laurence Butet-Roch à ses parents quand venait le temps de se coucher. Elle n’avait pas peur du noir; elle voulait seulement pouvoir regarder sa télésérie préférée, Scoop. Vingt ans plus tard, elle est journaliste et photographe indépendante, et s'intéresse aux questions identitaires.

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