Les lectures de Marc Séguin

Marc Séguin
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Les lectures

Les lectures de Marc Séguin

À chaque numéro, Nouveau Projet vous permet de plonger dans l’univers littéraire d’une personnalité publique. Cette fois-ci, nous vous proposons les lectures de l’artiste visuel et auteur Marc Séguin.

Il y a des lectures qui forcent l’humilité. Sabbath’s Theater (Houghton Mifflin Harcourt, 1995) de Philip Roth en est un exemple. C’est l’histoire de Mickey Sabbath (inspirée de la vie de R.B. Kitaj, peintre juif américain), qui se questionne sur sa relation au monde. Ce marionnettiste, toujours anti-social et libidineux à 64 ans et soupçonné d’avoir assassiné sa femme, a raté son destin d’incarner le «Big bird» de Sesame Street. Ce qui fascine le plus dans ce récit, c’est l’extraordinaire capacité de l’auteur à inventer les détails de la vie de ses personnages. En peinture, on dirait de lui qu’il a une palette infinie, qu’il a surtout compris que c’est à partir de 22 gris ou 17 bleus ou 32 rouges que se construisent les vies. Une impressionnante virtuosité de tonalités. Les mensonges sont si bien rendus qu’ils deviennent vrais.

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J’adore les liens, surtout ceux qu’on découvre par hasard. Dans Sabbath’s Theater, une citation de Kant réfère à la traduction française de la Critique de la raison pratique, réalisée par Luc Ferry en 1989. Et bien justement, à la suite d’une discussion récente sur la foi avec une connaissance très très riche et très très catholique—ce qui étonne toujours, d’ailleurs—, cette dernière a cru bon me faire parvenir un livre-essai réunissant une série de conférences du philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale de France, ce même Luc Ferry.

La tentation du christianisme (Grasset, 2009) est une fascinante démonstration de la construction du christianisme, depuis les pratiques folklorisantes et rassurantes du premier siècle de notre ère. Quand on referme le livre, on comprend brusquement que la foi n’a rien à voir avec les levures dont nous bourrent les pouvoirs religieux et politiques. Mais surtout, on saisit «comment le christianisme a fait pour passer d’un statut de secte à celui de Civilisation».

Sans spiritualité, c’est dans la sur-explication de Soi qu’on cherche du sens. Par les mots, qui sont comme le Polysporin des gens qui ont toujours raison. A Widow’s Story (Ecco, 2011) de Joyce Carol Oates (jco) est le récit hallucinant d’une femme qui perd son mari subitement. jco fait partie de l’élite littéraire américaine. Ce drame, autobiographique, est la radiographie d’une Amérique qu’on ne connait pas: l’Amérique intellectuelle, complètement dépourvue de sens pratique et d’expérience émotive. jco met à nu l’échec des mots, des prix, de l’érudition et de la gloire devant la mort. On souffre avec elle, mais on souffre surtout de la voir perdre ses moyens. On se surprend à penser qu’une ouvrière d’usine réussirait à mieux gérer la mort de son mari. jco nous avait tant habitués au contraire. Et puis sa tristesse qui devient une telle charge... Les anti-dépresseurs, l’aveu de sa détresse, comme une peine d’amour adolescente et absolue. Comment survivra-t-elle à la perte de l’être dont elle ne peut concevoir l’absence? On se dit qu’elle s’enfermera dans le silence. Écrira-t-elle seulement encore?

  • Photo: Cindy Boyce

Et puis, la réalité: en septembre dernier, par l’entremise d’une amie, une ancienne étudiante de jco à Princeton, vous la rencontrez à votre vernissage. Elle est radieuse et vous présente... son nouveau mari!

Entre les livres offerts et ceux qu’on achète, il y a aussi ceux dont on ignore la provenance. Un jour d’octobre 2012, sur la table de mon bureau à la maison, sont apparues Les Fables de La Fontaine, texte intégral de plus de 400 fables, avec 320 illustrations de Gustave Doré. Entre les sourires amusés et les moments graves de ces lectures, il n’y a que du bonheur. D’abord celui de ne pas comprendre d’où vient le livre, de ne pas demander, évidemment, et celui de découvrir toutes les histoires inconnues jusque-là. Hormis la petite dizaine dont on a entendu parler depuis la petite école, il y a les autres centaines, d’une telle finesse qu’on se demande à quoi servent tous les autres livres. 

Marc Séguin est né en 1970 à Ottawa. Ses œuvres sont exposées dans plusieurs institutions muséales reconnues à travers le monde, notamment au Musée d’art contemporain de Montréal et au Musée national des beaux-arts du Québec. Il a tenu plus de 20 expositions personnelles et participé à autant d’expositions collectives et de foires internationales. Ses romans La foi du Braconnier et Hollywood (Leméac, 2009 et 2012) ont été bien reçus par la critique littéraire. Aujourd’hui, Marc Séguin vit et travaille entre Montréal et New York.

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