Les lectures de Mark Kingwell

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Les lectures de Mark Kingwell

À chaque numéro, Nouveau Projet vous permettra de plonger dans l’univers littéraire d’une personnalité publique. Pour cette première rubrique, nous vous proposons les lectures du philosophe canadien Mark Kingwell. Professeur de philosophie à l’Université de Toronto, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Sa biographie philosophique Glenn Gould a récemment été publiée en français aux éditions du Boréal. 

David McGimpsey, Li’l Bastard

(Coach House Books, 2011)

Lavinia Greenlaw, The Casual Perfect (Faber, 2011)

Les écrits de la Londonienne Lavinia Greenlaw et du Montréalais David McGimspey n’ont rien en commun, mais ils témoignent tous deux de la vitalité de la poésie anglophone contemporaine. Li’l Bastard, de David McGimpsey, est un recueil de 128 sonnets «dodus» (composés de seize vers au lieu de quatorze) où les clins d’œil à la culture populaire se mêlent aux allusions savantes et à l’humour subtil, le tout présenté dans un ensemble de poèmes d’une forme irréprochable. À l’instar des sonnets de Shakespeare, leur lecture à voix haute est une activité passionnante, et bien plus drôle. Dans The Casual Perfect, la suite sobre et remarquable de Minsk (2003), Lavinia Greenlaw révèle encore une fois la beauté de sa sensibilité lyrique et de son attachement aux objets minutieusement observés, et devient ainsi la digne héritière d’Elizabeth Bishop.


Terry Castle, The Professor and Other Writings (Harper, 2010) 

Bien qu’elle soit d’abord professeure d’anglais, Terry Castle s’est taillé depuis quelques années une réputation à titre d’auteure d’essais narratifs qui se situent dans une classe à part, à mi-chemin entre les mémoires et l’inventaire intellectuel. Dans son recueil The Professor and Other Writings, elle aborde sa sexualité, sa famille dysfonctionnelle et ses gouts musicaux avec une franchise parfois déconcertante. La lecture n’en est pas moins captivante, notamment grâce au portrait caustique qu’elle brosse de Susan Sontag, qu’elle admirait beaucoup, et au récit détaillé, à la fois bouleversant et désopilant, de sa relation amoureuse avec une professeure pendant ses études universitaires. Cette histoire de pouvoir et de passion vous amènera tout au moins à voir sous un autre jour les écoles supérieures du Midwest américain. 


Gabriel Josipovici, What Ever Happened to Modernism? (Yale, 2010)

Dans What Ever Happened to Modernism?, le romancier et essayiste proli-fique -Gabriel Josipovici, qui est également professeur d’anglais, déplore le manque d’un certain sérieux esthétique dans les œuvres de fiction et dans l’art en général. Mais plutôt que de se livrer à une simple critique du style postmoderne, il démontre de manière sincère et très convaincante que nous exigeons trop peu de l’art. Cette lecture m’a incité à relire Fragment d’un discours amoureux (1977), de Roland Barthes, et Young Men in Spats (1936), de P.G. Wodehouse. Un livre qui produit un tel effet ne devrait pas être pris à la légère.


Julian Barnes, The Sense of an Ending (Knopf, 2011)

Josipovici s’en prend notamment au romancier britannique Julian Barnes, qui s’est peut-être mérité le reproche d’être parfois trop sûr de son talent. Mais le dernier roman de Barnes, The Sense of an Ending, pour lequel il a reçu le prix Booker, pourrait donner matière à réfléchir à Josipovici. Dans ce livre d’à peine 150 pages, dont le titre est inspiré d’un essai du critique anglais Frank Kermode, Barnes démontre avec brio que les œuvres de fiction ont une certaine portée que les autres genres n’ont pas. Il est riche en rebondissements, comporte de petits extraits de lettres et de cahiers, met en vedette un narrateur peu fiable, et pastiche même admirablement la philosophie wittgensteinienne. Vous aurez envie de le relire dès que vous l’aurez fini. Que pourrait-on exiger de plus d’une grande œuvre d’art?


Seth, The Great Northern

Brotherhood of Canadian Artists

(Drawn & Quartely, 2011)

Le dernier livre du bédéiste et illustrateur Seth, ce génie de Guelph, présente un autre narrateur peu fiable, fait également des emprunts stylistiques, et offre une réflexion étonnamment touchante sur la culture et la mémoire.

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