Les lignes de désir: laisser l’urbanisme se développer au gré des envies des citoyens

Gabrielle Immarigeon
Photo: Bob Handleman
Publié le :
L'urbanisme nouveau

Les lignes de désir: laisser l’urbanisme se développer au gré des envies des citoyens

Trop souvent, les espaces urbains sont planifiés de manière expéditive, et leur design, trop rigide ou théorique, ne prend pas en compte les habitudes des citoyens. Heureusement, certains concepteurs prennent le temps d’étudier les comportements des usagers pour humaniser et rendre plus habitables les espaces urbains. Ils se tournent pour cela vers ce qu’on appelle les lignes de désir.

Tout aussi poétiques que leur nom, les lignes de désir se dessinent dans l’espace urbain au gré des envies des citoyens. Tracés intuitifs laissés dans la pelouse, la terre ou la neige par des piétons qui préfèrent ne pas emprunter les espaces formels, les lignes de désir signalent un besoin du citadin non comblé par les urbanistes.

Les lignes de désir prennent l’allure de lignes de revendication. À Montréal, entre le Plateau-Mont-Royal et Rosemont—La-Petite-Patrie, par exemple, des dizaines de personnes empruntent chaque jour les passages illégaux traversant la voie ferrée, s’entêtant à ignorer les clôtures érigées par le Canadien Pacifique (CP) malgré le risque de se voir remettre une contravention frôlant les 150$.

À ce sujet, des responsables municipaux ont décidé d’agir. Dans le plan de réaménagement du secteur Saint-Viateur Est, dans le Mile End, la formalisation de deux lignes de désir traversant la voie ferrée est au programme. À cheval entre le public et privé, elles présentent une option plus conviviale pour les piétons que les deux viaducs permettant actuellement de se déplacer d’un quartier à l’autre. Selon Richard Ryan, maire suppléant de l’arrondissement, la création de deux passages formels est prioritaire, en ce qu’elle «permettrait d’apporter plus d’achalandage dans le secteur et d’accentuer un mouvement déjà présent».

De son côté, le CP refuse pour le moment l’aménagement de passages à niveau sur son terrain, invoquant des raisons de sécurité.


  • Carte: Élodie Poulin

Un outil de planification

Selon Donald Norman, l’un des précurseurs d’un type de design centré sur l’utilisateur et auteur de Living with Complexity, un design trop rigide est bien souvent inutile. Il cite notamment le travail d’architectes de paysage qui dessinent des sentiers aux lignes géométriques souvent calquées sur celles des bâtiments environnants. Rapidement, les piétons, suivant leur instinct, créent des sentiers parallèles.

La firme américaine de consultants en transport Fehr & Peers, qui prône le développement piéton et cycliste, fait d’ailleurs couramment usage des lignes de désir dans ses projets d’aménagement. Selon Ellen Poling, associée de la firme, le planificateur devrait être capable de se projeter dans le temps afin de deviner le comportement des citoyens et de développer un espace le plus intuitif possible. Une évidence qui ne va pas toujours de soi: «Si on veut un espace qui encourage la marche, nous devons le rendre le plus optimal et sécuritaire possible». En suivant les désirs des citoyens, il semble en effet que l’espace piéton se pérennise.


Avantage au privé

La nature privée des terrains facilite la prise de décision en matière d’aménagement. Plusieurs universités américaines, par exemple, ont recours à l’étude des lignes de désir dans la création d’un campus répondant de façon optimale aux comportements des étudiants et employés piétons. C’est le cas de l’Institut Pratt, à Brooklyn, qui lors de la rénovation de son réseau de sentiers, en 2004, a ajouté plusieurs routes formelles suivant les lignes de désir. 


Lignes de désir et voie du CP

En 2009, suite à l’annonce par la Ville de Montréal du plan de revitalisation pour le secteur Est du Mile End, le Comité des citoyens du Mile End organise une série de cafés-rencontres destinés à recueillir les suggestions des résidents en matière de planification urbaine. Sont jugés prioritaires l’aménagement de passages formels traversant la voie ferrée, ainsi que le projet du Champ des possibles, qui inclut la transformation d’un terrain vague d’environ 4 000 m² en espace vert public et en réserve de biodiversité urbaine.


Le secteur en bref

1882: Année de la construction de la voie ferrée du Canadien Pacifique

3 831: Nombre d'habitants résidant à proximité de la voie ferrée


Gabrielle Immarigeon travaille pour l’agence de valorisation urbaine Convercité, où elle a développé une expertise en consultation citoyenne et en participation publique. Elle s'intéresse à la place de l'individu dans la mise en œuvre et la conception de projets urbains ainsi qu'à la création de quartiers éco-culturels.

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