Sous le pont, la ville

Gabrielle Immarigeon
Publié le :
L'urbanisme nouveau

Sous le pont, la ville

Devant la forte pression foncière qui s’exerce sur les métropoles, les professionnels de l’aménagement se tournent vers des espaces oubliés, voire rejetés par les promoteurs du développement urbain: les ponts et les viaducs.

Sous ces mégastructures, des espaces architecturalement vacants et à l’abri des intempéries n’attendent que leur vocation. De Caracas à Toronto en passant par Portland, plusieurs villes ont choisi de transformer ces terrains sombres en lieux de rencontre, de détente et de divertissement.

Construites pour améliorer la fluidité de la circulation, les autoroutes surélevées éventrent les villes. Des quartiers entiers se retrouvent isolés les uns des autres, séparés par de larges zones sous-utilisées et peu accueillantes pour les piétons. Ce problème, David Leinster le connait bien. Associé chez Planning Partnership, un studio de design urbain torontois, il a collaboré au développement de l’Underpass Park sous les autoroutes Richmond et Adelaide, dans la Ville reine.

Entièrement public, le lieu a permis de pallier le manque d’équipement pour les jeunes. L’Underpass Park accueille aujourd’hui un skatepark, des modules de jeu et des terrains sportifs. «Le projet est un réel succès: non seulement il a réussi à transformer un espace négatif en un espace positif, mais il a également permis de relier des quartiers auparavant déconnectés les uns des autres, explique David Leinster. On a même inclus de la végétation dans les espaces où la lumière s’infiltre, pour apporter de la vie là où on ne s’y attend pas.»

Achevé à l’automne 2014, l’Underpass Park de Toronto accueille aussi Mirage, de l’artiste Paul Raff. Composée de grands miroirs posés au-dessus des passants, l’oeuvre ajoute lumière et reflets à l’environnement bétonné. Photo : Samuel Bietenholz

L’Espace Faubourg Québec, à Montréal, a été créé rapidement et simplement. Avec son faux gazon, son mobilier urbain réutilisé, sa table de pingpong en béton et la panoplie d’activités qu’il offre—comme le yoga et le cinéma en plein air—, ce lieu public est adoré des citoyens. Photo: CLamy_11.

Les autoroutes sont trop souvent laissées de côté par les promoteurs tant publics que privés, regrette Ross Dixon, associé chez PFS Studio, une firme d’architecture et de design vancouvéroise. Ces espaces offrent pourtant des occasions d’urbanisme inégalées, selon lui. Le projet Street Children Home, à Caracas, le démontre bien: l’espace inutilisé sous l’autoroute Francisco Fajardo de la capitale vénézuélienne accueille aujourd’hui un orphelinat, un terrain de jeu et un atelier de menuiserie.

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Pour les gens, par les gens

Une grande partie des projets de mise en valeur des ponts et des viaducs sont lancés par les citoyens. La présence de murales et de graffitis «haut de gamme» témoigne souvent de leur désir de transformer un espace morne en un lieu de création et de divertissement.

À Portland, le dessous du pont Burnside a été pris d’assaut par un groupe de jeunes qui y ont aménagé un des skateparks les plus célèbres du monde. Après des années de discussion, l’espace est aujourd’hui toléré par les autorités, car il contribue à la baisse du vandalisme tout en encourageant l’exercice physique.

À Montréal, l’Espace Faubourg Québec est né de la demande de citoyens excédés par la mauvaise utilisation du terrain sous le viaduc Notre-Dame, dans l’est du centre-ville. Véritable projet collectif, la nouvelle place publique a d’ailleurs été développée grâce aux idées des riverains. Une partie de l’animation du lieu est prise en charge par les citoyens, qui utilisent l’espace comme si c’était le leur et qui assurent ainsi un fort sentiment d’appartenance.

Vancouver House, le mégaprojet vancouvérois prévu sous le pont Granville, offrira une dimension artistique avec plusieurs œuvres d’art public et des zones d’exposition. Photo: Colin Goldie.

Ces espaces qui rapportent

Granville Island, lieu de magasinage et de divertissement sous le pont Granville

à Vancouver, montre bien qu’il est lucratif de développer ces espaces oubliés. Entièrement géré par une entreprise privée, il emploie plus de 2 500 personnes et génère une activité économique annuelle dépassant les 130 millions$. Il rapporte d’ailleurs 35 millions$ en taxes à la Ville chaque année. Le lieu s’apprête maintenant à accueillir Vancouver House, un mégaprojet résidentiel et commercial de luxe, logé en partie sous l’immense structure de Granville. Vivre sous un pont n’aura jamais été aussi tendance.


Gabrielle Immarigeon travaille pour l’agence de valorisation urbaine Convercité, où elle a développé une expertise en consultation citoyenne et en participation publique. Elle s’intéresse à la place de l’individu dans la mise en œuvre et la conception de projets urbains, ainsi qu’à la création de quartiers écoculturels.

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