Denis Côté: le cinéaste affranchi
Le réalisateur de Curling et Répertoire des villes disparues revient de loin, et c’est précisément ce qu’il raconte dans son essai à paraitre dans «Nouveau Projet 28.» En voici un avant-gout.
On dit que l’habit de fait pas le moine, mais il semblerait que l’expression ne s’applique pas à la tenue des mères à la piscine municipale. Petite analyse vestimentaire estivale, tirée de notre Document 04.
À propos des corps de mères: il y a peu d’expériences plus désagréables, pour qui n’entretient pas avec son corps postgrossesse une relation idyllique, que de se retrouver à la pataugeoire d’un parc montréalais, un matin d’été, en compagnie d’une horde d’autres mères. D’aucunes s’avanceront pour affirmer que le parc Laurier offre l’expérience la plus déplaisante de toutes, mais le parc Kennedy à Outremont ne donne pas sa place non plus. Je n’ai jamais poussé l’audace jusqu’à me rendre au parc Westmount, mais ça ne doit pas être piqué des vers non plus (quoique là, on risque peut-être d’apercevoir plus de nounous que de mamans, et alors l’expérience est en partie faussée).
Se tenir debout en maillot de bain dans dix pouces d’eau, à se contorsionner dans des angles plus flatteurs les uns que les autres pour empêcher notre descendance de se noyer ou d’arroser Lou-Félix-Antoine-Jules, tout ça au beau milieu d’une ville, avec pour seule protection entre soi et le reste du monde urbain une misérable clôture frost: si vous n’avez jamais mis les pieds dans une pataugeoire, vous ne pouvez pas savoir qu’il y a là un exercice d’humilité et d’humiliation quasi certaine.
Parce que si vous, vous vous contentez d’un modeste une-pièce de natation, le plus couvrant ou le plus anonyme des maillots qui trainent au fond de votre tiroir et qui vous permettent de trimer juste le minimum de bikini requis pour être acceptable aux yeux de la société moderne (du moins, au nord de Burning Man), sachez que vous ne rencontrerez pas que vos semblables sur le chemin de la pataugeoire.
Vous croiserez quelques mères encore plus pudiques que vous: elles auront adopté le tankini-jupette, la plupart du temps dans de tristes imprimés vaguement hawaïens (qui sont les seuls imprimés offerts aux tankinis-jupettes, comme si même les compagnies de maillots avaient capitulé, comme si leurs cadres, dans leurs tours de bureaux de Santa Monica ou de Richmond, Virginia, s’étaient dit: «Mais il n’y a que les tristes femmes qui maudissent leur corps pour porter ces trucs, alors why bother?»). Celles-là auront les épaules légèrement voutées et le teint brouillé. Mais elles auront apporté des collations.
Il y aura quelques irréductibles en vêtements, qui refuseront carrément de s’abaisser à porter un maillot, même dans les plus violentes chaleurs, et vous les verrez rouler leurs jeans jusqu’à la cuisse, le front perlé de sueur, la mine accablée et l’esprit dangereusement attiré par le trio New Yorker / The Atlantic / Liberté qui traine dans leur sac. Celles-là, en les croisant, vous les saluerez avec respect.
Et puis il y aura les bikinis triangles. Les bikinis triangles (ou, pour reprendre l’appellation de Geneviève Pettersen, les plotes de pataugeoire) ne font pas de distinction entre la plage à Mykonos et le parc Jarry. Si le soleil brille et qu’il y a ne serait-ce qu’une flaque d’eau au sol, elles se déchirent la chemise et exhibent les formidables atouts que trois bébés et 48 mois d’allaitement cumulés n’auront pas altérés le moindrement. Ventre plat et hâlé, seins fiers, fesses hautes et cuisses-qui-se-touchent-pas, les bikinis triangles sont souvent assises au bord de la pataugeoire. Elles trainent régulièrement une amie avec elle, et cette amie profite généralement du même privilège corporel, ce qui n’est pas sans vous agacer (parce que, disons-le franchement, tout vous agace un peu). Pendant toute la durée de leur séjour à la pataugeoire, vous les observez du coin de l’œil et vous priez pour qu’elles soient les gardiennes, les nounous, les grandes sœurs, les cousines—tout, mais pas les mères de cette ribambelle d’enfants qui tournoie autour d’elles pendant qu’elles déposent leurs Ray-Ban au bout de leur nez. Mais immanquablement, le moment finit par arriver: un des mioches se pète la fiole ou réclame un jus, et c’est avec un retentissant «mamaaaaaaan» qu’il le fait savoir. Et alors la bikini triangle se lève, reine incontestée de la pataugeoire, et marche en prenant tout son temps, histoire d’assoir sa souveraineté sur les modestes anonymes, les tristes tankinis-jupettes, et les irréductibles habillées.
Impossible bien sûr de savoir qui est la plus heureuse de ces femmes, ou qui s’amuse le plus avec ses enfants, ou qui aura le meilleur cul le soir venu. Mais pour le moment, sur l’échiquier de la pataugeoire, les reines des triangles l’emportent, et toutes les autres en sont quittes pour une bonne dose de noir broyé.
Fanny Britt est dramaturge, autrice et traductrice. Elle compte une dizaine de pièces à son actif, dont Couche avec moi (c'est l'hiver) et Bienveillance (Leméac). Elle a traduit plus d'une quinzaine de pièces du répertoire contemporain, en plus de plusieurs ouvrages littéraires. Elle œuvre également en littérature jeunesse, entre autres avec sa série d'albums Félicien, publiés à la Courte Échelle mais surtout Jane le renard et moi et Louis parmi les spectres, albums primés publié à la Pastèque. Son premier roman, Les maisons, et son essai sur la maternité, Les tranchées (Atelier 10), sont de grands succès de librairie.
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Les tranchées est le 4e titre paru dans la collection Documents
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