Les temps vulnérables de l’université

Julien Lefort-Favreau
Photo: Charlotte Lehoux
Publié le :
Essai

Les temps vulnérables de l’université

Quelle place fait-on à l’éthique de la bienveillance dans nos institutions d’enseignement?

Considéré dans ce texte

Les rythmes de l’université. Le besoin de ralentir. Les balades en forêt. Les disability studies et l’expérience des limites. Des campus carboneutres.

Mon fils et moi passons beaucoup de temps en nature, dans les parcs provinciaux ou fédéraux, zones de conservation et sentiers balisés de Kingston, en Ontario, où j’enseigne depuis maintenant plus de quatre ans. Il y a quelques années à peine, nous y venions en visiteurs. Nous sommes désormais chez nous dans cette végétation luxuriante l’été, d’une beauté aride l’hiver, en compagnie de cette faune, de cette géologie, de ces anfractuosités rocheuses propres aux régions peu montagneuses. Le paysage y est comparable à celui du sud du Québec, et en même temps, légèrement différent: plus de feuillus, moins de conifères, plus de couleuvres, plus de micas.

  • Photo: Charlotte Lehoux

Nos errances à vélo nous mènent parfois dans de petites friches de forêts ingrates, comme oubliées par le développement urbain. Ces promenades me rappellent aussi ma propre enfance dans l’ouest de l’ile de Montréal, alors encore vaguement agricole par endroits. Les ruisseaux qu’on y trouvait ont fini par être remblayés et remplacés par les little boxes jadis chantées par Malvina Reynolds, ces maisons identiques qui font passer Pointe-Claire pour Salt Lake City. Je devine que mon héritier aura le souvenir exagéré de pleines jungles au coin de sa rue. Il est quelque chose dans l’imagination qui parvient à déjouer la destruction galopante du monde.

Me promenant dans ces forêts denses ou clairsemées, je ne peux faire autrement que de songer aux Salicaires (1973) de Jacques Ferron, à ces balades qu’il faisait à travers les boisés d’un Longueuil plus tout à fait rural.

À votre retour de l’hôpital, chaque après-midi, avant le souper, vous aviez l’habitude d’aller vous promener dans les champs vagues, en arrière de la maison, vestiges du petit bois où vous aviez vu naguère fleurir l’amélanchier. Vous vous rendiez jusqu’à la voie ferrée qui reliait Sorel et Saint-Lambert, puis vous reveniez. Dès votre arrivée de l’hôpital, votre chien était prêt pour cette promenade de santé, la joie de sa journée. Sur le parcours, il y avait une colonie de salicaires qui, de la fin de juin jusqu’au début de septembre, ne cessaient de fleurir. C’est une plante à la fois belle et un peu vulgaire à cause de son extraordinaire vitalité. Poussant dru, étouffant les autres espèces, elle avait envahi une large lisière humide, en avant des aulnes noirs d’un bois taillis, face à un vaste dégagement ouvert jusqu’à Montréal, aux confins duquel, en juillet, se couchait le soleil. Chaque jour, vous vous demandiez si elle serait encore fleurie. Ce jour-là, à l’aller, elle l’était, mais à votre retour de promenade, toutes ses fleurs vous parurent flétries. La salicaire ne formait plus qu’une lisière de plantes ligneuses et brunâtres au pied des aulnes derrière lesquels le taillis n’en finissait plus d’aller vers l’Est. Votre compagnon dont le plaisir vous tenait à cœur, à qui vous permettiez de survivre heureux, ce qui devient de plus en plus rare dans un habitat que le béton, l’asphalte et le pétrole sont censés humaniser, mais où le faible d’esprit n’a plus sa place, encore moins l’animal, lui qui faisait des ronds autour de vous pour courir à son saoul, vint se jeter entre vos jambes et n’en bougea plus: au milieu des salicaires, il y avait un tombereau, timon par terre, sans chevaux.

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