Mad Men et l’échec de nos rêves
- Publié dans : Nouveau Projet 01
Mad Men et l’échec de nos rêves
Superficiel, Mad Men? En apparence, peut-être. Mais sous sa surface léchée se trouve une réflexion métaphysique sur une Amérique confrontée à la désillusion.
La série télévisée Mad Men. Notre époque en tant qu’âge d’or de la télévision. Prolégomènes à une philosophie des téléséries. Les années 1960 en tant que fanstasme. Une Amérique du Nord sous influence publicitaire, jusqu’à son troublant constat d’échec.
Je suis un téléphage depuis ma plus tendre enfance, alors que je demandais à ma mère de me réveiller à 6h30 pour pouvoir commencer mon samedi matin de cartoons avec Hercule, dont les exploits se déroulaient avant même que le soleil ne soit levé.
Ayant décidé de poursuivre des études avancées en philosophie, j’ai longtemps dû cacher ce que certains de mes collègues auraient vu comme un défaut de caractère. Rester à la maison pour regarder le dernier épisode de Twin Peaks sur notre minuscule téléviseur plutôt que d’aller écouter la dernière sommité venue à Oxford présenter les résultats de ses recherches? Il était préférable de prétexter un rhume, ou mieux encore une difficulté avec un argument de ma thèse, qui exigeait que je lui accorde le temps nécessaire.
Aujourd’hui, il est devenu acceptable de clamer haut et fort que l’on aime la télé. C’est que nous vivons un âge d’or de ce média. Il est vrai que le dernier quart du 20e siècle avait vu naitre de grandes séries télévisées (Streets of San Francisco, Hill Street Blues, nypd Blue, Seinfeld), mais la qualité de plusieurs séries contemporaines nous place à un autre niveau. L’arrivée des chaines payantes comme hbo, au moins partiellement libérées des contraintes de la censure et (jusqu’à un certain point) du fardeau de la cote d’écoute, a donné lieu à une explosion créatrice qui fait qu’il n’est pas excessif de prétendre qu’aujourd’hui, c’est à la télévision plutôt qu’au cinéma ou dans les romans que les arts narratifs s’épanouissent le plus pleinement. Je suis actuellement avec grand intérêt (ce qui est une autre façon de dire «de manière compulsive, frôlant l’obsession») les séries suivantes: Homeland, The Walking Dead, Breaking Bad, Justified, House, Curb Your Enthusiasm, Boardwalk Empire, pour ne nommer que celles-là. La nécessité de faire autre chose dans la vie (comme m’occuper de mes enfants et faire de la philosophie) m’oblige à ignorer certaines séries auxquelles je sais que je deviendrais rapidement accro, si je me mettais à les regarder. Je pense à Dexter, à Big Love, et tout récemment à Game of Thrones, que j’ignore un peu comme l’alcoolique ignore la bouteille de scotch qui se trouve juste à portée de la main au party de Noël, même si je reconnais que le fait de les avoir mises de côté rend ma vie cruellement incomplète.
De telles séries ont rendu la téléphagie avouable même chez les intellectuels. Il existe dans le monde anglophone au moins deux collections de livres qui invitent des philosophes à jeter un regard philosophique sur des objets de culture populaire, et plusieurs séries télévisées ont fait l’objet de volumes dans ces collections.
Pour en avoir fréquenté plusieurs, j’avoue ne pas trop apprécier ces livres. Que fait un philosophe lorsqu’il se penche sur les télé-séries pour essayer d’en faire une lecture «philosophique»? À en croire la majorité des auteurs qui se sont livrés à l’exercice, on «applique» les thèses d’un philosophe à une série, pour essayer de montrer que tel personnage ou telle situation «illustre» ces thèses. Cela donne des résultats comme (pour citer un exemple tiré de Seinfeld and Philosophy, le livre qui a lancé cette mode), Kramer and Kierkegaard: Stages on Life’s Way. Heureusement que la plupart des auteurs s’y adonnent avec une pointe d’humour et un clin d’œil ironique, sinon les résultats seraient d’un ennui mortel.
Mais la place prépondérante qu’occupent ces livres fait en sorte que l’occasion de réfléchir à ce que pourrait être une véritable philosophie de la télévision—et notamment des séries télévisées—a été manquée, du moins à ma connaissance. À mon sens, une philosophie de la télé ne chercherait pas à appliquer des idées philosophiques préconçues à la télé. Elle chercherait plutôt à partir de cet objet pour tenter d’en saisir la teneur philosophique [voir encadré].
Que nous disent les séries télévisées lorsque nous les interrogeons philosophiquement? C’est à un début de réflexion de ce type que je voudrais consacrer ce texte. Je me donnerai comme objet de réflexion la très populaire série Mad Men.
Comme le sait tout Occidental n’ayant pas passé les dernières années dans une grotte (ou à bouder la télé comme le font encore certains irréductibles), Mad Men propose de suivre le parcours de personnages gravitant autour du monde des agences publicitaires new-yorkaises au début des années 1960.
Parmi les séries télévisées ayant remporté un important succès critique ces dernières années, Mad Men occupe une place toute particulière. Produite par le réseau américain amc, la série est devenue un véritable phénomène culturel. La série serait responsable du regain de popularité d’un tas d’articles considérés jusque-là comme démodés, «des lunettes à monture d’écail aux chapeaux de feutre»; des couturiers s’en inspirent pour leurs nouvelles collections; le personnage principal, Don Draper, a été désigné par la revue en ligne AskMen comme l’homme le plus influent aux États-Unis, devançant même Barack Obama; Betty, prénom de la femme de Don Draper, est devenu en 2010 l’un des prénoms les plus populaires pour les fillettes américaines; etc.
- Illustration: Gabrielle Lecomte
La série se déroule à New York, dans une agence publicitaire de Madison Avenue (d’où le titre). Au centre de ce petit univers évolue un personnage énigmatique, Don Draper, un homme au passé lourd et tragique qui s’est refait une identité en volant celle de son capitaine, mort de façon inusitée pendant la Guerre de Corée.
Mad Men a peut-être été la première série de qualité à faire l’objet d’un backlash intellectuel. Le point de départ en a été un article publié dans le très sérieux New York Review of Books par le très sérieux Daniel Mendelsohn, critique culturel et auteur du non moins sérieux (et il faut bien le dire, excellent) récit autobiographique The Lost (à ne pas confondre avec Lost, une autre série qui a fait couler beaucoup d’encre et a suscité de nombreuses obsessions).
Que reproche Mendelsohn à Mad Men? Essentiellement, deux choses: d’abord, des scénarios souvent maladroits et des personnages mal campés par des acteurs qui ne sont, au fond, pas très bons; ensuite, un regard très superficiel sur les évènements historiques dont les personnages de la série sont témoins (l’élection et l’assassinat de JFK, le début du mouvement des droits civils, et ainsi de suite).
Il est vrai que lorsque l’on se place au premier degré, il ne semble pas y avoir beaucoup de profondeur à la série. Les scènes sont souvent tournées de manière très statique, presque comme du théâtre filmé. Outre Don Draper et Peggy Olson (une jeune femme ambitieuse qui est la seule à percer le bastion exclusivement masculin de l’équipe des concepteurs et des designeurs des campagnes publicitaires), les personnages nous sont présentés sans que nous ne possédions suffisamment d’informations sur eux pour pouvoir comprendre les ressorts de leurs actions.
Il est également vrai que la série n’a rien de bien intéressant à dire sur les évènements politiques et historiques qui tissent la trame de fond temporelle de la série. Un exemple: un personnage secondaire se présente un jour à l’agence avec une petite amie noire, et il s’apprête à participer à une Freedom March de Martin Luther King. Outre une référence au fait que les Noirs américains pourraient eux aussi devenir des consommateurs dont l’agence aurait à tenir compte, voilà à peu près ce que la série a à dire sur les relations entre Noirs et Blancs aux États-Unis pendant les années 1960. Là-dessus, Mendelsohn a raison: ce n’est pas grand-chose.
Matthew Weiner, le créateur de la série et celui qui supervise encore sa scénarisation et sa mise en scène, a été l’un des principaux scénaristes des deux dernières saisons des Sopranos, une série très dynamique sur le plan filmique. Il ne s’est pas privé d’explorations très profondes de la psychologie de ses personnages; sur le plan dramaturgique, la relation centrale était d’ailleurs celle de Tony Soprano et de son psy.
Il faut donc penser que Weiner savait ce qu’il faisait en créant des personnages en un sens aussi unidimensionnels et en ne faisant que citer les remous historiques de la société américaine dont les personnages sont les témoins. Quelles sont, alors, ses réelles intentions dramatiques?
La première chose qui frappe le spectateur, c’est la beauté plastique de la série, de ses décors, de ses vêtements. La série se présente non pas comme une vision réaliste de l’Amérique des sixties, mais plutôt comme une sorte de fantasme de cette époque. Tout y est beau. Même la fumée de cigarette (les personnages fument presque tous comme des pompiers) est sensuelle et séduisante.
J’insiste sur le mot fantasme: la beauté de cette série frôle le surréel. Ce n’est surement pas un accident. Les Sopranos, par contraste, ne lésinait pas sur la laideur de certains de ses personnages.
Il y a ensuite le fait que la série se déroule dans une agence publicitaire. Les évènements qui entourent la série sont traités de manière fort superficielle et rapide, mais les campagnes publicitaires que conçoivent les personnages de Mad Men sont au cœur de l’intrigue, et sont examinées dans le détail. Mad Men prend au sérieux ce que font ses protagonistes, en même temps qu’elle marginalise sciemment les agissements des politiciens. L’Amérique, semble nous dire la série, est en train de se créer dans les bureaux d’agences publicitaires plutôt que dans les discours de Kennedy ou de King.
Quatre constats pour une philosophie de la télésérie
Philosopher en partant de ce que les séries télévisées ont de propre, plutôt que d’appliquer des théories préconçues à des séries, cela voudrait dire être attentif aux propriétés esthétiques, éthiques et (oserons-nous le dire?) ontologiques inhérentes à la télévision.
1. LA COMPLEXITÉ NARRATIVE
Ce que l’on appelle les arcs d’une série, ce sont les intrigues ou les thématiques de longueurs différentes qui transcendent l’épisode individuel et s’emboitent comme des poupées russes. La plupart du temps, chaque épisode présente et résout une intrigue. Le spectateur occasionnel d’une série peut donc trouver satisfaction à ne regarder qu’un épisode, même si certains éléments narratifs, ceux qui font avancer l’arc, lui échapperont forcément un peu. Mais le scénariste dispose, en vertu de la longueur de la saison, d’un canevas sur lequel il peut explorer des thèmes et des relations et structurer des récits avec une précision et une profondeur auxquelles le scénariste de films ne peut que rêver. Cela n’a pas toujours été le cas. Jusqu’à ce que -Steven Bochco crée Hill Street Blues, les séries télévisées existaient dans un éternel présent (avec quelques rares exceptions, dont Dallas, qui était en fait un soap diffusé en soirée, et qui partageait avec les soaps—art narratif mésestimé s’il en est—la fonction de garder les spectateurs en haleine d’un épisode à l’autre). Chaque épisode était un tout presque parfaitement fermé sur lui-même. L’écriture sous contrainte qui était imposée aux scénaristes des séries d’antan a tout de même produit des classiques. Mais le fait d’avoir relaxé cette contrainte permet aux scénaristes de s’exprimer autrement que par le miniaturisme.
2. LA DURÉE
Les bonnes séries télévisées, à moins d’être tellement en avance sur leur temps qu’elles ne trouvent pas de public, ou à moins de tout simplement manquer de chance (Arrested Development, My So--Called Life), durent plusieurs années. Les personnages vieillissent donc en même temps que leurs spectateurs. Un scénar-iste peut ainsi insuffler à ses personnages et à leurs relations une densité qui échappe aux autres arts narratifs. Plus encore, cette dimension des séries permet de présenter avec réalisme la vie d’institutions qui survivent au passage des individus qui les font vivre. Une série comme E.R., qui a duré 15 ans, ou Law and Order, qui en a duré 20, présente l’évolution d’institutions importantes (la salle d’urgence d’un hôpital dans le cas de E.R., une escouade de police et un bureau de procureur dans le cas de Law and Order) sans qu’aucun personnage ne traverse la série du début à la fin. C’est un aspect souvent ignoré de la série télévisée de longue durée que de pouvoir mettre en scène un lieu ou une institution plutôt qu’un ensemble de personnages. Les films et les romans dépendent beaucoup plus, selon moi, de leurs protagonistes pour leur unité narrative.
3. L'INTIMITÉ
Même si cela est en train de changer en raison de la disponibilité des séries sur le web, les séries télévisées sont le plus souvent regardées à domicile. Je prétends que cette dimension du contact qu’a le spectateur avec la télévision, lorsqu’elle est ajoutée aux deux premières, augmente de manière considérable l’intimité liant spectateurs et personnages. Alors que nous sortons pour aller au cinéma (même si nous regardons souvent des films à la télé, l’expérience du cinéma ne peut se vivre qu’en y allant), les personnages de séries télévisées sont des individus avec lesquels nous partageons notre vie. Nous parlons souvent des situations que vivent les personnages que nous fréquentons à la télévision (et aux choix qui se présentent à eux dans les prochains épisodes) un peu comme nous parlons de personnes que nous fréquentons réellement. Chez de nombreux spectateurs, la mort de personnages de séries télévisées suscite même une réaction qui s’apparente au deuil.
4. LA SIMULTANÉITÉ
Jusqu’à l’avènement des enregistreurs vidéo, et encore plus des enregistreurs numériques, les séries télévisées se vivaient simultanément par leurs spectateurs. Regarder E.R., cela voulait dire être devant son écran de télévision le jeudi à 22h. Cela donnait à l’expérience télévisuelle une dimension irréductiblement sociale. Les émissions de télévision ponctuaient une vie commune, et représentaient un élément important de nos conversations collectives. Ma propre expérience de la télé-vision est antérieure à l’avènement des conditions technologiques qui ont permis de faire en sorte que nous puissions vivre nos expériences télévisuelles séparément («Ne me dis pas ce qui arrive! Je viens de m’acheter le coffret de la saison 3 et je vais la regarder d’un trait pendant les vacances!»). Il m’est arrivé de me demander si le fait de pouvoir consommer des séries télévisées sans avoir à respecter un horaire commun ne signifiait pas, en un sens, que la télévision n’existe plus. Il serait plus exact de dire que la télévision était naguère un mode de production, de diffusion et de consommation, alors qu’elle n’est plus aujourd’hui que la première de ces choses.
Don Draper, personnage central de la série—et qui a, faut-il le rappeler, inventé son identité de toutes pièces—est considéré tant par ses alliés que par ses ennemis comme un «grand» de la création de campagnes publicitaires. C’est en fait une sorte de philosophe de la publicité, et au-delà de la publicité, du désir humain. Ses idées sur la fonction de la publicité sont développées dans de nombreux épisodes. Le rôle de la publicité, ce n’est pas d’informer, c’est de canaliser le désir. Ce serait une erreur, selon Draper, de penser que le rôle d’une agence publicitaire est de se mettre au service de désirs humains préexistants et des informations objectives sur des produits. Le rôle d’une campagne publicitaire est plutôt de manipuler les consommateurs, non pas en leur faisant penser qu’ils ont des désirs qu’ils n’ont pas vraiment, mais en faisant en sorte que leurs pulsions inchoatives se focalisent sur un objet particulier: celui que leur client cherche à vendre. Dans un des plus beaux épisodes de la série, intitulé «Carrousel», à la toute fin de la première saison, nous sommes témoin de la création de l’une des campagnes publicitaires les plus puissantes des années 1960, celle qui a permis à la compagnie Kodak de placer un carrousel à diapositives dans à peu près tous les foyers nord-américains (les lecteurs plus âgés se souviendront de cet appareil qui permet de projeter ses photos de famille et de vacances). Dans un élan poétique qui injecte un des rares moments de réelle émotion à la série, Draper lie cet objet somme toute fonctionnel et pratique à nos rêves d’enfance, et à la nostalgie que ressent l’adulte pour un «âge d’or» qui n’a probablement jamais existé, mais qui travaille néanmoins notre inconscient comme un obscur objet de désir.
Mad Men: le résumé
Mise en ondes le 19 juillet 2007 / Récit de la vie d’un publicitaire doué et séduisant durant les années 1960, de son ascension jusqu’à sa possible chute / A remporté 15 Emmys et 4 Golden Globes / Budget de près de 3M$ par épisode / Une inspiration visuelle: Hitchcock / «Faire cette série sans tabac aurait été une blague.» (Matthew Weiner)
Pas étonnant, par conséquent, que Mad Men se présente parfois comme une série quelque peu superficielle. La thèse que je soumets ici est que c’est avant tout de surfaces dont il est question dans cette série, mais de surfaces dont les scénaristes comprennent, aussi paradoxalement que cela puisse sembler, toute la complexité et toute la profondeur. Mad Men traite d’un rêve américain que des auteurs moins nuancés et subtils ont déjà méprisé et caricaturé: c’est la promesse d’une Amérique qui rendra les êtres humains heureux par la consommation de belles choses—de belles surfaces—capables de canaliser leur faculté désirante et de l’assouvir, mettant ainsi fin à leur frustration intrinsèque.
Cela ne fonctionne évidemment pas. Mais ce qui distingue Mad Men des films, des livres et des séries qui ont fait le procès d’une Amérique superficielle et consumériste, c’est que la série en comprend l’attrait. Plus que cela, elle comprend qu’il s’agit d’une réaction métaphysique tout à fait logique face à l’apparent inassouvissement du désir humain, qui se situerait en quelque sorte à mi-chemin entre la réaction stoïque qui consiste à tenter d’éteindre nos désirs ou de les limiter à ce que nous pouvons contrôler, et la réaction pessimiste qui consiste à penser que l’insatisfaction et la frustration d’un désir incontrôlé sont le lot indépassable de l’humain.
Les personnages de la série ont tous un rapport complexe aux surfaces. Draper lui-même est souvent vu comme étant un bel objet de consommation sexuelle par ces (multiples) femmes dont il voudrait posséder non seulement les corps, mais également les âmes—qui, elles, lui sont toutefois systématiquement refusées. Betty Draper, la beauté glaciale qui divorce de Don pendant la troisième saison, humiliée par ses multiples infidélités, lui reproche au fond de ne pas avoir su se satisfaire de la famille esthétiquement parfaite qu’elle a créée pour lui. Joan Holloway, la splendide et brillante gérante du pool de secrétaires de l’agence, vit avec frustration le fait que, s’étant inventée afin de correspondre à l’objet de désir parfait du mâle, le bonheur lui échappe néanmoins toujours. Elle vit avec frustration l’ascension professionnelle de Peggy Olson, une femme dont elle est l’égale sur le plan intellectuel, mais qui a justement réussi à gravir les échelons en refusant le «jeu des surfaces» qui domine largement les relations à l’agence.
Bref, de par ses choix esthétiques et dramaturgiques, et par sa décision de faire tourner la série autour d’un groupe dirigé par un homme qui apprécie toute la puissance de la faculté désirante (du «ça», pour parler en termes freudiens), et qui aborde sa responsabilité de concepteur de campagnes publicitaires avec le plus grand sérieux du monde alors même qu’il néglige misérablement d’autres aspects de sa vie (dont sa vie familiale), Mad Men ne traite pas des évènements importants bien qu’ultimement évanescents de l’histoire américaine, mais plutôt d’une option métaphysique que cette société a un temps adoptée: tenter de répondre aux désirs humains—et, ultimement, même aux aspirations spirituelles par le consumérisme. C'est l’échec de ce rêve que constate Mad Men, mais sans un seul instant le tourner au ridicule.
Daniel Weinstock est professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal, où il a également fondé et dirigé le Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal.