Montréal dans leurs mots

Ralph Elawani
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Dans leurs mots

Montréal dans leurs mots

Durant les années 40 et 50 […] le vice et la corruption y étaient si florissants que durant la guerre, le ministère de la Guerre menaça de l’interdire aux troupes et de ne plus l’utiliser comme centre de transbordement parce que la syphilis et les autres maladies vénériennes décimaient les régiments avant qu’ils ne débarquent en Angleterre.

Nick Auf der Maur, The Billion-Dollar Game, 1976

(trad. Le dossier olympique)

Son confort approximatif lui rappelle les strapontins de plastique du Stade olympique, ces soirées passées avec ses parents à ne pas comprendre leur amour du baseball, tout en mangeant des hot-dogs criminellement peu dispendieux. Leur couple n’a pas survécu à la vente des Expos, c’est tout dire.

Hugo Beauchemin-Lachapelle, La surface de jeu, 2020


À soir y doit être encore s’a rue Saint-Christophe dans c’que j’appelle moé un bordel à bras. C’est plein d’p’tits jeunes de quinze-seize ans du boute. Ça boit, ça joue aux cartes, ça s’tâte…

Marie Letellier, On n’est pas des trous-de-cul, 1971

Il arrive qu’on mêle le nom du diable à la toponymie locale. C’est particulièrement le cas à Montréal, où […] la «guérite aux diable (sic)» ne devait pas être un endroit des plus recommandables.

Robert-Lionel Séguin, La sorcellerie au Québec du XVIIe au XIXe siècle, 1959


Après un long et pénible voyage, j’arrive à Montréal et on m’attendait à la gare. On m’avait même réservé un petit motel sur l’avenue des Pins. Une semaine s’écoule et un ami s’amène en m’annonçant: «On est en train de construire un cabaret sur la rue Stanley qui s’appellera Chez Parée et j’ai parlé de toi au directeur.» C’était en juin 1955.

Guilda, Elle et moi, 1979

Le carré Saint-Louis n’en est pas un puisque c’est un rectangle et officiellement, d’après les plaques, ce n’est pas un rectangle non plus, mais un square.

Jean-Jules Richard, Carré Saint-Louis, 1971


À Montréal, le printemps c’est comme une autopsie. Tout le monde veut voir l’intérieur du mammouth gelé. Les filles arrachent leurs manches, la chair est douce et blanche, comme le bois sous l’écorce verte. Des rues monte un manifeste sexuel; comme un pneu qui se gonfle, «Encore une fois, l’hiver ne nous a pas tués.»

Leonard Cohen, Beautiful Losers, 1966 (trad. Les perdants magnifiques)

Le soir après l’école on voyageait

On prenait le bateau rue Saint-Laurent

Il n’avait pas de mât pas de voile, on lui en donnait

Même des drapeaux

L’amour fournissait tout, tout

Puis au bout de la ligne 55

On s’en revenait

On ne voyait pas nos arrêts passer

Réjean Ducharme, «Dix ans» (chantée par Robert Charlebois), 1979


Oh, à l’époque, tout le monde baisait, à Montréal, pas juste moi. C’était la faute du froid. Avec le rose aux joues, les gens paraissaient beaucoup plus attirants qu’ils l’étaient en réalité.

Heather O’Neill, The Girl Who Was Saturday Night, 2014

(trad. Mademoiselle Samedi soir)

C’est bien la première fois que je m’arrête dans une ville où l’on ne peut lancer une pierre sans risquer de briser un carreau d’église.

Mark Twain, de passage à Montréal en 1881


Montréal est spleenétique, en mars, et, dirait-on, ce mardi a absorbé les tristesses de mois entiers pour les recracher sur la ville sous forme de grisaille, de neige mouillée, d’un air si humide et froid à vous transpercer les os.

Pierre Samson, Le Mammouth, 2019

Sur Notre-Dame, Saint-Henri

Beffroi qui grince au son des cloches

Têtes recroquevillées dans ces capines

À contrevent dans la tempête

À contrecœur à la messe de minuit

Robin Aubert, Entre la ville et l’écorce, 2011


Le soleil est v’nu au monde comme un coup de poing rouge au bout de la Catherine.

Michel Tremblay, Sainte Carmen de la Main, 1976

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Les villes, et en particulier Montréal […] ont une ressemblance frappante avec nos villes de province. Le fond de la population et l’immense majorité est partout française. Mais il est facile de voir que les Français sont le peuple vaincu.

Alexis de Tocqueville, 1831

J’habite une ville à la tête des eaux, où tous ceux

dont l’héritage tient dans une poche vide de grains

finiront par aboutir pour satisfaire le désir qu’ils

ont de raconter leur vie au dernier charretier.

Pierre Perrault, J’habite une ville, 1965


Vous avez joint l’Hôpital général de Montréal. Si vous avez un téléphone à clavier et que vous connaissez le numéro de poste que vous voulez joindre, composez-le maintenant. Sinon, faites le 17 pour être servi dans la langue des maudits Anglais ou le 12 pour le service en français, langue glorieuse de notre collectivité opprimée. Pour le service ambulancier, c’est le 21.

Mordecai Richler, Barney’s Version, 1997

(trad. Le monde selon Barney)

La ronde d’Alexis. Au coin de Metcalfe et de Sainte-Catherine s’élargit. Lutte entre ses cauchemars et la réalité de la ville. Idées-marteaux qui sonnent du poids de sa négrerie. Oiseaux annonciateurs de la victoire des fils de sa race.

Gérard Étienne, Un ambassadeur macoute à Montréal, 1979


La Place Ville-Marie est l’enfant naturel de notre biculturalisme: édifiée sur pilotis, prête déjà à s’effondrer, elle me fait rêver au spectacle merveilleux de son avalanche.

Hubert Aquin, «Essai crucimorphe», 1963

Pour le Québecquois, tout ce qui vient de Montréal est maudit. Le Québecquois en veut à Montréal, d’abord, de n’être pas Québec. Il lui en veut ensuite d’être Montréal, c’est-à-dire une ville de six cent mille âmes, avec des industries, du commerce, de la richesse et de l’activité.

Jules Fournier, «Québecquois», 1913


Ce qui nous a sauvés, c’est le grand magasin Eaton sur la rue Sainte-Catherine qui, en 1981, a fait tout un tapage marketing à propos des produits de l’Italie. Soudainement, et de manière inopinée et brutale, tout ce que ma mère savait, et qu’elle cachait, il était maintenant de bon ton de le savoir […].

Sylvie Laliberté, Quand j’étais Italienne, 2013

Elle portait les teintes neutres du demi-deuil, les gris blanchâtres de la rue Saint-Hubert, comme s’il fallait que tout serve jusqu’au bout—même les restes de chagrin.

Mavis Gallant, Across the Bridge, 1993

(trad. De l’autre côté du pont)


Ralph Elawani est écrivain, journaliste et directeur littéraire.

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