L’Estrie dans leurs mots

Marc-Étienne Brien
Photo: Nancy Guignard
Publié le :
Dans leurs mots

L’Estrie dans leurs mots

Je verrai, quand viendra sur moi le crépuscule

De ce jour violemment brûlé de canicule,

Le soleil s’abîmer, derrière les grands monts,

Dans une mer de cuivre et d’or en fusion.

Ma vigueur d’autrefois ne sera plus qu’une ombre

Perdue alors comme tant d’autres, dans le nombre

Des ombres que le soir allonge sur le sol;

Et j’irai chancelant comme soûlé d’alcool,

—Tant la fatigue aura mis en moi de faiblesse—

Quand le but aperçu fouettera ma détresse.

Alfred DesRochers, «Désespérance romantique»,

À l’ombre de l’Orford (1930)

C’est un lieu rond. On y arrive du dessus parce qu’on l’a ressenti. Un jour de trop. Il y a des arbres. Un plan d’eau. Des aires de jeux. De repos. Faut faire le tour. Longer le bord.

Véronique Grenier, Carnet de parc (2019)


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Du même coup j’apprends à la personne qu’il y a deux Cantons. Les Cantons chics et les Cantons industriels. […] Richmond, ce n’est pas Magog. Les Cantons industriels, c’est les forêts utilitaires, belles vues de la route, mais parcourues de l’intérieur par des engins de foresterie, trouées par les coupes de bois, constellées d’électroménagers abandonnés là depuis les années cinquante, c’est les rivières brunes où s’accumule l’écume douteuse, les rivières aux lits dynamités, les barrages désaffectés. C’est les vieilles maisons anglaises refaites en clabord pastel, les immeubles anglais du dix-neuvième remplacés un à un par ce que mes parents appelaient des boîtes à chaussures. C’est l’usine Bombardier à Valcourt, la mine à Asbestos, et Papiers de communication Domtar à Windsor.

Alexie Morin, Ouvrir son cœur (2018)


Sherbrooke by night

on arpentait la Well

en quête d’une brèche où s’échouer

un repaire souterrain

pas plus grand que mon quatre et demie

dans l’underground frelaté d’une ville fantôme

Sophie Jeukens, Couchés en étoile dans la combustion lente des jours (2022)

j’écris pas ce texte c’est le silence

c’est les glands de chêne c’est l’eau qui coule

c’est l’humidité du sol l’odeur de la terre

l’enfant qui court dans le bois […]

un grand héron a volé avec moi sur le quatrième rang

à quelques mètres de la route il planait

entre la forêt et la boucherie il planait

avec la largeur d’un truck

il shinait comme un Kenworth sorti du dealer

il planait pendant que je battais de l’aile

Olivier Lussier, Cariacou (2023)


J’ai vu ce matin une mésange bicolore sur la rue Prospect. J’ai aussi croisé, comme il m’arrive fréquemment, un groupe de religieuses. Toujours les quatre mêmes. La plus vieille traînait en arrière, un masque au visage, comme si elle avait peur d’attraper ou transmettre quelque chose. Tous les matins, elles partent du couvent des Sœurs servantes et montent le rue Prospect. Où vont-elles? La rivière était basse, lente, comme épaissie par le froid. Des cônes orange scintillaient au fond de l’eau.

Patrick Nicol, J’étais juste à côté (2022)


Il y a des hommes, mon enfant, qui sèment les ruines et la peine sans même un frisson de gêne… Leur ombre s’est posée sur notre petite ville… Et le lac a gelé malgré l’été…

Je connais ces hommes?

Non, ils ont planifié leur œuvre à des centaines, des milliers de kilomètres de notre ville… Ils ignoraient ton existence, ta vie, ton nom… Ils l’ignorent sans doute encore… Tu te souviens du choc?

Anne-Marie Saint-Cerny et Christian Quesnel, Mégantic, un train dans la nuit (2021)


Marc-Étienne Brien est libraire à la librairie Les Deux Sœurs, à Sherbrooke. Il a obtenu un baccalauréat en études littéraires et culturelles en 2018.

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