Biorégion ou barbarie
Et si le projet biorégional pouvait nous aider à traverser l’effondrement? Dans cet extrait de l’essai «Faire que!», récemment paru chez Lux Éditeur, l’auteur et philosophe Alain Deneault appelle à un certain retour à la terre.
Parachutée au Missouri à cause du travail de son conjoint, le joueur de football Laurent Duvernay-Tardif, l’historienne de l’art Florence-Agathe Dubé-Moreau raconte le choc culturel qu’elle a vécu dans le Midwest. Un extrait de son essai Hors jeu, livre qui examine la place des femmes dans le sport et qui parait ces jours-ci aux Éditions du remue-ménage.
J’avais déjà 24 ans, et aucune de mes amies d’université n’avait encore de bébé, je n’étais jamais allée à un mariage de ma vie et j’ignorais tout de l’accès à la propriété immobilière. Je ne connaissais personne de mon âge au Québec se décrivant comme croyante et pratiquante ni personne d’ouvertement opposé à l’avortement ou au féminisme. Or, à Kansas City, dans le Midwest, ces idées–auxquelles je pourrais aussi ajouter l’homophobie, la suspicion envers le recyclage, l’éloge du droit de porter une arme, et la défense des valeurs traditionnelles sur la famille–étaient chose commune. J’assistais à des conversations sur la volonté de Dieu, sur les politiques républicaines et sur les recettes de yams de grand-mère avec un mélange d’incrédulité et de curiosité de touriste. J’ai plusieurs souvenirs de nos traditionnels soupers de la O-Line les jeudis soir pendant lesquels je pouvais passer plus d’une heure d’affilée à être en désaccord avec tout ce qui se disait autour de la table. J’avais le sentiment d’être constamment en décalage avec la culture que je découvrais. Je me trouvais à quelque vingt heures en voiture de mon appartement montréalais, dans une autre métropole nord-américaine, au sein d’un cercle de femmes, comme moi universitaires, dont le conjoint faisait la même chose que le mien, et pourtant, je restais étrangère. Il y a plusieurs sujets que je savais matière à débat, bien sûr, mais naïvement ça me semblait des cas isolés. Je ne pensais pas vraiment que, de nos jours, autant de femmes prenaient encore le nom de leur mari pour afficher leur union. Ni que des personnes ne recyclaient pas par choix. J’ai découvert cette face de l’Amérique du Nord à travers la NFL. Si près et si loin à la fois.
Même après neuf ans, je me sentais encore outsider, et certains échanges me prenaient de court. Lors de mon premier diner de l’Action de grâce à Kansas City, je me rappelle une discussion sur les wife duties où j’ai dû justifier pourquoi je ne portais pas de jersey avec l’inscription «Mrs. Duvernay-Tardif» brodée au dos, au-dessus du numéro 76, comme le veut la coutume. À l’époque, je ne savais pas encore ce que signifiait l’expression wife duties, mais le sujet de ces devoirs d’épouse aux fondements bibliques s’est avéré survenir fréquemment. Au fil des conversations avec mes amies WAGS1Note de la rédaction: l’acronyme WAGS revient à «wifes and girlfriends», au pluriel. Cette expression est couramment utilisée dans l’univers du sport masculin professionnel., j’ai constaté que ces idées d’assistance et de respect sont liées à d’autres devoirs plus près du service, dans la sphère domestique, et de l’admiration, exprimée dans la sphère publique, comme lorsqu’elles arborent leur jersey à paillettes sur lequel le nom et le numéro de leur mari brillent de mille feux. Un dimanche de match, dans le salon d’une d’entre elles, elles me confient leur peur d’oublier des choses quand elles préparent la valise de leur mari qui part disputer un match à l’extérieur. Bien que je ne voie pas pourquoi des hommes adultes vivent dans un univers où ils ne sont pas tenus de faire eux-mêmes leur valise, je comprends mieux le stress de ces femmes au regard du poids des traditions qu’elles souhaitent honorer.
Je ne pensais pas vraiment que, de nos jours, autant de femmes prenaient encore le nom de leur mari pour afficher leur union. Ni que des personnes ne recyclaient pas par choix.
Lors d’une autre discussion, où des femmes parlaient de la pression de donner un fils à leur mari, j’ai dû expliquer pourquoi je porte fièrement le nom de famille de mon père et celui de ma mère. J’ai parlé de la mainmise de l’Église catholique sur les femmes canadiennes-françaises jusqu’au milieu du 20e siècle et des luttes féministes des années 1970 au Québec qui ont mené à un mouvement d’autodétermination unique au Canada en faveur d’une plus grande égalité entre les genres. C’était un moment vraiment touchant où il y a eu une réciprocité dans les échanges et une découverte de l’autre. Dans mon cercle social, je n’avais jamais entendu parler de cette préoccupation à voir naître un garçon. Je ne réalisais pas que, dans la logique patrilinéaire, accoucher uniquement de filles suppose la fin de la lignée familiale, puisque seul un garçon peut transmettre le patronyme à ses enfants.
Bébé des années 1990 qui flashe son doublé de prénoms et de noms de famille composés à coups de traits d’union, ce n’était pas un enjeu sur mon radar! Au Québec, depuis 1981, les parents peuvent transmettre à leurs enfants les noms de leur choix, et non plus automatiquement celui du père. Cette spécificité québécoise fait figure d’exception en regard de la Common Law en vigueur ailleurs au Canada où, munie d’un certificat de mariage, on peut facilement emprunter le nom de son conjoint ou le faire ajouter au sien sur son permis de conduire, carte santé et autres documentations officielles. Idem aux États-Unis, où entre 70 et 90% des femmes, selon les études, prennent encore le nom de leur époux, même si ce n’est plus une obligation–cette tendance étant plus forte dans les populations blanches, hétérosexuelles et mieux nanties2Mirel Zaman, «I Changed My Name When I Got Married, & I’ve Felt Weird About It Ever Since», Refinery29, 5 mai 2021. [En ligne]. Ma stupéfaction était donc complète la première fois où, à Kansas City, j’ai reçu une invitation de la part des parents qui nous conviaient au mariage de leur fille, désignée par son prénom, au futur marié, désigné par son nom au complet. Ça m’apparaissait si transactionnel… et la future épouse semblait si loin de l’action!
Je repense à ce que je trouvais bizarre à l’idée de porter un gilet «Mrs. Duvernay-Tardif». Peut-être que mon sentiment d’étrangeté était semblable à celui qu’éprouvaient les autres WAGS quand elles apprenaient que je n’étais ni mariée ni fiancée à Laurent, même après dix ans de vie commune. Que ses parents non plus n’étaient pas mariés. Que je ne souhaite pas me marier. «No, I’m very happy unmarried.»3«Non, je suis très heureuse non mariée.» Mes réponses à leurs questions, sincèrement inquiètes pour mon avenir, devaient autant dissoner à leurs oreilles que dissone aux miennes la formule «Florence Duvernay-Tardif».
Autrice, chroniqueuse et commissaire indépendante en art contemporain, Florence-Agathe Dubé-Moreau œuvre à l’intersection de la culture et du sport. Formée en ballet contemporain, elle est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art. Hors jeu est son premier essai.
Pour aller plus loin
Hors jeu de Florence-Agathe Dubé-Moreau est paru aux éditions du remue-ménage.
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