Neuf façons d’aller plus loin que l’achat éthique

Marie-Claude Élie-Morin
Photo: Philip Pessar
Publié le :
Mode d'emploi

Neuf façons d’aller plus loin que l’achat éthique

Depuis que Laure Waridel a commencé à parler de café équitable au tournant des années 2000, on sait tous qu’«acheter, c’est voter». Nous souhaitons dorénavant être des consommateurs responsables. Mais suffit-il vraiment de recourir à son portefeuille pour construire une économie vigoureuse où les profits ne convergent pas entre les mains de quelques conglomérats?

À l’heure où le géant du commerce de détail Target s’apprête à s’installer au Québec, Stacy Mitchell—auteure de l’essai Big-Box Swindle et chercheuse à l’Institute for Local Self-Reliance, un groupe de réflexion qui milite en faveur des commerces indépendants et des économies locales—croit qu’il y a des gestes importants à poser, au-delà de l’achat éthique. Elle les partage avec nous.



Comprendre que nous sommes devant une illusion de choix

Une poignée de grandes entreprises se sont emparées de pans importants de l’économie nord-américaine. Par exemple, 40% du lait produit aux États-Unis—ce pourcentage augmente à 70% pour les États de la Nouvelle-Angleterre—est aujourd’hui transformé par un seul conglomérat. Les consommateurs croient toujours choisir entre différentes options, car ce même conglomérat commercialise ensuite ses produits sous des dizaines de marques de commerce distinctes. La croissance du commerce en ligne n’augure rien de mieux. Amazon et ses différentes filiales accaparent un tiers des ventes de détail sur l’internet. De la même -façon, il y a 15 ans, Walmart était un petit joueur dans le secteur de l’alimentation; aujourd’hui, un dollar sur quatre dépensé aux États-Unis pour les produits d’épicerie l’est dans cette entreprise. Walmart contrôle plus de 50% du marché dans plus d’une douzaine de villes nord-américaines. Cette mainmise a des conséquences sur toute la chaine alimentaire (agriculteurs, transformateurs, etc.). Dans ce contexte, le consommateur se retrouve impuissant. 


Reconnaitre que le pouvoir du consommateur isolé est limité

On a beaucoup parlé de la responsabilité individuelle et de la portée des choix de chaque consommateur, mais il est temps de changer de discours. On ne peut pas construire une économie plus juste et un monde meilleur en demandant aux individus de simplement choisir entre deux chaines de magasins ou deux marques, surtout quand plusieurs d’entre elles appartiennent à la même entreprise. Présentement, le consommateur qui cherche à se faire entendre par son pouvoir d’achat nage à contrecourant dans une rivière de politiques publiques favorisant les grands conglomérats et leurs pratiques d’affaires non durables.


Voir moins grand

On a longtemps cru que plus une organisation était grande, plus elle était efficace. Or, en 2008, la crise du système bancaire américain a prouvé que le culte de la démesure ne donnait rien de bon. D’ailleurs, en matière de services bancaires, les études démontrent que les institutions atteignent un maximum d’efficacité lorsqu’elles ne dépassent pas la taille d’une petite banque régionale. Il faut investir à nouveau dans nos communautés immédiates et nos commerces indépendants de proximité—agir au niveau micro plutôt qu’au niveau macro.


S’exprimer d’une voix forte et unie

Actuellement, il n’y a pas de réel débat sur le type de développement économique que nous souhaitons. Personne ne remet en question le statuquo, et les mêmes grandes entreprises et groupes d’influence monopolisent les subventions et les politiques publiques, parce qu’ils ont les moyens de se payer les services de lobbyistes et de faire du bruit. Par exemple, les subventions agricoles continuent d’être largement attribuées à de grands intégrateurs, ce qui freine le développement d’entreprises alternatives. Les petites banques et les commerçants indépendants ne sont pas organisés pour faire valoir leurs intérêts à l’échelle nationale ou continentale. Ils doivent s’unir pour faire entendre leur voix.

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Se parler

Les grandes chaines sont anonymes. Les commerçants indépendants doivent se servir du contact privilégié qu’ils ont avec la clientèle pour parler des enjeux politiques qui sous-tendent le développement de l’économie locale. Il s’agit aussi d’une manière de renforcer le tissu social dans la communauté, de créer des liens entre individus qui choisiront peut-être par la suite de poser des gestes plus concrets.


Transformer l’engouement pour l’achat local en action politique

Depuis quelques années, on constate un réel engouement pour l’achat local et les commerces de proximité, à un point tel que les grandes chaines s’en approprient le vocabulaire et font du local washing. Starbucks a, par exemple, retiré toute son image de marque dans quelques-unes de ses succursales de Seattle, qu’elle a rebaptisées de noms très «locaux», comme 15th Avenue Coffee and Tea. Mais il ne faut pas oublier que les consommateurs sont aussi des citoyens et qu’ils peuvent agir autrement qu’en faisant des achats. S’ils se sentent concernés par ce qui se passe dans leur communauté, ils seront plus enclins à contacter leurs élus locaux et à obliger ceux-ci à rendre des comptes.


Miser sur la politique de proximité

En Occident, la politique nationale accapare très souvent l’attention médiatique. En présence d’enjeux qui le dépassent, l’individu moyen se sent impuissant; or, on peut accomplir des changements importants en s’investissant en politique municipale. Limiter la superficie des magasins dans une ville. Faire adopter un règlement interdisant les chaines de restauration rapide à moins de 500 mètres des écoles. Obliger celles-ci à servir des repas composés d’un pourcentage minimal d’aliments locaux. Ou encore, cesser d’offrir des mesures incitatives (crédits d’impôts ou de taxes municipales) aux grandes chaines comme Walmart, Target et Home Depot pour qu’elles s’installent dans nos villes. Les élus se justifient en affirmant que la venue de tels magasins engendre des emplois et des retombées économiques, mais les études démontrent que c’est faux: ces chaines créent moins d’emplois que les commerces indépendants, et ceux qu’elles créent sont précaires et mal rémunérés. Exigeons des politiques qui vont véritablement redynamiser nos petites villes et nos centres urbains.


Agir malgré l'exaspération

Beaucoup de gens sont exaspérés par la lenteur bureaucratique des paliers de gouvernement, même à l’échelle locale. Mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. Il est possible d’amorcer des changements très concrets dans sa communauté immédiate sans avoir recours ou presque au système politique. Aux États-Unis, par exemple, plusieurs petites villes ont créé des coopératives d’achats alimentaires qui encouragent les agriculteurs locaux. D’autres communautés ont investi dans des systèmes électriques solaires.


Mesurer le chemin parcouru pour se motiver à continuer

Depuis 2002, plus de 4 900 nouveaux cafés indépendants ont ouvert leurs portes aux États-Unis, et on observe la même tendance au Canada. En 1994, il n’y avait que 1 744 marchés publics actifs au pays; en 2012, on en comptait 7 864. Malgré la mainmise des grands conglomérats sur certains secteurs de l’économie, force est de constater que la volonté et la débrouillardise des entrepreneurs et des commerçants indépendants portent leurs fruits, et que la population est beaucoup plus sensible qu’il y a dix ans à l’importance d’encourager les entreprises locales. 


Marie-Claude Élie-Morin est journaliste indépendante et travaille également comme recherchiste en documentaire télé et web. Elle est disponible pour refaire le monde et rêve souvent en couleur. 

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