Nourrir notre monde

Moïse Marcoux-Chabot
 credit: Photo: Nancy Guignard
Photo: Nancy Guignard
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Transition

Nourrir notre monde

En Haute-Gaspésie, des communautés de pratique s’organisent pour améliorer leur autonomie alimentaire et leur résilience face aux changements climatiques.

Un seul corridor routier relie les villages de la Haute-Gaspésie: la route 132, qui serpente d’une vallée à l’autre le long du Saint-Laurent, à l’ombre des falaises. Avec le réchauffement des températures, le couvert de glace qui protégeait autrefois la côte ne se forme plus comme avant. Déjà, en 2016, les grandes marées de décembre ont fortement endommagé quatre tronçons de la route, isolant la municipalité de La Martre pendant plusieurs jours.

Depuis cet évènement, les enjeux de l’érosion côtière, de l’autonomie alimentaire et de la résilience des communautés sont devenus on ne peut plus concrets, notamment pour Rosie-Roch L’Allier, de Nourrir notre monde Haute-Gaspésie. «Accompagner les communautés pour créer de la résilience, c’est un pas pire défi, c’est nouveau pour tout le monde. On sait que ça s’en vient depuis longtemps, mais le vivre, c’est autre chose.»

En 2017, c’est de la démarche intégrée en développement social de la MRC de la Haute-Gaspésie qu’émerge Nourrir notre monde, une réflexion collective sur l’autonomie alimentaire. L’initiative inspire d’autres communautés et, dès 2019, l'ensemble des territoires de Gaspésie–Iles-de-la-Madeleine emboitent le pas et forment un collectif régional. Il faut dire que la création de liens et le partage de pratiques sont des forces du milieu gaspésien.

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Si le faible accès à une alimentation saine était déjà un enjeu dans certaines localités, la pandémie et la hausse du cout des denrées ont amplifié l’intérêt des communautés pour l’autonomie alimentaire. En Haute-Gaspésie, un groupe Facebook consacré à l’autosuffisance regroupe plus de 1 700 membres, qui échangent conseils, semis, matériel, surplus et recettes. Sur le même territoire, un service d’accompagnement soutient les jardins communautaires, alors que le projet des Anges-Jardins favorise l’implantation de haltes nourricières ainsi que la récolte et la redistribution de semis, de fruits et de légumes autrement perdus.

Depuis 2020, un projet expérimental se déploie avec le soutien financier du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs: le LAB Nourrir notre monde. «Le LAB, c’est une occasion de créer une espèce d’incubateur d’infrastructures alimentaires. C’est un ensemble de projets collectifs et communautaires qui vont nous permettre d’augmenter la production, la consommation et la conservation d’aliments locaux», explique Marie-Ève Paquette, au cœur de l’initiative depuis son idéation.

En jonglant avec différentes contraintes sanitaires, l’équipe du LAB accompagne les communautés dans l’élaboration de leurs projets, localité par localité, notamment en finançant le cout des infrastructures. Treize idées porteuses ont été identifiées puis implantées par autant de comités de citoyen·ne·s. Des caveaux à légumes communautaires à Cap-au-Renard et à Rivière-à-Claude, de nouveaux jardins à Mont-Louis, à Cap-Chat et à Sainte-Anne-des-Monts ainsi que des serres collectives à Cap-Seize, à Tourelle et à Mont-Saint-Pierre ont pu voir le jour.

À Capucins et à Gros-Morne, ce sont plutôt des services de partage d’outils de jardinage qui ont été développés, alors qu’à Madeleine-Centre, on s’est doté d’un pavillon agricole et à Marsoui, d’une cour d’école nourricière. À La Martre, municipalité particulièrement touchée par l’érosion côtière, la question de la disponibilité du garde-manger marin a mobilisé la population, qui a travaillé sur un meilleur accès à la plage et sur l’aménagement d’une table à poissons.

Alors que ce projet pilote tire à sa fin, l’équipe de Nourrir notre monde Haute-Gaspésie compile les apprentissages, les guides techniques et les outils de transfert réunis depuis trois ans, en souhaitant que l’expérience puisse se poursuivre et s’étendre. Pour Rosie-Roch L’Allier, c’est l’heure des bilans: «La plupart des participants avaient une vision beaucoup plus large que leur projet de jardin, de caveau ou de serre. Elle s’étendait à des valeurs partagées, un concept et un rêve pour leur localité. C’est beau de travailler avec des citoyens qui sont optimistes par rapport à leur pouvoir d’agir et à leur capacité de créer du changement.»

L’apprentissage collectif du faire-ensemble et l’émergence d’une série de comités de citoyen·ne·s lui donnent confiance pour la suite. «On a fait ça, qu’est-ce qu’on peut faire d’autre? Ça donne un peu l’impression qu’on peut agir sur plein d’autres enjeux… si les gens se sentent touchés.»


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D’autres initiatives locales pour la transition


Des groupes écologistes vigilants

Les projets industriels extractivistes ne manquent pas sur la péninsule gaspésienne, mais les citoyen·ne·s préoccupé·e·s par l’environnement s’organisent. Au gré des enjeux prioritaires, des initiatives ont émergé ces dernières années. Des groupes comme Ensemble pour l’avenir durable du grand Gaspé, Gaspé en transition, Tache d’huile, Environnement Vert Plus, le Camp de la rivière, Koup 911 et le Comité pour l’amour des forêts y jouent un rôle de surveillance et de résistance, de la lutte contre les projets d’hydrocarbures à la protection du caribou forestier, en passant par la préservation de l’eau potable et la défense des forêts anciennes contre l’exploitation forestière.


  • Luc Potvin et Éric Giguère des Jardins Viridis, Maria

Un garde-manger frais à l’année

Se nourrir de produits frais et locaux à l’année en Gaspésie ? C’est possible, même sans jardin chez soi. Dans la baie des Chaleurs, des entreprises de production et de transformation alimentaire ont formé en 1999 le Réso bio de la Baie, devenu en 2010 Baie des saveurs. Grâce à un système de commandes en ligne et à des points de chute approvisionnés toutes les deux semaines (de novembre à avril), les membres ont notamment accès aux légumes d’hiver fraichement sortis du caveau des Jardins Viridis (Maria) et à des conserves et lactofermentations de récoltes déclassées, transformées par la conserverie mobile Au tour du pot. Une solution de rechange savoureuse à l’offre hivernale des supermarchés, souvent fade, chère et à lourde empreinte écologique.


Un espace communautaire autogéré

Apparu en 2015 dans le décor de Bonaventure, le Loco Local se définit comme un «lieu collectif, ouvert et versatile», qui abrite un «collaborium», la bibliothèque féministe La Page Pourpre et une bibliothèque d’outils, propose des évènements culturels et des activités «Café-réparation», et administre un groupe d’achat. Chapeauté par la coopérative de solidarité Horizons gaspésiens et géré horizontalement par ses membres, le Loco Local offre un espace de rassemblement apprécié par la communauté.


Note: L’auteur réalise une série documentaire sur le LAB, en collaboration avec Nourrir notre monde.

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