Olivier Arteau: écrire pour les sien·ne·s

Maud Brougère
Photo: Sarah Rouleau
Publié le :
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Olivier Arteau: écrire pour les sien·ne·s

Que ce soit comme dramaturge, comme interprète ou comme directeur artistique, on a beaucoup entendu parler du travail d’Olivier Arteau ces dernières années. Sa plus récente création, Pisser debout sans lever sa jupe est le 38e titre de notre collection Pièces.

Pour créer Pisser debout sans lever sa jupe, tu as eu recours à l’écriture de plateau. Peux-tu nous parler de ce procédé de création particulier?Qu’est-ce qu’il permet selon toi?

L’empathie et l’amour que je porte pour les interprètes avec lesquel·le·s je travaille est la matière première de chacune de mes créations. Je ressens la nécessité d’écrire pour quelqu’un, plutôt que d’écrire un personnage qui peut évoluer indépendamment de l’interprète qui lui donnera voix et corps. Il m’apparait essentiel de connaitre le biorythme de l’interprète qui jouera le personnage pour pouvoir écrire et être inspiré.

Ensuite, puisque je mets en scène mes propres textes, j’essaie d’emblée d’imaginer des tableaux chorégraphiques ou musicaux qui nous permettront d’embarquer émotivement dans le récit sans avoir recours aux textes. Ces segments pluridisciplinaires ne se construisent qu’avec et d’après les interprètes; les dialogues et la mise en scène s’écrivent au même rythme selon les besoins sensibles du spectacle. Bref, l’écriture scénique me permet de me raconter autrement que par le biais des mots.


Depuis les débuts de ta carrière, tu t’es illustré tour à tour comme dramaturge, interprète, metteur en scène et, depuis l’année dernière, comme directeur artistique du Théâtre du Trident à Québec. Quelle place accordes-tu plus particulièrement à l’écriture parmi ces différentes postures de création?

Je me suis toujours senti imposteur comme auteur. J’ai commencé par écrire parce que j’avais envie de donner des partitions théâtrales uniques à mes ami·e·s et voir se déployer pour elles et eux des univers choisis. Mais comme la mise en scène est partie intégrante de mon écriture, je n’ai jamais senti que mes œuvres étaient autoportantes ou qu’elles valaient la peine d’être lues pour ce qu’elles sont. Désormais, je tente de décrire concrètement les images scéniques créées avec les interprètes et je sens que cette nouvelle posture, qui prend en compte toutes les particularités du théâtre, me donne la légitimité d’embrasser ce médium. Qui sait, peut-être que ça me donnera l’élan d’écrire davantage? Chose certaine, je ne romantise pas cette image de l’auteur qui écrit en solo et chez qui l’inspiration advient en regardant simplement par la fenêtre. L’écriture demeure pour moi un travail d’équipe. 

Je me suis toujours senti imposteur comme auteur. J’ai commencé par écrire parce que j’avais envie de donner des partitions théâtrales uniques à mes ami·e·s et voir se déployer pour elles et eux des univers choisis. 

Dans ta pièce, les membres d’un groupe d’ami·e·s se livrent à des débats enflammés puis à des confessions très intimes, notamment à propos de leur corps et de leur sexualité. C’est une thématique qui domine dans ton travail pour l’instant. As-tu l’intention de continuer à creuser dans cette direction?

Pour moi, il y a dans cette combinaison de thèmes (amitié, sexualité et intimité) des fondements relationnels inépuisables et intarissables. J’ai le sentiment qu’il y a, dans l’amitié, la réelle possibilité de mener la révolution. C’est une des seules relations humaines qui n’est pas légiférée. La société ne «contrôle» pas l’amitié comme elle circonscrit d’autres relations sociales. Les relations amoureuses et familiales sont inscrites dans des codes sociaux, moraux et légaux qui ne nous permettent pas une liberté aussi franche qu’en amitié, là où rien n’est pris pour acquis. Un·e ami·e peut être notre amant·e, notre collègue, notre complice, notre partenaire d’affaires, notre partner in crime… les possibilités sont si vastes, c’en est vertigineux!

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Et je crois que ce qui donne du gaz, ce qui influence une grande partie de nos choix, c’est la sexualité. L’énergie liée à la «procréation» est si puissante qu’elle donne nécessairement une direction à notre existence. La sexualité fait advenir ma fièvre et l’amitié me donne de la fougue.

Extrait

Pisser debout sans lever sa jupe


Sarah (À Zoé) Zoz! Ta fréquentation est pas v’nue?

Zoé Y check une game de hockey avec ses chums.

Laurence On est en juillet

Vincent T’es pas forte forte en CH, Zoz.

Zoé (Empêtrée dans son mensonge) Dek hockey. Non. Y joue. 

Vincent Ah ouin?

Laurence Où?

Sarah Depuis quand?

Zoé Y s’crossait trop, j’y ai dit d’faire du sport.

Vincent Moi avec, depuis ’a pandémie, j’essaye de faire fondre mon tas d’Crisco au YMCA. Mais crisse, y a rien qui l’fait!

Laurence Ça fait du bien de voir que vous êtes toujours aussi bien dans votre peau, la gang! 

Sarah Voyons, Vince, t’es ben correct!

Vincent Eh boy. C’est jamais ben ben rassurant d’être «ben correct».

Zoé Surtout venant d’quelqu’un qui mange e-rien entre midi pis minuit…

Vincent Exact, j’te crés même pas.

Sarah Ma maladie mentale, c’est par rapport à mon corps, ç’a rien à voir avec ma perception de celui des autres.

Laurence Bullshit.

Sarah Pardon?

Zoé Tu fais du jeûne intermittent, mais tu juges le monde à temps plein, on l’sait.

Sarah Faux. Quand ça? Où? Qui?

Zoé Avant-hier. Au MissFit. Steve. 

Vincent Steve? Ton chum?

Zoé Fréquentation.

Sarah Ben là. Steve, ça compte pas. Y s’habille chez Maxi, y a un bronzage de snowbird même en plein mois d’mars, pis une coupe de cheveux de ramen. 

Zoé Et voilà.

Sarah C’est jaune pis croustillant. Vince, avoue!

Vincent Mets-moi pas ton pied dans bouche. 

Sarah En plus y sent le bánh mì!

Vincent C’EST ÇA QU’Y SENT! On cherchait, la s’maine passée! 


Rires francs de Sarah et Vincent.


Zoé Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi mes fréquentations deviennent toujours le main topic de nos débuts d’soirée?

Vincent T’en as tellement qu’y faut s’mettre à jour.

Sarah C’pas de notre faute si tu dates toujours le genre de gars qui pisse dans le spa. (À Vincent) Te souviens-tu d’la shot où a s’est faite doigter au Comiccon? 

Vincent C’tu le même gars qui était venu la chercher en bus après son avortement?

Sarah Non, ça c’t’un autre!

Vincent Savais-tu que «Zoz», en créole haïtien, ça veut dire pénis?

Zoé Ça vous challenge, hein, que j’m’amuse autant!

Vincent Bof. Correc’.

Sarah (Souriante) Sans façon, merciiii!

Laurence (À Sarah) Avec la sacoche pis tes beaux p’tits commentaires, ça ment pas: t’as pas changé!

Sarah Un peu, quand même! J’fais des efforts, j’suis rendue full body neutral.

Vincent Bon, une autre affaire.

Zoé Body neutral?

Sarah Ça veut dire que je considère mon corps comme un instrument, pus comme une enveloppe. C’est la fille qui m’épile qui m’a conseillé ça.

Vincent Mais tu t’es faite poser des cils la semaine passée.

Sarah Ouin, pis?

Vincent (Pour rompre le malaise) Quelqu’un a texté Lucie pour savoir quand est-ce qu’y arrivent?


Lucie et Ariel arrivent enfin. Une forte odeur de parfum commercial s’infiltre dans l’appartement.


Narrateur Depuis quelques années, Lucie courbe l’échine. Une femme de six pieds qui s’assume, c’est rarement valorisé.

Ariel pense obstinément aux têtes de violon qu’elle a ingurgitées en fin d’après-midi. Elle se demande si elle les a suffisamment fait cuire pour ne pas mourir.

Elle a l’hypocondrie dans le tapis, à quelques jours du moment le plus important de sa vie.

Olivier Arteau est un artiste multidisciplinaire formé en jeu et en danse, connu pour son travail d’auteur, de metteur en scène, de chorégraphe et de comédien. Il est notamment l’auteur de Doggy dans gravel et de Made in beautiful: la belle province (meilleur texte original dans le cadre des prix Théâtre 2021-2022 de la grande région de Québec). Il est le cofondateur de la compagnie de théâtre Kata.

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