Pour une poignée de bitcoins

Laurent K. Blais
Publié le :
Reportage

Pour une poignée de bitcoins

Le bitcoin est une monnaie numérique, le coeur d’un nouveau système économique qui s’étend sur l’internet. Tout (ou presque) peut déjà y être acheté, des toutous comme de l’héroïne. À notre époque de méconnaissance généralisée des rouages de l’économie, de cynisme et de perte de confiance dans l’économie traditionnelle, le bitcoin est-il une utopie ou la monnaie de l’avenir?

Considéré dans ce texte

Le LSD hollandais. Les coquillages en tant que monnaie d’échange. World of Warcraft en tant que modèle économique. Le mystérieux Satoshi Nakamoto. Les risques de frapper sa propre monnaie. Le Gérald Fillion du bitcoin. Le trafic de drogues, de sexe et d’armes. L’évasion fiscale. Le blanchiment d’argent. Mark Zuckerberg.

La lettre est arrivée dans une enveloppe rose, sans adresse de retour. Mon nom ne figurait nulle part, mais je savais qu’elle était pour moi et qu’elle contenait trois timbres de LSD hollandais. C’était la conclusion de mon premier achat de drogue en ligne. Le tout avait été payé avec des bitcoins, la monnaie numérique d’un système économique sans autorité centrale, qui garantit l’anonymat des utilisateurs et de leurs transactions.


Dès que l’humain a compris que ses chances de survie étaient plus grandes si les membres de son groupe pratiquaient des activités complémentaires dont ils pouvaient échanger les bénéfices, la monnaie a été essentielle à son développement social. Avec la roue, le feu et l’agriculture, la monnaie est l’un des premiers embranchements technologiques qu’a pris l’humanité pour se dissocier de l’animal.

Les civilisations ont économisé, monnayé, échangé à peu près tout ce qu’elles avaient sous la main: du sel, des pierres précieuses, des coquillages, du thé, du bétail, du tissu, des haches, des esclaves, de l’alcool, des fusils, des cigarettes. Mais les métaux se sont imposés en raison de leur nature: leur quantité est limitée, ils sont durables, homogènes, divisibles et possèdent une valeur intrinsèque. Il faut du fer pour construire des armures et des armes, du cuivre pour la cuisine, de l’or pour honorer les dieux. 

L’argent était la base du premier système économique complet, mis en place par les Athéniens. La cité rémunérait les citoyens à l’aide de pièces d’argent frappé, et ceux-ci pouvaient les utiliser pour acheter des biens, payer leurs impôts, s’acquitter de dettes ou «racheter» une faute si la cour les reconnaissait coupables d’un crime. L’argent est ainsi devenu synonyme de liberté et de pouvoir. Le système grec aura un profond impact sur l’économie moderne—ce n’est pas pour rien que les banques du début du 20e siècle ont copié l’architecture du Parthénon.

L’or est également bien ancré dans l’histoire de l’humanité. En Europe, le ducat d’or vénitien a été la monnaie de référence durant cinq siècles. La découverte d’abondants gisements au Nouveau Monde a fait du métal jaune la monnaie de référence en Amérique et dans les Antilles, plaque tournante du commerce international au début de l’ère moderne. 

Dès la fin du 18e siècle, les principaux pays occidentaux ont cherché à établir un système de billets représentant une valeur convertible en métal. C’est l’étalon-or. Mais au cours des décennies suivantes, l’Europe et l’Amérique ont connu une série de crises économiques et de guerres qui ont donné naissance à des monnaies alternatives «fiduciaires», c’est-à-dire basées sur la confiance et non sur l’or. Les mandats postaux anglais et les rentenmarks allemands, basées sur le patrimoine industriel du pays, de même que les coupons de rationnement, répondent tous au besoin de transiger, même quand les monnaies établies sont en crise. Malgré des tentatives de ramener l’étalon-or, la crise de 1929, puis la Deuxième Guerre mondiale ont contraint la grande majorité des pays à abandonner la convertibilité en or, de manière partielle ou totale: la Suède et l’Angleterre en 1931, le Canada en 1940, les États-Unis en 1976 et la Suisse, dernier pays à le faire, en 2000.

L’économie mondiale fonctionne essentiellement sur la confiance. Les milliards de billets de banque en circulation ne valent, concrètement, que le papier sur lequel ils sont imprimés. 

Aujourd’hui, l’économie mondiale fonctionne donc essentiellement sur la confiance. Les milliards de billets de banque en circulation ne valent, concrètement, que le papier sur lequel ils sont imprimés. 

L’immense majorité des 11 millions de joueurs de World of Warcraft (wow) n’a donc jamais connu un monde où la monnaie n’avait pas une valeur complètement virtuelle. A priori, il n’y a rien de plus illogique à diversifier son portefeuille d’actifs en collectionnant des créatures rares qui peuvent s’échanger pour des milliers d’euros sur le marché gris de wow. Pour les 20 millions d’utilisateurs de Second Life, spéculer sur les linden (la monnaie de ce monde virtuel, qui représente en circulation l’équivalent de 567 millions de dollars américains) peut sembler beaucoup plus concret qu’un véhicule d’épargne offert par une banque. 

Zynga, la compagnie américaine derrière Farmville et CityVille, des jeux sur Facebook, a démocratisé l’échange d’argent contre des biens virtuels. Des millions de mères de famille, de chauffeurs d’autobus et de fonctionnaires achètent ainsi pour leur ferme virtuelle de nouveaux animaux et de meilleurs semis en Facebook Credits (fc). Mark Zuckerberg, le fondateur du réseau social comptant plus de 800 millions d’utilisateurs, confirmait en septembre dernier que les fc deviendraient la monnaie unique de Facebook, et qu’ils allaient bientôt pouvoir être utilisés pour acheter des biens et services annoncés sur le site. Mieux: comme Rome, Venise ou Washington avant lui, Facebook aspire à ce que ses fc soient adoptés massivement sur l’internet afin d’«unifier» l’expérience des internautes au-delà du site lui-même. 

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L’été dernier, dans un grand loft industriel du Mile End où avait lieu une fête organisée par une agence de publicité désireuse d’afficher sa richesse, je jouais à compter les clichés: l’autocongratulation, le laisser-aller calculé, les jeunes visages béats de bonheur, incapables d’imaginer qu’ils contribuent plus aux problèmes qu’à leur solution. J’en aurais eu pour toute la soirée si je n’étais pas tombé sur Linvega (son avatar. Il préfère qu’on n’utilise pas son vrai nom). Grand et filiforme, vêtu de noir, le regard triste mais empreint d’intelligence, il était là parce qu’il faisait du codage pour les sites web des clients de l’agence. Dans la foule dense mais pauvre en idées, il avait l’air d’Édouard aux mains d’argent pris au milieu du babillage des ménagères de banlieue. On s’est donc mis à parler.

C’est ainsi que j’ai appris l’existence des bitcoins, au détour d’une conversation enthousiaste sur le groupe de hackers de l’heure, LulzSec. Linvega donnait la musique qu’il rendait disponible sur son site web, mais offrait la possibilité à ses fans de lui envoyer des dons sous forme de bitcoins. 

Il m’a expliqué comment ce système économique parallèle était indépendant de toute institution, organisation ou forme de contrôle autres que celles de sa communauté d’utilisateurs. Et les bitcoins ne comportaient pas de frais bancaires, étaient à l’abri des fluctuations des autres monnaies et garantissaient l’anonymat des transactions. Une idée à la fois utopiste et complètement fonctionnelle. Linvega venait même de s’acheter un ordinateur portable avec une partie de ses bitcoins.

Le lendemain matin, ce que Google me donnait sur «bitcoin» concordait avec ce que Linvega avait commencé à m’expliquer la veille. Je n’étais donc pas tombé sur un bonimenteur ou un illuminé. Mais même si on avait jasé bitcoins pendant une heure, je n’y comprenais toujours rien. «Ce n’est pas vraiment pour tout le monde», m’avait-il averti, sourire en coin. 


L‘architecture du réseau bitcoin a été mise en ligne le 4 février 2009 par le mystérieux Satoshi Nakamoto. À ce jour, personne ne sait qui il est, ou même s’il a vraiment existé. Avant la publication du code de son système, Nakamoto a publié des centaines de billets de blogue, des manuels d’instruction, des manifestes. Puis il a complètement disparu. Pour un récent article du New Yorker (10 octobre 2011), un journaliste a tenté de le traquer pendant des mois, sans succès. C’est d’autant plus surprenant qu’il n’existe que très peu d’individus au monde avec des connaissances aussi poussées à la fois en programmation, en économie et en cryptologie (la science de l’encryption et du décodage), capables de mettre sur pied un système économique virtuel parallèle de la complexité et de l’ampleur du bitcoin. Et encore moins qui sont prêts à risquer de concevoir une monnaie concurrentielle à celle d’un État, un crime rare mais qui n’est pas pris à la légère. (Bernard Von NotHaus, un Américain qui frappait son propre or, les Liberty Dollars, a été trouvé coupable en mars 2011. La cause est présentement en appel, mais celui que la juge a qualifié de «terroriste domestique» fait face à 15 ans de prison, une amende de 250 000$ et la saisie de 7 millions de dollars d’or et d’argent utilisés pour la fabrication de pièces.)

Le but premier des bitcoins, tel que décrit dans un document publié par Nakamoto en 2008, est de créer un système numérique d’échanges économiques qui ne reposerait pas sur la confiance entre un acheteur, un tiers (Visa ou PayPal) et un vendeur. Ce système de confiance est faillible, puisqu’il permet la fraude, et fait perdre temps et argent en cas de litige. Nakamoto proposait plutôt de le remplacer par une transaction directe, immédiate et irréversible entre l’acheteur et le vendeur, garantie par un algorithme d’encryption. 

Le système fonctionne selon la logique du p2p (peer-to-peer, ou poste-à-poste). L’échange de bitcoins se fait à l’aide d’un logiciel dédié qui sert également de porte-monnaie virtuel contenant tous les bitcoins d’un utilisateur. La sécurité des transactions est assurée par une clé alphanumérique: chaque partie doit apposer sa «signature-clé» pour amorcer l’échange. Aucune tierce partie ne garantit la solvabilité des échangeurs.

Comme pour les autres systèmes p2p, c'est dans l’ordinateur des utilisateurs que le système bitcoin va chercher la puissance de calcul nécessaire. En utilisant le réseau, les usagers «prêtent» une partie du processeur de leur machine pour vérifier si, par exemple, le bitcoin échangé n’est pas déjà associé à une autre transaction. Une fois l’échange approuvé, il est archivé de manière anonyme et sécuritaire sur un serveur, et servira de référant la prochaine fois que ledit bitcoin sera transféré. Ainsi, un utilisateur ne peut transiger deux fois le même bitcoin, ni créer de fausse monnaie, ni en générer au besoin. 

Pour inciter les utilisateurs à participer à l’effort d’authentification et d’archivage, Nakamoto a pensé les récompenser en attribuant au hasard des bitcoins parmi les ordinateurs qui partagent leur machine. Les bitcoins sont donc créés et distribués aléatoirement selon un rythme prévu d’avance par le code. À terme, vers 2030, 21 millions de bitcoins seront en circulation. La masse monétaire est fixée et publique: à ce jour, selon Bitcoinwatch (le Gérald Fillion du bitcoin), un peu plus de sept millions de bitcoins sont en circulation.

Étant donné que le nombre d’usagers qui joignent le réseau augmente et que le nombre de bitcoins à être distribués diminue, plusieurs comparent la «loterie bitcoin» au système pyramidal rendu célèbre par Charles Ponzi. Les premiers à embarquer se sont partagé la plus grosse part du gâteau, et il est de plus en plus difficile d’obtenir des bitcoins à mesure que le nombre de participants augmente. Ce qui a donné lieu à des regroupements d’utilisateurs qui mettent leur machine en commun pour «miner», dans le jargon, des bitcoins. Ou à la création de superordinateurs destinés uniquement au minage. Ces stations sont très utiles pour l’ensemble de la structure bitcoin, puisqu’elles assurent une puissance de calcul élevée et constante.

Mais comme dans l’industrie minière traditionnelle, un gisement est considéré rentable seulement si les bénéfices de vente du matériel extrait surpassent les coûts d’exploitation. Les stations de minage de bitcoins sont composées de plusieurs processeurs mis en série qui fonctionnent à très haut régime et nécessitent donc une quantité d’énergie appréciable. Si le coût d’énergie et d’infrastructure est trop élevé par rapport à la valeur du bitcoin, il est possible que les mineurs abandonnent leur hobby. 

C’est une probabilité annoncée par plusieurs depuis le 20 juin 2011, quand les serveurs de mtgox, un des principaux sites d’échanges de bitcoins, ont été attaqués, ses bases de données pillées et rendues publiques sur le web. La valeur du bitcoin est passée de presque 30 dollars à un peu plus de 5 dollars entre la mi-juin et la mi-septembre. 

«Il y a de bonnes raisons pour lesquelles nous sommes arrivés à un modèle d’économie supporté par des États, et non par des groupes, des individus ou des institutions comme les banques. La principale, c’est qu’il faut absolument que les gens aient confiance que leur argent vaut ce qu’il vaut», explique Pascal Bédard, chargé de cours à l'uqam et hec Montréal et spécialiste en institutions financières et macroéconomie internationale. «C’est sûr que le timing de l’arrivée des bitcoins est particulièrement bon», reconnait-il. Avec la crise économique, l’endettement des États et une incompréhension généralisée des rouages de l’économie, le cynisme et la perte de confiance dans l’économie «traditionnelle» sont inévitables. 

Mais, précise Bédard, «pour être forte, une monnaie doit être utilisée pour faire des échanges. Une devise qu’on garde pour la spéculation a très peu de chances de se répandre et de remplir sa fonction, soit faciliter les échanges et contribuer à l’économie d’une société. On voit ce problème à Cuba: tout le monde essaie de se débarrasser de ses pesos cubains et garde ses pesos convertibles sous son matelas». Le résultat est une dévaluation des pesos cubains, et le développement d’un marché «noir» parallèle en pesos convertibles.

Le trafic de drogues, de sexe et d’armes, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent viennent bien sûr en tête quand on pense aux applications possibles d’une monnaie intraçable. Pourtant, les commerces qui acceptent les bitcoins sont surprenamment banals. On peut acheter des toutous en laine sur etsy.com, de l’hébergement web, les services d’un designer graphique, de la nourriture pour chiens, un abonnement au magazine de bikini Stare, des macarons. Ces petites entreprises ont ajouté le bitcoin à leurs modes de paiement par opportunisme et pour participer à la hype. 

Silk Road est peut-être l’endroit le plus intéressant où dépenser ses bitcoins. Décrit comme le Amazon du marché noir, Silk Road permet d’acheter, protégé par l’anonymat des bitcoins, toutes les substances illégales imaginables: du lsd californien, du haschish marocain, de la cocaïne bolivienne, de l’héroïne afghane. 

Pouvoir acheter, de son salon, des drogues provenant des quatre coins de la planète frappe l’imaginaire de quiconque s’est retrouvé avec de la mauvaise drogue payée trop chère à un vendeur louche. D’ailleurs, l’été dernier, le sénateur américain Charles Schumer a proposé qu’on interdise carrément le bitcoin, puisqu’il facilite un peu trop à son goût le trafic de drogue international. 

Là où Silk Road est peut-être le plus intéressant, c’est de la façon qu’il incarne les tensions autour du bitcoin. D’abord dans sa communauté, composée de libertariens, d’anarchistes, d’agoristes (une théorie économique anarchocapitaliste qui vise à renverser l’État en développant un marché noir et gris), de nostalgiques de l’étalon-or, de pirates informatiques, d’hacktivistes, de conspirationnistes, de militants d’extrême-gauche, de spéculateurs et de propriétaires de petites entreprises.

Nakamoto a doté son système de tout, sauf d’un mode d’emploi. Il a laissé aux utilisateurs la responsabilité de ce que deviendrait le bitcoin. La controverse autour de Silk Road est la manifestation concrète du plan plus large que Nakamoto a pour l’humanité. En laissant les utilisateurs de son système décider de ce qui devrait être moral, illégal, bon ou mal, Nakamoto reformule finalement, à la sauce 2.0, la question fondatrice que Dieu aurait posée à Ève et Adam: comment vous comporterez-vous devant un monde vierge et libre?

Le bitcoin a les attributs pour servir à la démolition d’un paradigme financier injuste qui craque de partout. Il peut égaliser le rapport de force entre les institutions financières, les citoyens et les États, contourner des embargos, donner un espace de liberté à des groupes marginalisés. Mais c’est aussi le véhicule idéal pour blanchir de l’argent, financer des opérations terroristes et déstabiliser l’économie d’un pays ou d’une région.

L’internet, dernier continent sauvage, sera le territoire de ce nouveau combat entre les institutions et notre désir, inné et irrépressible, de contrôler notre propre destinée.

La première étape pour acheter sur Silk Road, c’est d’obtenir des bitcoins.

Il m’a fallu quelques tentatives avant de me lancer. À première vue, l’ensemble du système—avec ses interfaces laides, ses termes inconnus et ses pages de tutoriels—semble avoir été conçu pour décourager les novices. Le système économique traditionnel m’a même semblé attrayant en comparaison, même si je sacre dans les files au guichet et que je ne sais jamais quoi faire quand je reçois un sou noir au magasin. 

Pour sauver du temps, j’ai décidé d’acheter directement des bitcoins avec des dollars canadiens (plutôt que de «miner» avec un logiciel, une opération complexe pour un néophyte). Premier constat: les principaux lieux d’échange, comme Mtgox, Tradehill et Bitcoin7, sont réservés aux internautes américains.

En fouillant un peu, j’ai trouvé Cavirtex, un site tout juste sorti de sa phase béta et basé à Calgary, capitale canadienne du libéralisme économique. J’ai alors autorisé un versement de 100$ de ma Caisse Desjardins vers mon compte Cavirtex. Deux jours plus tard, j’ai reçu un courriel d’un certain Joseph David qui m’annonce que les fonds étaient là. Je les ai convertis en 18 btc (98,50 dollars canadiens).

Deuxième étape: trouver Silk Road. J’avais un peu la chienne. Pas de visiter le site, mais de ne pas être capable de le trouver. L’article de Gawker où j’ai pris la totalité de mes informations n’avait rien de rassurant: l’url est fait pour être oublié (http://silkroadvb5piz3r.onion/) et n’est accessible qu’avec tor, une application gratuite qui se jouxte au fureteur et qui empêche d’identifier, de suivre et de sauvegarder sa navigation sur le web. Mais finalement, tout s’est installé tout seul: Silk Road se cache, mais n’est pas trop difficile à trouver. 

Une vingtaine de catégories de produits y sont disponibles, du banal (de l’équipement informatique, des livres, des films xxx) à l’illégal (de faux papiers, des armes). La section drogues est de loin la plus fournie, avec près de 900 produits listés. Le cannabis, les psychotropes et l’ecstasy comptent pour près de la moitié des substances offertes. 

Le LSD que j’ai choisi valait 13,19 btc (62 $), livraison incluse. Le vendeur avait bonne réputation (95% après 180 transactions) et, comme de fait, il m’a répondu quelques minutes après la commande passée pour confirmer que le paquet partirait sous peu.


Je ne m’étais jamais risqué au lsd, autant à cause de la sensibilisation prodiguée par le système scolaire québécois que d’une légère misanthropie qui me fait douter de la bonne foi de mes concitoyens, particulièrement ceux qui ont choisi de vivre du marché noir. 

Sans Silk Road, je n’aurais probablement jamais eu la chance d’essayer avec confiance une substance indissociable des années 1960-70, une époque qui semble bien loin vu l’état actuel des choses.

La crise financière de 2008 semble avoir fini d’ébranler notre confiance dans le système économique mis en place après la Deuxième Guerre mondiale. À gauche comme à droite, si on ne s’entend pas sur les solutions, on semble être d’accord sur le fond: il faut de nouvelles bases sociales et financières. 

La fin du dollar américain comme devise quasi universelle, la mort possible du rêve d’un euro unificateur et pacificateur et l’apparition de devises numériques dématérialisées nous forcent à concevoir les devises comme une facette d’un combat entre les différentes façons d’imaginer le monde. Un monde qui s’articule maintenant autour de l’internet.

Quant à la monétisation de l’internet, deux modèles diamétralement opposés s’offrent en ce moment: les bitcoins de Satoshi Nakamoto et les Facebook Credits de Mark Zuckerberg. Adopter l’un ou l’autre (ou les deux) sous-tend forcément un choix philosophique quant à la forme que l’internet devrait prendre. Le corporatisme opaque d’une multinationale omnisciente s’oppose à un chaos volontaire et décentralisé, où la liberté personnelle est régulée par les individus eux-mêmes. Ce dernier scénario peut sembler familier: il s’est reproduit chaque fois que l’homme a colonisé un nouveau territoire. Et l’internet, dernier continent sauvage, sera le territoire de ce nouveau combat entre les institutions et notre désir, inné et irrépressible, de contrôler notre propre destinée. 


Laurent K. Blais fait partie des utopistes qui désirent vivre de leur plume à l'heure où l'écrit n'a plus de valeur ni pour ceux qui payent, ni pour ceux qui lisent.

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