Chronique

Québecor, Guy Nantel, l’intimidation et nous

Thomas Leblanc
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La société des écrans

Québecor, Guy Nantel, l’intimidation et nous

Déjà passablement affaiblie par la crise des médias, la presse culturelle québécoise se frotte maintenant aux artistes qui veulent se venger de ses mauvaises critiques. Un dangereux précédent créé par Guy Nantel, estime notre nouveau chroniqueur médias.

Aujourd’hui, pour me faire plaisir, je me suis acheté une demi-page de pub dans Le Devoir pour me payer la gueule... du Devoir. Et contre toute attente ça a été publié intégralement. Oui, c’est un gag qui coute cher, mais y faut ben payer les gros salaires de leurs critiques.

Guy Nantel

C’est dans ces mots que l’humoriste et politicien annonçait à ses 106 000 abonné·e·s Facebook qu’il avait acheté une publicité dans la version papier du journal du 28 octobre dernier, moins de 48 heures après la publication d’une critique négative de son spectacle Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire…, présenté en grande première au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. 

Bien visible au centre de la pub, une citation (tronquée) du critique de théâtre Christian Saint-Pierre, à propos de Guy Nantel: «[I]l tient un discours tristement raciste, homophobe, transphobe, sexiste, classiste et âgiste [...] l’aigri personnage [...] entraîne son public, et par extension sa société, vers le bas.» Sur scène, l’humoriste blague en disant que le spectacle se veut «paritaire» parce qu’il descend tout le monde avec la même intensité, une prémisse qui rappelle celle de l’émission Real Time with Bill Maher, où l’humoriste américain pourfend autant l’extrême droite que la gauche woke. Pour Nantel, Le Devoir est donc devenu un adversaire utile, sauf qu’il oublie que le journal nationaliste qui a officiellement appuyé la CAQ aux dernières élections1«Continuons… sans oublier d’avancer», Brian Myles, Le Devoir, 1er octobre 2022 publie aussi le chroniqueur conservateur Christian Rioux. On repassera pour la pureté idéologique.

La publication de Nantel devient virale: plus de 530 partages, 613 commentaires (favorables pour la plupart) et 4700 mentions «j’aime». La même pub a aussi été imprimée dans Le Journal de Montréal, qui a aussi libéré de la place dans sa maquette pour deux chroniques de Sophie Durocher. Dans les deux textes, elle tourne au ridicule la critique négative d’un spectacle d’humour, les 28 et 31 octobre2«Guy Nantel ne roule pas en Porsche!», Sophie Durocher, Le Journal de Montréal, 28 octobre 20223«Guy Nantel et la légitime défense», Sophie Durocher, Le Journal de Montréal, 31 octobre 2022. Vraiment, Sophie?

Pour lancer ma nouvelle chronique dans Nouveau Projet, je cherchais une histoire qui en dit long sur les dynamiques de notre écosystème tout en démontrant l’importance d’une meilleure littératie médiatique. Je n’aurais pas pu espérer un meilleur sujet:  la réaction épidermique d’un humoriste face à une critique négative, et ce, peu avant mon deadline. Selon moi, la vague de harcèlement des fans de Nantel contre un journaliste pigiste (Saint-Pierre) symbolise parfaitement l’état piteux dans lequel se trouve la presse culturelle québécoise des années 2020.


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