La chasse aux jeunes

Thomas Leblanc
Photo: Hello Haley
Publié le :
La société des écrans

La chasse aux jeunes

Faillite de Vice, fermeture de la salle de rédaction de BuzzFeed News, disparition du Voir et suppressions de postes au 24 heures: ici comme ailleurs, les médias d’information peinent à fidéliser les jeunes. Faut-il tirer la sonnette d’alarme?

J’ai une confidence peu honorable à vous faire: j’ai toujours méprisé Vice, le média fondé à Montréal dans les années 1990. Marque de référence de ce que certain·e·s appellent désormais l’époque indie sleaze (la décennie entre 2002 et 2012, marquée par les blogues musicaux à la Pitchfork et la Pabst Blue Ribbon), Vice a fait sa place sur l’échiquier médiatique avec sa revue papier pour hipsters et skateboarders distribuée gratuitement dans les commerces les plus cools des villes les plus cools du monde entier. 

Passionné par le médium du magazine depuis l’adolescence, je n’ai pourtant jamais accroché au contenu nihiliste, ironique et prodrogues dures de Vice, qui avait déménagé sa rédaction à Brooklyn au début des années 2000. Très génération X dans sa posture éditoriale politiquement incorrecte et son approche gonzo du journalisme, la publication est toutefois devenue une référence pour les millénariaux et millénariales adeptes d’humour pour stoners et de reportages vraiment très immersifs.

Vice a incarné plus que tout autre média la marchandisation de la marge et de l’underground, notamment en établissant des partenariats avec CNN, Disney et Rogers. Malgré tout, il n’était déjà plus que l’ombre de lui-même, surtout depuis un reportage sans appel sur le climat de travail toxique de la boite (en 2017, après l’automne #MoiAussi). Dans le genre Icare-qui-se-brule-les-ailes-en-volant-trop-près-du-soleil, on ne pourrait pas trouver mieux. Et c’est sans parler du 1er mai dernier, quand j’ai reçu l’alerte du New York Times avec le titre «Vice is Said to Be Headed for Bankruptcy». L’article mentionnait que le groupe avait du mal à trouver de nouveaux millions, dans un climat économique morose pour l’ensemble de l’industrie. Puis, le 15 mai, on apprenait que la compagnie se mettait officiellement à l’abri de ses créanciers.

Cette chute, couplée aux coupures récentes chez Québecor (notamment au 24 heures, le média pour jeunes adultes du groupe) et à la fin des opérations de Buzzfeed News, pourtant auréolé de récompenses, laisse présager un avenir plus sombre pour les médias d’information tentés par ce que j’appellerai ici «la chasse aux jeunes». Le 3 mai, le journaliste Étienne Paré abordait justement dans Le Devoir la dégringolade de ces médias autrefois présentés comme révolutionnaires, voire salvateurs pour toute l’industrie. «Vice, BuzzFeed ou encore le Huffington Post: tous faisaient l’envie il y a encore cinq ans dans le monde des médias», résumait-il. 

Le sort de ces géants de la presse anglophone numérique doit aussi être placé sur une ligne du temps où on trouverait de sombres chapitres de la récente histoire des médias francophones locaux dédiés aux moins de 35 ans. De la lente agonie de Voir à la fermeture du HuffPost Québec (évoquée dans l’article du Devoir) en passant par l’incertitude au journal Métro et l’affrontement à venir entre Meta et les médias canadiens si la Loi sur les nouvelles en ligne est adoptée, il faut maintenant reconnaitre que la chasse aux jeunes des dernières années a peut-être été un mirage spéculatif.

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