Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture

Benoit Melançon
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Commentaire

Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture

Vieux de plus d’un siècle, le hockey et sa culture peuvent-ils aujourd’hui évoluer? Ce n’est pas sûr. Le devraient-ils? Sans aucun doute. On peut rêver? Pourquoi pas.

Considéré dans ce texte

Le hockey et ses amateurs montréalais. Les meneuses de claques. L’inutilité de découper un livre sur le hockey en trois périodes. Le péril rouge. Don Cherry. Les arbitres qui rangent leur sifflet. Le nombril de Shania Twain.

Centre Bell, 11 mars 2006 / 10 novembre 2013

Bernard Geoffrion, l’ancien ailier droit des Canadiens de Montréal, était reconnu pour son sens du spectacle. Le 11 mars 2006, une cérémonie était prévue pour l’honorer: on devait retirer son chandail à tout jamais et le hisser dans les cintres au-dessus de la patinoire. Il est mort le matin même. C’est ce qui s’appelle ne pas faire les choses à moitié.

Ce soir-là, l’annonceur ne s’est pas contenté de rappeler les hauts faits d’armes du disparu. Il a aussi demandé aux spectateurs de respecter une minute de silence en son honneur. Ils l’ont fait.

10 novembre 2013: on célèbre le jour du Souvenir avant le match des Canadiens. Quatre militaires sont présentés à la foule. Des agents de la Gendarmerie royale du Canada les encadrent, drapeaux à la main. On demande qu’une minute de silence soit réservée à la mémoire des soldats canadiens morts à la guerre. Tous les spectateurs ne le font pas («Fermez vos gueules, c’est important!» s’emporte un spectateur du niveau 300, marri de ce défaut de recueillement).

Ces minutes de silence—la première plus que la seconde—mettent en relief un aspect devenu fondamental du spectacle hockeyistique: en temps normal, entre les séquences de jeu, il y a du bruit en permanence au Centre Bell, et fort. On exhorte la foule à faire du raffut, on multiplie les concours (embrassez votre voisin, dansez mieux que lui) pour lesquels les spectateurs sont juges et votent avec leurs mains et avec leurs poumons, on fait jouer de la musique, on engage des meneuses de claques, on donne des consignes de sécurité, on invite le public à faire des exercices en groupe. Ça n’arrête jamais. À la fin d’un match, tout quinquagénaire normalement constitué—moi, par exemple—est moulu.

Leur public étant devenu trop bruyant, les bibliothèques universitaires ont commencé à réserver des lieux pour travailler en silence. Des compagnies de chemin de fer ont maintenant des voitures où il est interdit de se servir de son cellulaire. Il serait difficile d’imaginer pareilles mesures d’apaisement dans un aréna comme le Centre Bell. Comment faire pour que le niveau d’agression sonore y diminue?

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Première mesure.

Faire disparaitre les meneuses de claques. Les joueurs qui quittent Montréal ou ceux qui y arrivent ne cessent de répéter que les amateurs montréalais connaissent leur hockey. Il ne devrait donc pas être nécessaire de leur dire quand applaudir ou faire la vague (autre nuisance).



Deuxième mesure

Multiplier les minutes de silence en assassinant, au besoin, des gloires du passé ou des joueurs du présent pour y arriver. Même une petite minute de silence, aujourd’hui, c’est beaucoup. Il ne faut rater aucune chance d’imposer le calme.



Troisième mesure

Cesser de pousser les spectateurs à faire du bruit artificiellement. Au contraire, leur appliquer, à l’occasion, la deuxième mesure. 

  • Illustration: Jeff Kulak

Liège, printemps 1984

Banalité: deux Québécois se rencontrent dans un café de Belgique; ils parlent de hockey. L’un y a déjà joué; pas l’autre (l’auteur de ces lignes). Ils sont d’accord pour constater que le sport va mal (le sport va toujours mal). Comment faire pour le sauver (de lui-même)? Réponse évidente: agrandir la patinoire, par exemple en adoptant les dimensions de la glace aux Jeux olympiques.

Comparons hier et aujourd’hui. Pour résumer: Maurice Richard, le mythe canadien/canadien-français/québécois/Canadian, n’aurait pas survécu une période dans le hockey contemporain. Quand il jouait, de 1942 à 1960, la glace était souvent de mauvaise qualité, les joueurs étaient plus petits que ceux d’aujourd’hui, moins bien entrainés, relativement peu protégés. Au 21e siècle, les glaces sont plus uniformes, les joueurs sont surentrainés et bien plus balèzes qu’avant, et ils ont un équipement qui leur donne un sentiment d’invulnérabilité.

Dans le bon vieux temps (quoi que soit le bon vieux temps), il y avait sur la glace, en même temps que les joueurs, deux juges de ligne et un arbitre; depuis, on a ajouté un second arbitre. Pourtant, tout ce beau monde se retrouve sur une surface qui a gardé à peu près les mêmes dimensions depuis des décennies.

Première conséquence de tout cela: la patinoire, en gardant ses dimensions, a rapetissé.

Deuxième conséquence: les joueurs lents sont désormais favorisés, au détriment des rapides. Si la patinoire était plus grande, ils seraient incapables de mettre le grappin sur leurs adversaires plus doués qu’eux. Cela pourrait diminuer le nombre de commotions cérébrales au hockey, ce fléau, dans la mesure où il est difficile de blesser un joueur qu’on ne peut pas rejoindre.

De la nécessité des lieux communs

Un journaliste sportif me le disait sans gêne: ses patrons attendent de lui qu’il ait recours à des clichés. Personne ne lui demande d’être original. Il peut l’être, mais ce n’est pas ce qui est exigé de lui.

Cette façon de concevoir le journalisme va à l’encontre de ce qui est la norme dans l’écriture de fiction. Depuis deux siècles, l’écrivain est celui qui est tenu à l’originalité, celui qui doit, précisément, refuser de se servir du langage tout fait. Voilà pourquoi les lieux communs ont si mauvaise réputation.

Pourtant, ils sont nécessaires. C’est grâce à eux que se soudent les communautés. Prenez le cinéaste Jacques Bobet. Dans un article paru dans la revue Liberté en mai-juin 1968, il marquait son étonnement devant la phrase suivante: «Béliveau purgeait une mineure sur le banc des punitions.» Vue de l’extérieur de la communauté des amateurs de hockey, la phrase parait sibylline, pour ne pas dire plus. De l’intérieur, elle est transparente: Jean Béliveau avait été chassé du match pour deux minutes; il a purgé sa peine («une mineure») sur le banc où s’assoient les joueurs punis («le banc des punitions»).

Les lieux communs servent à unir la communauté des passionnés d’un sport, mais pas seulement. Ils lient les partisans d’une équipe, les admirateurs d’un joueur, les habitants d’une ville, d’une province, d’un pays.

Vous pouvez bien essayer de vous isoler de ces communautés, mais vous n’y arriverez jamais tout à fait. Que vous y croyiez ou non, que vous le vouliez ou non, que vous le sachiez ou non, le sport—ses mots, ses images, ses sons, ses rites—, c’est vous. Vous l’avez en partage, comme tout le monde.


Quatrième mesure

Enlever la première rangée de sièges qui entoure actuellement les patinoires de la Ligue nationale de hockey et en profiter pour augmenter la taille de la glace (il ne faut surtout pas récupérer cet espace pour y installer des meneuses de claques). Les patineurs triompheront des joueurs qui trainent un piano sur leur dos.

(Cela n’arrivera pas: les propriétaires d’équipes nous expliqueront doctement comment cela les priverait de revenus, eux qui, comme chacun le sait, tirent déjà le diable par la queue.)


1910

Depuis 1910, les matchs de hockey sont divisés en trois périodes règlementaires.

Qu’ont en commun Alain M. Bergeron (La coupe du hocquet glacé, 2010), Michel Bujold (L’amour en prolongation, 1990), Gaël Corboz (En territoire adverse, 2006), Luc Cyr et Carl Leblanc (Mon frère Richard, 1999), Claude Dionne (Sainte Flanelle, gagnez pour nous!, 2012), Simon Grondin (Le hockey vu du divan, 2012), Raymond Plante (Jacques Plante, 1996), André Simard (La soirée du fockey, 1972) et Yves Tremblay (Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, 2013)?

Ils ont découpé leur ouvrage ou leur film en trois périodes. (Et ils ne sont pas les seuls.)


Cinquième mesure

Menacer des pires sévices quiconque utilisera encore ce procédé, quel que soit le contexte. (Voir la deuxième mesure.)


The Globe and mail, 6 octobre 2010

Roy MacGregor a écrit des masses de livres sur le hockey, dont la série pour adolescents Screech Owls (en traduction, Carcajous). Il est aussi journaliste.

Dans le Globe and Mail du 6 octobre 2010, il formulait une proposition simple: «Death to the Fourth Line.» Bref, abolissons le quatrième trio.

Parmi les douze joueurs d’avant que compte normalement une équipe de hockey, il y en a trois qu’on relègue au quatrième trio. On les appelle parfois joueurs d’énergie. Ils sont plus lents que les autres, moins doués, prévisibles. Leur rôle est d’embêter l’équipe adverse. Plusieurs n’hésitent pas à se battre, après avoir accroché ou retenu leurs adversaires. Dans le meilleur des mondes possibles, on mettrait à leur place sur la glace de bons joueurs et on les laisserait s’exprimer, comme le veut la formule consacrée. Le jeu serait nécessairement tourné vers l’attaque. On ne le fait pas.



Sixième mesure

Retirer les joueurs inutiles de toutes les formations, afin que le sport redevienne fluide.

(Cela n’arrivera pas: l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey n’acceptera jamais qu’au moins 90 de ses membres—3 joueurs par équipe, 30 équipes—perdent leur travail.)


28 septembre 1972

À 34 secondes de la fin du huitième et dernier match de la série qui oppose les Soviétiques et les Canadiens, la Série du siècle, Paul Henderson marque et donne la victoire au Canada. Bilan pour le pays qui se targue d’avoir inventé le hockey: quatre victoires, trois défaites, un match nul.

On pourrait croire que l’honneur était sauf. Que nenni. Les Canadiens étaient convaincus qu’ils allaient gagner sans coup férir. Les Soviétiques, qui étaient alors interdits de séjour dans la Ligue nationale de hockey, prétendaient être venus en Amérique du Nord «pour apprendre». Ce sont pourtant eux qui finiront par faire la leçon à leurs adversaires (sauf, il est vrai, dans l’usage du bâton comme d’une matraque pour casser les chevilles). Quand on opposait les meilleurs hockeyeurs de l’urss aux meilleurs du Canada, la supposée suprématie de ces derniers en souffrait cruellement.

Quelques années plus tard, les joueurs soviétiques, puis ex-soviétiques, ont reçu la permission de venir jouer en Amérique du Nord. Certaines équipes, notamment les Red Wings de Détroit, ont largement profité de cet apport pour s’imposer. Manifestement, ceux qu’on appelait les «robots russes», ces communistes froids et «énigmatiques», avaient des leçons à donner à leurs hôtes.


Quand on opposait les meilleurs hockeyeurs de l’urss aux meilleurs du Canada, la supposée suprématie de ces derniers en souffrait cruellement.

Comment ont-ils été reçus? Par beaucoup, pas très bien. Maurice Richard, dans ses chroniques journalistiques, n’hésitait pas à s’en prendre à ces «voleurs de djobbes». De façon plus étonnante, la méfiance à l’égard du péril rouge se fait encore entendre aujourd’hui dans la chanson, des décennies après que les joueurs importés ont montré à l’envi leur maitrise du sport.

Dans une ode sur Guy Lafleur, le célèbre Démon blond des Canadiens, André Brazeau le dit clairement: «C’est pas avec des Vladimir qu’on va gagner / Ça prend des Français pour une coupe Stanley.» («Ti-Guy», 2002) Cinq ans plus tard, Alain-François compare Maurice Richard, «un gars d’Montréal», à deux étrangers: «Sergei, c’t’un gars d’la Russie / Qui passe son temps sur la galerie / Qui mange la puck, qui vire en rond / Pour 3 point 5 millions»; «Alex, un aut’gars d’la Russie / Un Canadien ben endormi / Qui dort s’a’glace pis qui score pas / À 400 000 par mois.» («C’est pour quand la coupe Stanley?») La même année, rebelote chez l’ineffable Réal Béland, dans «Hockey bottine»: «Pis si t’es tanné des caprices d’Ovechkin / Ben ferme ta tévé / Pis viens jouer au hockey bottine.»

Le procès serait entendu. Les Russes n’ont pas de cœur, ils ne pensent qu’à s’enrichir, ils font des caprices. Mais ce n’est pas tout: «Les Russes sont beaux à voir, mais sont peureux», chante Bob Bissonnette en 2012. Ils ont tous les torts.

Leçons du passé

Le hockey professionnel peut se transformer: il l’a déjà fait.

À une époque, quand une équipe était punie pour deux minutes, elle était privée d’un joueur pendant toute la durée de la punition. Puis sont arrivés les Canadiens de Montréal des années 1950. Quand ils avaient un joueur de plus que l’équipe adverse, ils marquaient à répétition. On a alors décidé que les punitions mineures se termineraient dès qu’un but serait marqué par l’équipe ayant l’avantage d’un joueur. Si une punition coutait un but à l’équipe fautive, c’était suffisant.

Cinquante ans plus tard, à la suite du conflit de travail qui a mené à l’annulation de la saison 2004-2005, les autorités de la Ligue nationale de hockey ont pris deux mesures pour accélérer le jeu. La première—le ridicule ne tue pas—a été d’appliquer les règlements déjà existants en matière d’accrochage; il fallait laisser patiner ses adversaires, sans continuellement les ralentir, notamment en utilisant son bâton. La seconde touchait les espaces où il était permis de faire des passes. Depuis de nombreuses années, il était interdit de faire une passe qui traversait «deux lignes», la ligne bleue (celle qui marque l’entrée dans la zone d’une équipe) et la ligne rouge (celle qui se trouve au centre de la patinoire). On a aboli cette interdiction. Dès lors, les passes pouvaient être beaucoup plus longues qu’auparavant: cela ouvrait le jeu et compliquait la tâche des joueurs défensifs.

Que l’on veuille éviter la domination d’une équipe ou changer les stratégies de toutes les équipes, il est donc possible de réformer le hockey. Pour cela, il faut afficher sa volonté clairement et laisser le temps aux équipes de s’adapter. Il y aura toujours des gens pour déplorer que les choses changent. Il en est aujourd’hui, par exemple, qui déplorent la «disparition» de la ligne rouge. Il n’est pas nécessaire de les écouter.


Septième mesure

Interdire dorénavant de parler en mal des Russes dans les chansons consacrées au hockey. D’une part, ce qu’on dit sur eux est faux. D’autre part, les autres groupes ethniques à ostraciser ne manquent pas; soyons justes, donc injustes, envers tout le monde. Décrions les joueurs de Repentigny (Québec) et de Viking (Alberta).


Centre Bell, 1er octobre 2013

Match inaugural de la saison 2013-2014 de la Ligue nationale de hockey. Les Canadiens de Montréal reçoivent les Maple Leafs de Toronto. Au début de la troisième période, comme prévu, George Parros, du Tricolore, se bat contre Colton Orr. Il tombe sur la glace: du sang, une commotion cérébrale.

Les bagarres sont banales au hockey, et fortement encadrées, du moins en apparence. La Ligue nationale de hockey consacre son article 46 à cet aspect du jeu. Cet article compte 22 sous-articles. Rien n’est laissé au hasard.

George Parros est un goon; l’article 46 est fait pour lui et ses semblables. Sa fonction est de se battre; rien d’autre. Il existe nombre de synonymes pour désigner ce genre de joueurs: armoire à glace, dur à cuire, homme fort, batailleur, matamore, bully (d’où boulé), joueur robuste. Peu importe. Ils sont généralement gros et lents. Sur une patinoire plus grande (voir la quatrième mesure), ils seraient parfaitement incapables de suivre le jeu. C’est pourquoi on les retrouve souvent au sein du quatrième trio (voir la sixième mesure).

Ces justiciers font partie du folklore du hockey (jusque dans les jeux vidéos). Les médias adorent les présenter en insistant sur le fait que, hors de la glace, ce sont des garçons charmants, doux, courtois, avec le sens de l’humour. Ce sont des brutes, certes, mais ils ne font que ce qui est attendu d’eux. S’ils le pouvaient, ils ne se battraient pas, essaie-t-on de nous faire croire. (Ils ne le peuvent pas.)

Il y en a même qui se distinguent par des compétences inattendues. Revenons à George Parros. C’est un policier, mais diplômé en sciences économiques de l’Université Princeton. Voilà qui vous exhausse son gorille. Ça ne change rien à ce qu’il fait et à ce qu’il représente.



Huitième mesure

 Abolir les bagarres. Il y a plusieurs ligues dans le monde où les bagarres sont interdites, comme c’est le cas aux Jeux olympiques; le sport ne s’en porte pas plus mal. Jusqu’aux années 1960, les bagarres existaient dans la Ligue nationale, mais il n’y avait pas de bagarreurs professionnels; le sport ne s’en portait pas plus mal.



Neuvième mesure

En attendant l’abolition des bagarres, imposer le port de la visière à tous les joueurs professionnels et semi-professionnels. Qui enlèverait sa visière (et donc son casque) pour se battre serait doublement pénalisé: pour avoir enlevé sa visière; pour s’être battu. Pas seulement pénalisé dans le match; pénalisé financièrement.



Dixième mesure

Cesser de montrer les reprises des bagarres pendant la diffusion des matchs, sur les écrans géants des arénas, aux informations télévisées. Une bagarre, c’est bête; une reprise de bagarre, c’est Don Cherry.



Onzième mesure

Ne plus tolérer les portraits people des taupins; leur comportement hors de la glace est peut-être exemplaire, mais cela n’excuse pas leurs agissements quand ils y évoluent.



Douzième mesure

Imposer des amendes très élevées aux propriétaires des équipes dont les joueurs se battent, en plus des amendes que ces joueurs eux-mêmes doivent déjà payer (à l’occasion). Cette mesure, que j’emprunte au commentateur Pierre Houde, aurait la vertu de toucher les propriétaires là où ils sont sensibles, au bas du corps, à l’endroit où ils rangent leur portemonnaie.

(Rien de tout cela n’arrivera, du moins pas tout de suite. De plus en plus d’anciens joueurs—jamais des joueurs actifs—et de commentateurs prônent la disparition des bagarres. En revanche, la direction de la Ligue nationale de hockey les considère comme utiles. Selon son président, elles serviraient de «thermostat» et permettraient de relâcher la tension dans les matchs. Il l’a déclaré en novembre 2013. Ce n’est pas demain la veille qu’il va priver George Parros de son boulot. L’article 46 a de beaux jours devant lui).

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Forum de Montréal, 29 avril 1987

Dans un match entre Québec et Montréal, Alain Côté, des Nordiques, dirigea une rondelle vers Brian Hayward des Canadiens. Ce but était-il bon? On en discute encore. Kerry Fraser, l’arbitre ce soir-là, lui, est formel: non.

Ce moment fort de l’histoire nationale met en relief l’importance démesurée des arbitres dans le déroulement des matchs de hockey.

Plus un match avance, et plus la saison avance, et moins les arbitres font leur travail. Cela s’appelle ranger son sifflet. C’est ce qui explique que les punitions semblent plus faciles à décerner en première période qu’en troisième, et en octobre plus qu’en juin.

Sont aussi laissées à l’interprétation des arbitres la nature et la gravité des punitions. Prenez les coups de bâtons. Le jugement des arbitres (mais aussi des joueurs, des spectateurs et des commentateurs) varie selon l’identité de celui qui les donne, de celui qui les reçoit, du moment dans le match ou dans la saison où ils sont donnés, de la présence de sang ou pas, etc.

Le hockey est un des rares sports où la complète subjectivité des arbitres est normale et acceptée, et où leur pire crainte est d’avoir un effet sur le résultat d’un match ou d’une série.



Treizième mesure

Appliquer le règlement—peu importe le moment du match ou de la saison où une infraction est commise, peu importe l’identité du joueur fautif, peu importe l’effet d’une punition sur le résultat du match. D’autres sports le font; c’est possible.

Cela permettrait de répondre à un argument spécieux des défenseurs des bagarres. Ceux-ci avancent souvent que la disparition des bagarres mènerait à une multiplication des coups sournois, au lieu de ces coups droits, francs et honnêtes que seraient les coups de poing sur la gueule. Ce ne serait vrai que si les arbitres n’appliquaient pas les règlements. S’ils les appliquaient, les coups vicieux, sans disparaitre, pourraient être contrôlés.

(Cela ne se fera pas: vous en connaissez, vous, des gens qui sont prêts à abdiquer leur pouvoir, et sans contrepartie?)


6 avril 2003, Ottawa

La cérémonie des Juno honore les artistes de la chanson Canadian. Pendant celle de 2003, Shania Twain monte sur scène vêtue d’un costume des Canadiens, le numéro 9 de Maurice Richard, paillettes et nombril en plus.

Au fil des ans, les chanteurs Éric Lapointe, Céline Dion, Robert Charlebois, Gilles Vigneault et Billy Joel, le chef d’orchestre Kent Nagano, le rappeur Koriass, la mairesse de Lac-Mégantic, Colette Roy-Laroche, les premiers ministres Lucien Bouchard et Jean Chrétien, et probablement plein d’autres personnes ont fait de même (paillettes et nombril en moins): endosser en public le bleu-blanc-rouge.




Quatorzième mesure

Interdire aux personnalités publiques de s’exhiber avec un chandail des Canadiens. Tout le monde le fait; ne le faites plus.

(Note pour Anodajay et Georges St-Pierre: le chandail des Nordiques de Québec, ce n’est pas mieux.)


Quinzième mesure

 Interdire aux personnalités publiques de s’exhiber avec un chandail des Canadiens affichant le numéro 9. C’est pire encore.

Hockey mineur

Le hockey de la Ligue nationale ne va pas très bien. Le hockey «mineur» —là où meurent 99% des vocations professionnelles—va au moins aussi mal.

Les enfants ne pouvant pas se battre sur la glace avant d’avoir «fait» un peu d’adolescence—pour citer Michel Rivard—, leurs parents s’en donnent à qui mieux mieux dans les estrades, quand ce n’est pas derrière le banc.

Dès qu’ils sautent sur la glace, on évalue le gabarit des jeunes, on leur fait suivre des cours de power skating avant l’aube, on les cravate en tournoi. On les répartit en catégories («simple lettre», «double lettre», «triple lettre»), histoire de bien montrer le plus tôt possible qui se distingue, et qui pas.

Ils sont, dit-on, triés sur le volet, alors que, dans les faits, la date de leur naissance est au moins aussi importante que leur talent naturel. Malcolm Gladwell a en effet rappelé, dans Outliers (2008), que les enfants nés en début d’année ont un avantage indéniable sur ceux nés plus tard, la répartition des joueurs par tranche d’âge (prénovice, novice, atome, pee-wee, bantam, midget) favorisant ceux dont le développement physique est le plus précoce.

Il y aurait moyen de refaire du hockey une activité sportive destinée au plus grand nombre, et non à quelques prospects. Cela devrait s’appuyer sur le réseau scolaire (écoles primaires et secondaires, cégeps, universités). Cela se fait au football. Pourquoi pas au hockey? (Il y a des initiatives, pas assez nombreuses, et peu publicisées.)

Que les professionnels ne soient pas là d’abord pour s’amuser, cela se comprend: le sport est leur travail. Pour les enfants, on pourrait espérer mieux. On peut rêver.


Le hockey est un être cher dont on connait les qualités et les défauts. Parmi ceux qui l’aiment, les plus téméraires souhaitent le transformer. Ils n’y arrivent pas toujours, mais nous avons besoin d’eux. 


Benoît Melançon est professeur à l’Université de Montréal et blogueur à L’oreille tendue. En février 2014, il publiait Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur). Il est l’auteur de l’ouvrage Les yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle (Fides, 2006).

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