Sofia, l’aspirante artiste devenue travailleuse «juste-à-temps»

Photo: Vlad Deep
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Billet

Sofia, l’aspirante artiste devenue travailleuse «juste-à-temps»

L’ultraflexible

Le boulot avait l’air cool, à la base. Je devais faire du design de dernière minute pour différentes marques—des marques prestigieuses qui paraitraient bien dans mon portfolio. Au début, effectivement, ça se passait bien. La compagnie qui m’avait embauchée avait utilisé ce mot—«flexible» —dans l’offre d’emploi. J’adorais ce mot: je ne voulais pas être enfermée dans un cubicule et traverser péniblement ma semaine comme tout le monde. Je voulais que ma vie soit «flexible».

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Et c’était vraiment super, les premiers temps. Mais après... Mes heures de travail ont commencé à diminuer, à devenir chaotiques, irrégulières. Je pouvais ne recevoir aucun appel pendant une semaine. Puis, ces «trous» sans travail ont commencé à s’étirer. C’était un jour rien, le jour suivant un peu de boulot, le jour d’après nada. Ce n’était pas assez pour payer les factures—juste assez pour mériter que j’y mette du temps, croyais-je. Mais assurément pas assez pour payer les factures. Après tout, ce pour quoi je m’étais engagée, c’était un boulot de pigiste. Techniquement, j’étais ce qu’on appelle une travailleuse «juste-à-temps».

Une semaine où j’errais dans une complète incertitude, j’ai demandé à mon gérant—par courriel, parce que je ne l’avais jamais rencontré—ce que je pouvais faire pour obtenir davantage de travail.

«La réalité, m’a-t-il expliqué, c’est qu’on se fie à des travailleurs flexibles comme toi pour s’assurer de pouvoir répondre aux besoins de la compagnie.» Ah bon. Un ami m’a alors mentionné que h&m souhaitait embaucher plus de personnes pour des quarts de travail sur appel, ce qui m’est apparu comme une bonne chose, puisque je voulais concentrer l’essentiel de mes efforts sur mon travail de design. Maintenant, je suis toujours sur appel. Je suis toujours «juste-à-temps».

Les chèques de paie, c’est une chose—ils sont parfois lamentables, parfois corrects. Le vrai problème, c’est le sommeil.

Les chèques de paie, c’est une chose—ils sont parfois lamentables, parfois corrects. Le vrai problème, c’est le sommeil. Je ne sais jamais quand je vais me faire appeler, donc je ne sais jamais combien d’heures de sommeil je vais avoir. Je ne peux rien planifier. Parfois, je me retrouve à rester seule à la maison, pour des heures et des heures—dormant à moitié, les lumières tamisées, en attente du prochain appel. Qui n’arrive jamais. Jusqu’à ce qu’il arrive. Il n’y a pas de quarts de jour, ni de quarts de nuit. Juste des quarts de travail. Deux heures par-ci, six heures par-là. Des quarts de travail passés avec une humeur changeante, selon la lumière avec laquelle je me suis réveillée. Rien n’est stable; la seule constante, c’est moi. Je peux être en train de faire quelque chose, de prendre un café, de lire un blogue, de prendre une douche. Puis, mon téléphone sonne, et je frissonne un peu mon corps le sait avant ma tête. Je respire alors un dernier coup, je ferme la fenêtre, le robinet, et me voilà repartie, «juste-à-temps». 


Article publié dans le magazine Adbusters. Traduction : Caroline R. Paquette

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