La fin d’une histoire
Notre récit national s’élève-t-il enfin au-dessus des tranchées nationalistes et fédéralistes?
Quels fantômes trouve-t-on égarés entre les murs de notre capitale?
Québec, ville coloniale. Thoreau et Un Yankee au Canada. Le Royal 22e Régiment. Les excès du Carnaval. Le Parti Rhinocéros et ses promesses. La Citadelle qui n’a jamais servi. L’art de la défaite.
1. Je suis née à Lévis. Pour me rendre à l’école, je traversais le fleuve en bateau. Je remontais ensuite le courant des touristes qui descendaient l’escalier Casse-Cou. Puis je passais la porte Prescott dont l’accès était encore gardé au 19e siècle par des soldats britanniques. Plus haut: un château et le trot des chevaux sur la chaussée.
2. «Au nord, nous avons San Francisco, ses édifices art nouveau et ses eucalyptus, sa propension à regarder derrière et vers l’ouest, sa “couleur” résolument pittoresque; un endroit aussi reculé et maniéré dans sa mélancolie que les capitales coloniales d’Amérique latine, et aussi isolé.» (Joan Didion, Where I Was From)
3. «Un endroit aussi reculé et maniéré dans sa mélancolie que les capitales coloniales -d’Amérique latine.»
4. J’ai quitté Québec alors que je n’avais pas 18 ans. Il me semblait avoir fait le tour de la ville. Mais quelques mois après mon arrivée à Montréal, je recevais un diagnostic de dépression. J’avais perdu mes fortifications.
5. Dans toute ville construite avec l’ennemi en tête, assiégée l’été par des étrangers avides de repartir avec un supplément d’âme, je suis chez moi. Je suis née devant le cap Diamant. Comme Joan Didion, j’ai grandi à Sacramento. Je sais d’où viennent Lovecraft (Providence) et Thoreau (Concord) parce que je viens, moi aussi, de la Nouvelle-Angleterre. J’habite une ville de canons, de couvents, de maisons de pierre. Mélancolique, pittoresque, isolée. Une ville construite sur un rocher.
6. Quand Henry David Thoreau est passé par Québec en 1850, il n’y a vu que des prêtres et des soldats. Howard Phillips Lovecraft est venu au début des années 1930. À cette époque, une usine de corsets avoisinait les bordels en Basse-Ville. Presque un siècle les sépare et tous deux ont noté que le lait était livré en traineau à chiens.
7. Je voudrais parler de cette ville comme j’abattrais mon jeu, une carte à la fois.
8. Pour retrouver le décor de mon adolescence, il faudrait prendre l’avion jusqu’à Milan, puis le train pour Lucques, une cité médiévale où se déroule chaque année le plus grand Comic-Con d’Italie. Passé les portes de la ville, des milliers de filles et de garçons aux tenues bariolées parcourent les remparts à la recherche d’un endroit où s’assoir en cercle et parler. Certains balancent leurs jambes du haut des portes, à la consternation des touristes qui, levant la tête, voient d’étranges oiseaux perchés.
9. «Rock City» est le surnom que les Américains ont donné à ma ville. «La Gibraltar d’Amérique», vous diront tous les guides. On trouvera savoureux qu’au début du 19e siècle, un voyageur ait remarqué que la géographie de la ville adoptait la forme d’un amphithéâtre. Ses rues, étagées comme des gradins.
10. Si le parterre se trouve dans Saint-Roch, j’habite aujourd’hui dans les bleus.
11. George Burn, un pasteur presbytérien américain, est reconnu comme étant le premier homme à avoir milité publiquement contre l’esclavage aux États-Unis. Il est aussi l’auteur du premier guide touristique de la ville, The Picture of Quebec, publié en 1829.
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