Ce qu’on peut faire quand il n’y a rien à faire
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Chaque automne, les ainé·e·s des Premières Nations du Québec se retrouvent pour célébrer leurs traditions et raviver la mémoire collective. Pendant une dizaine de jours, plus de 500 participant·e·s échangent savoirs et récits de vie au cœur du territoire. Cette année, certain·e·s ont parcouru plus de 1000 kilomètres pour y participer.
C’est sur les rives de l’Ushkuai-shipi (rivière aux Écorces), au Lac-Saint-Jean, que s’est tenu, du 15 au 22 septembre, ce qu’on appelle le Rassemblement des ainé·e·s. Organisé par la nation des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh, il a réuni des représentant·e·s innu·e·s, naskapi·e·s, atikamekw, anichinabé·e·s et cri·e·s (eeyou). Au programme de cette 29e édition figuraient des soupers traditionnels, des cercles de partage, des conférences, des cérémonies, ainsi que le très populaire bingo.
Né il y a plus de 30 ans dans la communauté innue de Matimekush–Lac-John, à 750 kilomètres de là, l’évènement répond au souhait des ainé·e·s de renouer avec les traditions d’autrefois. «Ils regrettaient de ne plus se rencontrer sur le territoire, comme lorsqu’ils étaient nomades», témoigne Réal McKenzie, chef de bande durant plus de 20 ans.
Cinq participant·e·s nous racontent ce qui a marqué leurs vies, les raisons de leur fierté et adressent un message aux allochtones.
Thérèse Quitich
Ex-travailleuse sociale, Atikamekw de Manawan
À 80 ans, Thérèse Quitich, ex-travailleuse sociale originaire de Manawan, continue d’offrir ses conseils en santé mentale et en nutrition. «Les gens viennent me voir, même à la maison des ainé·e·s où j’habite», se réjouit-elle.
Orpheline de père et de mère, élevée par ses grands-parents et sa sœur dans une grande pauvreté, elle a connu la dure réalité des pensionnats et les abus physiques et sexuels. Adolescente, elle a travaillé comme femme de ménage. «C’est là que je me suis dit qu’il fallait que j’étudie pour mieux gagner ma vie», explique-t-elle.
Elle s’est inscrite en psychologie à l’Université du Québec à Chicoutimi, où elle a décroché un baccalauréat, un accomplissement dont elle s’enorgueillit. Elle a exercé toute sa carrière auprès des plus vulnérables, parfois dans des contextes extrêmement difficiles marqués par des suicides et des drames violents.
Mère de trois enfants et grand-mère de 21 petits-enfants—et d’un nombre inconnu d’arrière-petits-enfants—, elle reste fière de la résilience de sa communauté atikamekw, qui a su préserver ses traditions et sa culture. Elle transmet aujourd’hui aux jeunes la spiritualité autochtone comme voie d’épanouissement, leur suggérant de se tourner vers la nature et le vivant. Mais elle insiste aussi sur les défis actuels, tel le «besoin urgent d’éducation en santé mentale et de sensibilisation aux dangers liés aux drogues et à l’alcool».
Avez-vous un message pour les allochtones?
«Respectez-nous, reconnaissez ce qu’on est en train de faire pour notre propre bien. Même dans les hôpitaux, les médecins ne nous prennent toujours pas au sérieux. Nous, on doit apprendre à répliquer et à se faire entendre quand on ne se sent pas respectés.»

Maurice Germain
Chasseur-trappeur, Innu de Mashteuiatsh
À 75 ans, le chasseur-trappeur Maurice Germain entretient un lien profond avec la forêt. «C’est là que je suis né et où je me sens le mieux», résume-t-il. Enfant, il vivait dans le bois avec ses parents avant d’être envoyé au pensionnat. Ayant subi des traumatismes crâniens dans sa jeunesse à la suite d’accidents, il éprouve de nombreuses difficultés scolaires. Au pensionnat, il connait une profonde humiliation et des violences physiques. «Je me sauvais tout le temps, raconte-t-il. L’un de mes plus tristes souvenirs, c’est quand j’ai voulu dire adieu à mes parents, qui partaient dans le bois pour l’hiver. Quand je suis arrivé à la maison, elle était barricadée. J’ai juste pu voir leur avion s’envoler au-dessus du lac.»
À 14 ans, sa mère décide de le retirer du pensionnat. De retour dans le bois, il apprend de son père à chasser et à trapper. Castor, loutre, martre, lynx, renard, orignal: il en nourrira sa famille et en vendra les peaux. Il acquiert aussi un savoir-faire qui devient sa plus grande fierté: la fabrication de couteaux croches, indispensables pour façonner rames, cadres de raquettes et manches de haches. Une tradition qu’il transmet désormais aux jeunes.
Aujourd’hui, Maurice avoue avoir parfois du mal à fonctionner «dans le système». «Tout a changé trop vite, dit-il. Même à notre conseil de bande, on ne me comprend pas quand je parle innu.»
Avez-vous un message pour les allochtones?
«N’essayez pas de nous transformer. Je suis allé en thérapie pour traiter mes traumatismes et ça m’a beaucoup aidé. Avant, je n’aurais pas pu vous dire tout ça. Ça fait beaucoup de bien.»
Maggy Sandy
Ex-professeure, Naskapie de Kawawachikamach
L’éducation a toujours occupé une place spéciale dans la vie de Maggy Sandy, qui a enseigné plus de 35 ans au primaire et au secondaire. «Mon père m’a toujours encouragée à étudier», raconte-t-elle. Ses valeurs se sont transmises jusqu’à ses petits-enfants. Parmi ses plus beaux souvenirs, elle compte la collation des grades de sa petite-fille, diplômée de l’Université de Carleton en histoire autochtone.
L’émancipation des femmes fait aussi partie de ses valeurs cardinales. «Nous avons eu deux femmes cheffes à Kawawachikamach, certaines sont camionneuses ou pompières volontaires, rapporte-t-elle, ça me rend très fière de ma communauté.»
Si elle n’avait qu’un souhait pour cette dernière, ce serait qu’elle compte plus d’ainé·e·s afin d’assurer la transmission de la langue naskapie et des savoirs traditionnels comme la fabrication des raquettes, la couture, la confection de boucles d’oreilles en perles ou le dépeçage du caribou. Au passage, elle avoue regretter que certain·e·s jeunes n’aiment pas le gout du thé du Labrador! «C’est très bon pour la santé! dit-elle. Mais il parait que quand on ajoute du miel, ça aide. Alors je vais essayer ça!»
Avez-vous un message pour les allochtones?
«Quand vous venez travailler dans notre communauté, venez passer du temps avec nous. Apprenez à nous connaitre. Celles et ceux qui l’ont fait ont commencé à partager nos traditions, à manger notre nourriture traditionnelle.»
Mani Kelli
Ex-ménagère de pourvoiries et mère au foyer, Anichinabée de Lac-Simon
Comme plusieurs ainé·e·s ayant grandi loin des grands centres, Mani Kelli, 74 ans, ne s’exprime que dans sa langue maternelle, l’anishinaabemowin. C’est en ces mots qu’elle nous raconte son enfance chérie. Née en forêt, elle a vécu sa tendre enfance selon le mode de vie traditionnel. « Mon père m’a appris à poser des collets, à chasser et à dépecer des animaux. J’aimais beaucoup l’aider, j’en étais fière», raconte-t-elle.
Tout a basculé quand elle a dû déménager en réserve, à Lac-Simon, à environ cinq ans. «J’ai trouvé ça extrêmement difficile», explique-t-elle.
Celle qui a aujourd’hui cinq enfants et 15 petits-enfants a été mère au foyer et ménagère en pourvoirie. Elle a heureusement su conserver suffisamment de connaissances pour enseigner à son mari et aux autres générations à chasser et à trapper.
Lorsqu’on lui demande ce dont sa communauté a le plus besoin, elle hésite: «C’est trop difficile à dire pour ne nommer qu’une chose. Notre communauté est très malade. Il y a beaucoup de tragédies, avec la drogue et l’alcool.»
Parmi ses plaisirs de la vie, elle adore les rassemblements, comme le Jour du canot, qui se tient chaque été dans sa communauté, à la fête du Travail, de même que le Rassemblement des ainé·e·s, qui lui permet de côtoyer des membres d’autres nations, d’entendre ses pairs parler d’autres langues autochtones.
Avez-vous un message pour les allochtones?
«Ouvrez vos oreilles. Écoutez-nous!»
Jean-Baptiste Bellefleur
Ex-commis d’épicerie, travailleur de la construction et aide de pourvoirie, Innu de la communauté d’Unamen Shipu (La Romaine)
À 83 ans, Jean-Baptiste Bellefleur fait un peu partie de l’Histoire puisque ce résident de La Romaine y a travaillé dans un comptoir de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il fut d’ailleurs l’un des premier·ère·s employé·e·s innu·e·s de sa communauté à occuper un emploi rémunéré. Il était affecté à l’épicerie adjacente au comptoir de traite de fourrures, les chasseurs profitant du fruit de leurs ventes pour se ravitailler. «J’avais 27 ans. J’en suis très fier, raconte-t-il. Ça m’a permis de nourrir ma famille.»
Sa vie a aussi été marquée par un drame terrible: il y a quelques années, sa femme et son fils ont péri dans un accident de motoneige. Pour fêter Noël, sa famille avait emprunté le bateau-navette pour se rendre dans la communauté de Saint-Augustin (Pakua-shipit), la plus éloignée de la Côte-Nord, qui est, comme La Romaine, dépourvue d’un accès routier. «On est descendus du bateau et on a traversé une rivière en skidoo. Ma femme, mon fils et moi, on est tombés dans l’eau, entre les glaces, raconte-t-il. J’ai réussi à m’accrocher au traineau derrière, mais ma femme et mon fils se sont noyés.»
D’ici 2030, la route 138 se rendra à La Romaine. Malgré ses avantages évidents, cette réalité inquiète plusieurs ainé·e·s. «L’alcool et la drogue vont entrer plus facilement chez nous, dit Jean-Baptiste Bellefleur. C’est pas bon pour les jeunes.»
Voilà une raison de plus pour que celui qui a passé sa jeunesse dans un mode de vie traditionnel poursuive la mission qu’il s’est donnée: «J’emmène les jeunes dans le bois pour les ressourcer et les éloigner de la drogue.»
Avez-vous un message pour les allochtones?
«Aidez-nous à trouver une solution à la consommation de drogue chez les jeunes, on ne sait plus quoi faire.»
Sophie Lachapelle est journaliste indépendante. Elle s’intéresse aux réalités des Premières Nations, à la transition écologique, à l’agriculture, à l’urbanisme et à l’innovation sociale, avec un faible pour le journalisme de solutions.

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