La merdification est encore pire que nous le pensions
Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

Qu’est-ce qui nous pousse à abandonner sans avertissement nos conversations virtuelles—et les êtres bien réels avec qui nous les tenions?
Le ghosting. Les super dates. Les inaltérables lois de la physique. L’oppression de notre vie virtuelle.
Mon premier spectre
Il y a quelques mois, j’ai vécu une super date.
J’emprunte volontairement la terminologie au concept de super lune, qui désigne une pleine lune dont la taille semble particulièrement grandiose, spectaculaire.
Ma super date a commencé sans que je l’orchestre, ni même que je m’y attende. L’autre est entré dans ma vie comme par effraction. Il s’est gentiment invité à ma table alors que j’écoutais un concert de samba qui me ravissait. J’étais en vacances au Brésil. Je me sentais légère et disposée, il était entreprenant, charismatique et drôle. Nous ne nous sommes pas lâché·e·s pendant 48 heures. Se sont succédé romance, confidences et érotisme. Beaucoup de délicatesses de sa part. Je me suis réveillée avec mes vêtements chirurgicalement pliés sur le sofa. «C’est pour que tu ne m’oublies pas», m’a-t-il dit.
Il s’est montré magnifiquement vulnérable, aussi. A même laissé s’échapper quelques larmes en public au restaurant (les Brésiliens ont une tout autre relation avec les larmes) en me confiant des traumas relationnels. Et, avant de me quitter, il m’a serrée très fort en me murmurant à l’oreille, larmoyant encore une fois: «Você é uma mulher incrível, nunca esquece—tu es une femme exceptionnelle, ne l’oublie jamais.»
Neuf heures d’autobus m’attendaient sous un violent orage tropical. Nous avons continué d’échanger quelques mots alors que je passais de São Paulo à Rio de Janeiro. Il était clair que nous n’allions plus nous revoir, mais que nous avions encore envie d’être en communication.
À mon arrivée à Rio, les messages ont commencé à s’espacer et, finalement, il m’a imposé le silence. Il regardait mes stories sur Instagram, mais ignorait mes messages, et ça me rendait complètement obsessionnelle. J’étais sous le choc devant la violence de cette abrupte révérence. Il était clair que la conversation se serait éventuellement épuisée d’elle-même; pourquoi alors choisir la radicalité sans préavis? Comment avions-nous pu passer de si haut à si bas en quelques heures? J’étais dans l’incompréhension totale. Je venais de découvrir le ghosting.
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Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

Alors que s’amorce la nouvelle année, une réflexion sur nos visions du futur: et si, loin d’être neutres ou inédites, elles étaient des héritages du passé qui orientent nos choix collectifs et limitent notre capacité à imaginer d’autres possibles?

À garder en tête en 2026: le geste créatif, disponible en chacun·e de nous, a peut-être la capacité de nous offrir cet espace de paix que nous cherchons ailleurs, et de nous aider à guérir.

Quand le bruit empiète sur la preuve, il devient crucial de se pencher sur les procédés qui permettent aux chiffres fabriqués, aux raisonnements bancals et aux digressions hors propos de ne plus susciter l’étonnement. Se dessine un paysage troublant: celui d’une époque où le mensonge constitue la toile de fond de nombreux débats.