1929–1935: des chômeurs en colère

Marc-André Cyr
 credit: Photo: Bibliothèque et Archives Canada
Photo: Bibliothèque et Archives Canada
Publié le :
Histoire des mouvements sociaux

1929–1935: des chômeurs en colère

À la suite du krach de 1929, les chômeurs, soutenus par le Parti communiste du Canada, s’organisent. Leur message est clair: ils refusent de subir les contrecoups de la crise sans broncher.

L’année 1929 marque le début de l’une des plus grandes crises économiques de l’histoire du capitalisme. Le chômage prend une ampleur inégalée, alors que se répandent les idées réactionnaires et la stigmatisation des étrangers. La droite canadienne (incluant celle du Canada français), largement majoritaire dans l’espace public, joue avec le feu: elle admire Franco, Salazar, Mussolini et démontre un angélisme pathétique à l’endroit de l’Allemagne nazie. C’est cette même élite qui appellera bientôt les «peuples libres» à combattre la peste brune qu’elle a pourtant cautionnée pendant une bonne dizaine d’années.

La gauche, quant à elle, tente de défendre les sans-emplois et la classe ouvrière, entre autres à travers le Parti communiste du Canada. L’influence des communistes, malgré leur nombre relativement peu élevé, n’est pas négligeable. Enorgueillis par la Révolution russe, ils sont à l’origine de plusieurs des luttes populaires de l’époque. La répression et la propagande parfois hystérique des gouvernements canadien et québécois ne les arrêtent pas; ils sont bien structurés et présentent un discours théorique cohérent. Par le biais de la Ligue d’unité ouvrière (LUO), créée en 1929, les communistes déclenchent d’importantes grèves à Montréal et un peu partout au Canada. Entre 1933 et 1934, plus de la moitié des grèves du pays sont chapeautées par cette organisation. La Ligue n’agit cependant pas seule: elle travaille de concert avec ses camarades de l’Association humanitaire, de l’Université ouvrière et de la Fédération du Commonwealth coopératif, ancêtre du NPD.

Publicité

Rapidement, les activités de la LUO débordent  des lieux de travail. En opposition aux programmes de colonisation et de secours directs orchestrés par le gouvernement québécois, les communistes sont les premiers à organiser des assemblées de sans-emplois à Montréal. Certaines de leurs revendications nous semblent aujourd’hui élémentaires, comme la mise en place de l’assurance-chômage et de l’assurance-médicament, l’interdiction d’évincer les chômeurs de leur logement et de saisir leurs biens, ainsi que l’interdiction du travail forcé (rappelons que la crise a envoyé quelque 150 000 chômeurs dans des camps de travail disciplinés par l’armée). Mais on va aussi plus loin, en demandant par exemple un soutien pour les travailleurs à temps partiel ayant des personnes à charge et le transport gratuit pour les sans-emplois.

La résistance se bâtit autour des comités de quartier. Ces derniers organisent des assemblées, des actions directes, de nombreuses activités culturelles et des manifestations, qui réunissent des milliers de personnes dans les rues de Montréal et de toutes les métropoles du Canada. Le plus souvent spontanées, elles tournent régulièrement à l’émeute. Les affrontements avec les militants fascistes sont fréquents, de même que la répression -policière, qui est parfois très violente.

Loin de se cantonner dans le légalisme—qu’ils qualifieraient de «petit-bourgeois»—, les communistes n’ont pas peur de se mesurer à la violence des patrons et des propriétaires. Les locataires affrontent régulièrement les policiers et les huissiers, à un point tel que l’encerclement des domiciles pour empêcher les évictions devient un mode d’action fort répandu dans les centres urbains. La foule réussit parfois même à redonner aux familles le mobilier saisi par la Cour... On organise des piquets de grève devant les bureaux des secours directs, on encercle les bâtiments publics, on forme des cortèges massifs pour accompagner les familles en justice, on déclenche des grèves étudiantes de solidarité, etc.

Semaine après semaine, mois après mois et année après année, le mouvement prend de l’ampleur: en 1935 se tient la plus grande manifestation de chômeurs de l’histoire du Canada. De partout au pays, ils sont des milliers à converger vers Ottawa. On tente, parfois par la force, d’empêcher les chômeurs de participer à ce rassemblement, qui réunira une imposante masse de manifestants sur la colline du Parlement.

Les chômeurs, victimes du krach de 1929, ont refusé de jouer le jeu des patrons et des gouvernements. Cette crise n’avait d’ailleurs pas vu le jour par leur faute. S’ils n’admettaient pas de payer les pots cassés par les dirigeants politiques et économiques, ils refusaient également de rester les bras croisés. La volonté des chômeurs a donné lieu à l’une des phases les plus épiques de la lutte des classes au Canada. 


Historien des mouvements sociaux, enseignant, blogueur à Voir.ca et collaborateur au journal Le Couac, Marc-André Cyr s’intéresse plus particulièrement à l’histoire de la révolte au Québec.

Continuez sur ce sujet

Atelier 10 dans votre boite courriel
S'abonner à nos infolettres