Ceci n'est pas une fatalité

Rémy Bourdillon
Photo: Rémy Bourdillon
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Reportage

Ceci n'est pas une fatalité

Quarante-deux ans après la fermeture de sa mine, Normétal, en Abitibi, se maintient grâce à quelques rêveurs bien décidés à ne pas abandonner la partie. Mais comment continuer à y croire, quand les perspectives économiques semblent bouchées?

Considéré dans ce texte

Les 75 ans de Normétal. Les minières et les forestières. L’absence de considération pour les communautés des «régions-ressources». Le plan Vautrin et les colons. Les pains à hotdogs comme levier de résistance. La volonté de se réinventer, quand on semble arrivé au bout de sa mission.

Tournoi de balle molle, encan de bibelots, tirage au sort. Pendant que Montréal aligne les millions pour souligner son 375e anniversaire, son anagramme Normétal recourt à de bien plus modestes activités pour financer les festivités qui marqueront, en aout 2017, ses 75 ans.

Ce village situé aux portes de la baie James, à neuf heures de route de Montréal, a connu des temps plus prospères. Ses rues en portent quelques indices: une enfilade de wagonnets remplis de fleurs, un monument en hommage aux 26 mineurs décédés dans les galeries de la Normetal Mining Corporation, ou encore ce terrain vague, immense tapis de graminées, qui fut le site de l’une des mines les plus riches du Québec quand la Seconde Guerre mondiale avalait avec appétit le cuivre du Bouclier canadien.

En 1942, à la naissance de la paroisse de Normétal, la mine était une planche de salut pour les colons déçus par le plan Vautrin de 1935. Le gouvernement provincial leur avait présenté le «retour à la terre» et le défrichage des lots forestiers abitibiens comme un paradis, mais il s’avérait beaucoup plus payant de travailler la terre de l’intérieur. Près de 20 ans plus tard, quand Gilles Groulx, ce grand documentariste québécois, est venu immortaliser la mine pour le compte de l’onf, celle-ci tournait à son maximum et employait 635 personnes.

Le film de 1959 est un petit bijou, une ode au courage des mineurs creusant nuit et jour, la cigarette au bec. Il y avait alors autant d’activité sous la terre qu’en surface: les écoles débordaient d’enfants, on faisait la file pour payer sa cotisation syndicale ou pour aller au cinéma. Dans les rues défilaient de rutilantes voitures américaines.

Les choses ont bien changé dans cette ville que la route 111, qui forme un coude à ses portes, ne daigne même pas traverser. Les larges artères de Normétal sont peu fréquentées. Elles offrent au visiteur le luxe de pouvoir se stationner comme bon lui semble le long des vitrines vides et des écriteaux à vendre délavés, qui rappellent que la rue Commerciale a jadis mérité son nom.

«Le cinéma et le Club de la mine ont brulé, la bâtisse du curling est utilisée par le Cercle des fermières», énumère Marcelle Aubé en pointant une photo accrochée à un mur de la Société d’histoire locale, dont cette ancienne enseignante au secondaire est maintenant secrétaire. Cela fait 42 ans que la mine a plié bagage. Et que la vie continue, au ralenti, bercée par la douce indifférence que le Québec entretient pour ses régions périphériques—mais avec un parfum de résistance qui a valu à ce patelin, le plus nordique d’Abitibi, le sobriquet de «village gaulois».

Le surnom divise: certains en font une image de marque (comme l’unique restaurant, La maison des Gaulois), d’autres aimeraient tourner la page. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui encore, alors que les coupes gouvernementales s’enchainent, Normétal refuse de mourir.


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Un demi-siècle à se tenir debout

Pourtant, la population n’a jamais cessé de fondre—841 habitants contre 2 519 à son apogée, en 1961. L’Institut de la statistique du Québec, qui a calculé fin 2016 un indice de vitalité économique pour toutes les municipalités de la province, classe Normétal à la 1016e place sur 1098. Le taux de travailleurs de 25 à 64 ans y atteint péniblement le 60%, et le revenu médian est de 20 600$.

N’importe qui cèderait au défaitisme, mais les Normétaliens n’en sont pas à leur première menace. Le nombre d’habitants a commencé à chuter dès la fin des années 1960, personne ne pouvant ignorer que le cuivre et le zinc ne sont pas des ressources renouvelables. «À partir de 1964, on a commencé à parler de fermeture, se souvient Marcelle Aubé. Les gens sont allés se placer ailleurs.» Quand, en 1975, les dernières tonnes de minerai sont remontées à la surface, beaucoup d’employés ont été mutés par la Noranda (qui avait acquis la mine dans les années 1950) dans des exploitations plus au nord, à Matagami ou à Joutel. Les plus mal en point se sont satisfaits de primes pour avoir laissé poumons ou tympans au fond du trou. Un an après la fermeture, le village a perdu 1 000 habitants, et n’en comptait plus que 1 500. Les terrains autour des maisons ont été cédés à leurs résidents. Cela a contribué à en enraciner quelques-uns, ceux qui ont choisi de prendre leur retraite, et ceux qui se sont tournés vers l’autre activité du coin: la forêt. C’est le cas d’Yvon Pelletier, un ancien cage tender, qui vit encore ici. Après avoir touché le fond du trou, «8 040 pieds ben juste», il est «parti travailler en mécanique pour l’Abitibi-Price», à 10 km de là.

Les primes versées par la compagnie sont des «avantages que n’ont pas connus tous les mineurs d’Abitibi au moment de la fermeture de leur mine», si l’on en croit le livre publié pour le 50e de Normétal. Elles n’ont évidemment pas suffi à conjurer la destinée du village, plongé dans ce vide creusé à la dynamite. Pas question de se laisser aller pour autant: dès le départ de la compagnie, un comité d’urgence s’est formé, en collaboration avec la Chambre de commerce. «On cherchait à savoir ce qu’on pouvait faire pour changer notre vocation minière», se souvient Marcelle Aubé. Mais comment se réinvente-t-on, quand on semble arrivé au bout de sa mission?

«On est devenu un village de services, explique la secrétaire de la Société d’histoire. On a construit le hlm pour convaincre les ainés de rester et en attirer d’autres, fait venir de la glace artificielle pour amener une activité sportive. Avec une caisse pop’, des dépanneurs, un aréna, il y avait de l’action.»

Les propriétés étant très accessibles, elles sont vite devenues un argument pour repeupler le village. Ghislaine Camirand, une fille de mineur, fait partie de ceux qui en ont profité. Partie étudier puis travailler dans le domaine du développement social à Montréal, elle a choisi de revenir vivre en Abitibi avec son chansonnier de mari, mais elle n’était «finançable» qu’à Normétal. Ironie de l’histoire, le couple a racheté l’ancienne banque et l’a transformée en maison d’artistes dont la couleur bleue détonne ici.

  • 03. L’église de Normétal. Ce sont les 75 ans de la paroisse que l’on fête en 2017.
    L’église de Normétal. Ce sont les 75 ans de la paroisse que l’on fête en 2017.
    Photo: Gabriel Gosselin

Le gouvernement provincial leur avait présenté le «retour à la terre» comme un paradis, mais il s’avérait beaucoup plus payant de travailler la terre de l’intérieur.

Pour elle, «ce qui a permis à cette communauté de survivre, c’est sa grande culture d’investissement dans l’organisation sociale». C’est d’ailleurs un leitmotiv dans la bouche de tout Normétalien de longue date: sans bénévolat, point de salut.

Cette tradition d’implication révèle un angle mort de l’histoire, qui met trop souvent en avant les exploits des hommes dans les sombres galeries. Le film de Gilles Groulx lui-même présente un monde majoritairement masculin, les femmes n’étant représentées qu’en accompagnement de la marmaille. Pourtant, celles-ci ont toujours travaillé au moins autant, mais souvent sans salaire: «Quand j’étais jeune, se rappelle Ghislaine Camirand, c’était ma mère qui s’occupait de la maison, de la famille, de l’éducation, mais aussi de cimenter la vie sociale. Elle faisait beaucoup de bénévolat pour ses enfants, pour elle-même, pour tout le village.»

C’est en perpétuant cette tradition que la population s’est activée pour tourner la page de la mine. Elle a même organisé pendant quelques années un «festival du bucheron» pour tenter de changer l’identité de la ville.

Mais il faut une débauche d’énergie pour entretenir un patelin qui a déjà été beaucoup plus gros, et surtout beaucoup plus riche. «Pour obtenir l’acceptation sociale, les compagnies ont installé des infrastructures et cherché à offrir un milieu de vie stimulant», explique Ghislaine Camirand. C’est à double tranchant: «Ce qui est dangereux ajoute Marcelle Aubé, c’est que cela rend dépendant. Les municipalités ont tendance à s’arrimer à cette grosse industrie, à lui demander d’investir. Pour mettre la population de son bord, la minière va se montrer généreuse, mais quand elle part, elle part.»

Ghislaine Camirand parle d’un «héritage lourd à porter: la mine nous a laissé sa pollution, mais aussi un aréna, un bowling, un curling, un tennis... Il fallait être nombreux à mettre l’épaule à la roue pour maintenir tout ça. En 40 ans, les infrastructures se sont détériorées, ont dévoré les finances municipales, sont tombées en désuétude. Et beaucoup de bénévoles se sont épuisés».


Du pain, du fil et des hommes qu’on déplace

Comment entretenir l’engagement social au sein d’une population qui diminue et qui vieillit? C’est un défi que rencontrent tous les villages de la région. À Normétal, on a tenté de faire germer les graines du volontariat pour faire pousser une autre économie. Un atelier de couture a été fondé en tant qu’entreprise d’économie sociale en 1993, et tenu à bout de bras par des bénévoles pendant de longues années. Il a été racheté en 2014 par une employée, Hélène Boily, qui voulait à tout prix éviter «de perdre [sa] job» et souhaitait embaucher «des filles d’ici» afin de fabriquer des vêtements de travail, des articles de cuisine ou pour bébés. Une entreprise improbable, qui joue face à des ligues asiatiques, mais qui démontre qu’avec un peu de cœur, la désindustrialisation n’est pas une fatalité.

Un peu plus haut sur la même rue, on retrouve le plus gros employeur du village, la fierté du coin: la boulangerie Lacroix. Rien à voir avec une petite boutique de quartier. Ici, 30 travailleurs produisent plus de 15 000 pains—tranchés, à hotdogs, à hamburgers—par jour, distribués à la grandeur de l’Abitibi-Témiscamingue par une dizaine de livreurs. À l’image de Normétal, l’entreprise s’obstine à persévérer dans un monde qui semble lutter contre elle. Rien n’est jamais acquis: les boulangers doivent importer la farine jusqu’à leur septentrional village, puis exporter leurs pains vers des marchés situés à de longues heures de route. Lacroix se maintient face à des concurrents—de grosses compagnies regroupant plusieurs marques—qui pourraient aisément la rayer de la carte avec des réclames impossibles à imiter.

Mais cela ne fait pas peur à Sandrine Lacroix, 25 ans à peine et représentante de la quatrième génération de boulangers. Elle qui n’a jamais envisagé son destin ailleurs, elle s’apprête à reprendre l’entreprise familiale, vieille de 66 ans, et entend lancer de nouveaux produits. Son grand-père a refusé une offre d’achat, dans le passé. «Ça a toujours été dans nos valeurs de rester indépendants et d’être là pour le village, témoigne la jeune femme. On s’est impliqués dans plusieurs activités pour ramasser des fonds dès la fermeture de la mine, pour faire vivre le curling. Ça s’inscrit dans la mentalité des “Gaulois”.»

Ghislaine Camirand s’emporte quand on évoque la dévitalisation de Normétal: «Va dans n’importe quel petit village autour, tu vas en trouver combien qui produisent 50 ou 60 emplois? On nous regarde comme si on n’était pas capables de régénérer notre économie, pourtant on en produit plus que nos pairs!» Pour cette militante qui a longtemps travaillé au développement de projets menés par des femmes dans la région (avant d’être candidate pour Québec solidaire dans la circonscription d’Abitibi-Ouest lors des deux dernières élections provinciales), il semble essentiel de voir le verre à moitié plein.

Son attitude est d’autant plus courageuse que, dans cette nouvelle ère où l’on ne construit plus de villes autour des mines qu’on ouvre, le «fly-in fly-out» a tendance à atomiser ce qui reste des réseaux d’entraide et de sociabilité de village. La nouvelle génération de Normétaliens qui travaille pour les compagnies forestières et minières doit se rendre de plus en plus loin, tarissement des ressources oblige—il n’y a aujourd’hui plus aucune extraction dans la mrc d’Abitibi-Ouest. La mine Selbaie, sur le territoire de la baie James, a pris un temps le relais. Puis la Casa Berardi, encore en activité, à 1h30 de route. Au-delà, vers Éléonore ou Raglan, les salariés alternent semaine à la mine et semaine à la maison.

La vie sociale a donc changé, au rythme des allées et venues («14–14» ou «7–7») des travailleurs. Difficile, dans ces conditions, d’entretenir le sentiment d’appartenance à la communauté et l’envie de se battre pour elle. Même le maire, qui est employé dans un campement forestier, ne revient que la fin de semaine. Il doit parfois, de son propre aveu, faire «cinq heures de route pour assister au conseil municipal».

Derrière les pickups flambant neufs et les vtt dernier cri, témoins d’un extractivisme invisible à l’œil de la majorité des Québécois, se cache une autre réalité qui fait obstacle aux projets locaux de diversification économique: les disparités salariales.

«Il y a une compétition déloyale entre les forestières et les minières d’un côté, et de l’autre toute entreprise qui ne bénéficie pas des mêmes avantages gouvernementaux et ne peut donc accoter ces salaires astronomiques, explique Ghislaine. Il y a aussi un déséquilibre entre les marchés de l’emploi masculin et féminin.» La préséance du salaire du conjoint est encore la règle dans les foyers. Le temps de la mine Normétal semble lointain, mais, comme à l’époque, les femmes renoncent à leur carrière et restent à la maison auprès de la progéniture.

La configuration fonctionne tant que le couple tient. Et tant qu’il y a encore de quoi creuser. «Il y a eu 15 années, autour de l’an 2000, où il n’y avait plus de mines en Abitibi. Les besoins de ressources naturelles de la Chine ont redonné vie à l’exploitation. Quand la Chine va tomber malade, tout va retomber malade», prévoit-elle.


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De l’organisation syndicale au chaos municipal

Dans sa maison bleue, Ghislaine Camirand se souvient du sentiment d’égalité qui a marqué son enfance: «On était tous des enfants pareils, élevés avec la mère à la maison. Nos pères étaient tous en vacances deux-trois semaines par année, on allait tous dans la même école. La mine était omniprésente.» La sirène de cette dernière rythmait les journées, annonçant le retour à l’école, le couvre-feu, la survenue d’un accident, etc.

Le Normétal d’antan n’avait pourtant rien de la société horizontale—il y avait l’élite anglophone, le salariat francophone très pratiquant, et le curé fort en gueule—ni de la bourgade unifiée. Sous l’impulsion d’Émile Boudreau, embauché par la mine en 1944, Normétal a connu un chapitre syndical très actif, marqué par un bras de fer intense avec le patronat.

Aujourd’hui, les chicanes traduisent d’autres lignes de fracture. Il y a celle qui oppose les «anciens», attachés à leur bourgade, et les «nouveaux», de passage, qui iront où leur pickup les mènera. Mais il y a aussi celles qui déchirent le conseil municipal sur fond de soupçons de corruption et de dilapidation des fonds publics. Fait unique dans l’histoire du Québec, une dizaine de citoyens ont demandé une vérification comptable de la municipalité. Même l’upac est venue faire un tour.

En résulte une instabilité chronique: «Depuis 2005, il est passé à peu près 25 conseillers, et moi, je suis le septième maire. Il y a un sérieux problème», glisse sur un ton résigné Jacques Dickey, le premier magistrat, qui semble dépassé par les évènements. «Je suis écœuré de la politique, confie-t-il. C’est en train de me détruire.» Avant cela, un autre maire avait tenu le coup pendant 24 ans.

Les divisions finissent par couter cher et par nuire au grand chantier de la diversification économique. Après les travaux de réhabilitation de la mine, terminés en 2007, la municipalité devait ainsi bénéficier d’une enveloppe de plus de 70 000$ pour le site. Incapable de définir un projet consensuel avant l’échéance fixée, elle a perdu cette somme. Un plan de diversification économique a quant à lui été adopté en 2011, mais peu de ses objectifs ont été remplis. Exemple bénin mais parlant, le comité d’accueil des nouveaux arrivants, que tout le monde voudrait voir mis sur pied pour faire le lien avec les «anciens», n’existe toujours pas. Il n’y a plus d’agent de développement: «On ne peut plus se le permettre, à cause des différentes coupures, affirme le maire Dickey. Ça fait partie des choix que la municipalité a faits.»

Ce plan de diversification a, en fin de compte, permis de faire l’entretien des parcs et des sentiers, de donner un peu de moyens au comité des jeunes, d’embaucher une animatrice de milieu. Les célébrations du 75e anniversaire, à l’été 2017, en font également partie. Peuvent-elles, justement, guérir les blessures du village, et lui donner un second souffle? Un banquet pour fêter l’unité et l’avenir, voilà qui cadrerait bien avec l’étiquette de village gaulois qui colle à Normétal.


Puiser aux racines

Il n’y a pas que l’ancien village minier qui souffle des bougies significatives. À peu près tous les patelins d’Abitibi ont entre 75 et 100 ans, ce qui représente un bel âge pour mesurer le chemin parcouru. Voire pour écrire son histoire. Car ils sont rares, les pays qui peuvent encore discuter avec leurs premiers colons.

À La Reine, autre bourg dévitalisé à 20 minutes au sud-ouest de Normétal, les doyens joueront ainsi un rôle-clé dans l’organisation des fêtes du centenaire: leurs témoignages seront repris par des comédiens qui, postés à six endroits stratégiques, feront revivre les premiers temps de la municipalité aux visiteurs, quand les colons recevaient un lopin de terre et quelques animaux, et qu’ils devaient faire fructifier le tout. «J’en ai deux de 96 ans, deux de 91, explique la présidente du Comité du 100e, Annick Létourneau. Quand tu leur parles de leurs souvenirs, tout est lucide.»

Lucides, voilà un qualificatif qui sied bien aux Abitibiens, qui n’ignorent rien du caractère versatile de leur économie. Les forestières, les minières et la Bourse de Toronto font et défont les villages avec la bénédiction de l’État québécois, qui a même inventé une expression pour cela: région-ressource.

Mais il faut croire qu’il existe un antidote à ces mouvements d’ordre planétaire. Dans les villages ravagés par l’exode rural, le sentiment d’appartenance est une expression qui revient ainsi sur toutes les lèvres. C’est lui qui fait de l’Abitibi-Témiscamingue la région accueillante qu’elle est, à l’image des gens de Normétal, chez qui on entre pour jaser dix minutes, et d’où on ressort deux heures plus tard. Et au moment d’entamer un deuxième siècle d’existence, l’histoire en devient un ingrédient primordial.

C’est pourquoi, partout, de petites sociétés d’histoire, comme celle que Marcelle Aubé a montée à Normétal en 2011, voient le jour pour sauvegarder le patrimoine. Pour Sainte-Germaine-Boulé, village agricole sans charme entre La Sarre et Rouyn, «la société a peut-être été l’un des meilleurs investissements de la municipalité», se targue l’organisateur communautaire Mario Tremblay.

Sympathique gaillard au sourire communicatif, Mario est connu dans la région, où il réside depuis une dizaine d’années. Jusqu’à Normétal, on le cite en exemple comme créateur du sacrosaint sentiment d’appartenance. Le film Les Bretelles à mononc’ Jack, diffusé à la télévision communautaire, a été réalisé en 2016 par deux cinéastes de Rouyn à partir d’un conte qu’il a écrit. Ce qui était au départ une histoire mignonne a pris une ampleur insoupçonnée: «On en a fait un film, mais juste avec du monde de la communauté. On a tourné toutes les fins de semaine, de mars à début mai, avec rien que des bénévoles. Sur les 1 000 résidents du village, une centaine a participé de près ou de loin, y compris notre curé africain.»

  • Souvenir du syndicat des Métallos
    Photo: Rémy Bourdillon

Dans les villages ravagés par l’exode rural, le sentiment d’appartenance est une expression qui revient ainsi sur toutes les lèvres.

L’optimisme de Mario Tremblay est hermétique aux récents aléas, comme les coupes gouvernementales qui ont même eu raison du maigre budget du Fonds de soutien aux territoires en difficulté (5,5 millions$ à répartir entre 150 municipalités): «C’est l’esprit des pionniers: il y a toujours un moyen de trouver une solution par nous-mêmes.»

Un discours qui a un certain écho du côté de Normétal. Dans cette petite communauté nordique, la grande crainte, c’est justement la possibilité que ce sentiment d’appartenance se délite au gré des tensions et de l’économie intrinsèquement éphémère du fly-in fly-out. Comme Mario, Marcelle Aubé est convaincue que la mise en valeur du patrimoine et de l’histoire est à même de contrer cette érosion. Avec deux amies, cette «irréductible» s’affaire à monter un petit musée et à compiler l’histoire des familles normétaliennes pour le livre du 75e.

Pour elle, il y a toujours de l’espoir: «Si on n’y croyait pas, on serait tous partis! L’espoir est concentré sur les petites choses, sur la défense des services et des acquis: le maintien de l’atelier de couture et de notre point de services du clsc, qui est demeuré ouvert à l’été 2016 malgré les coupures gouvernementales. On vient de nous enlever deux jours d’ouverture de la caisse populaire, on va continuer à livrer la bataille qu’on mène depuis la fermeture de la mine.» Avec quelques raisons d’être fiers: un journal local—qui répond au drôle de nom de Vrai Citoyen—parmi les plus vieux du Québec (45 ans), la présence de deux stations--service quand il n’y en avait plus aucune en 2015.

Malgré les années qui passent et les forces déjà très sollicitées des bénévoles, l’engagement des Normétaliens reste exemplaire, pour maintenir les services comme pour lever des fonds à l’occasion de leur 75e anniversaire. Un bel exemple de résilience, qui rappelle que les fatalités n’en sont pas toujours. 


Journaliste indépendant, Rémy Bourdillon collabore entre autres à L’actualité, à La Gazette des femmes et à Rue89. Son bédéreportage «La Pointe des utopies», publié dans Nouveau Projet 06, a reçu la médaille d’or aux Prix du magazine canadien 2015, dans la catégorie «Paroles et images».

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