Les larmes des femmes sont dangereuses
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L’auteur Guillaume Morissette est né au Saguenay–Lac-Saint-Jean et a appris l’anglais en écoutant Les Simpson. Aujourd’hui, c’est pourtant dans cette langue qu’il écrit. « Ce n’est pas un geste politique », dit-il. Est-ce vraiment possible ? Le débat linguistique est-il chose du passé, au Québec ?
New Tab, de Guillaume Morissette. La charge politique d’une langue. La alt lit. Les réseaux sociaux et ce qu’ils changent. Le Mile End en tant que possible éden linguistique. Comment on peut changer de culture sans changer de milieu, d’un point de vue géographique.
Ambiance de fin de mille
Guillaume Morissette est en train de lire un extrait de son roman New Tab, paru il y a quelques mois, quand je passe la porte de Drawn & Quarterly, petite librairie anglophone de la rue Bernard, à Montréal. La place est pleine, les chaises sont toutes occupées, plusieurs personnes s’entassent dans les recoins des bibliothèques et des étagères. Morissette n’est pas le seul invité, il n’est même pas le plus connu: après lui monteront sur scène Anna Leventhal, auteure du recueil de nouvelles Sweet Affliction (Invisible Publishing), et Heather O’Neill, dont le roman The Girl Who Was Saturday Night vient d’être publié chez HarperCollins.
Il nous offre un passage assez comique où il est question de drogue et de quasi-overdose dans les rues de Montréal, une nuit comme les autres dans le Mile End; les gens rient, complices des travers du narrateur et de son ton détaché. Morissette s’exécute avec assurance, ce n’est pas la première fois qu’il fait ça. Personne ne semble se formaliser du fait qu’il a un accent. À la rigueur, tout le monde s’en fout, je suis le seul à m’intéresser à sa façon de prononcer les mots anglais, à la rondeur toute québécoise qu’il leur donne, à son débit parfois déboulant, qui rogne le début ou la fin des phrases.
Il n’y a pas beaucoup de francophones dans la librairie, peut-être sommes-nous les deux seuls, mais l’ambiance est à l’échange culturel bon enfant, comme si tout ça était normal, ou plus précisément comme si c’était banal, comme si c’était devenu habituel: des francos et des anglos dans une même librairie, les uns écrivant des poems et des short stories, les autres créant des personnages appelés Nicolas Tremblay, qui vivent à l’est de la rue Saint-Laurent. Et pourquoi pas? Ne vivons-nous pas à l’ère du Blue Metropolis Bleu, de Yann Martel, des soirées Sud-West, de Québec Reads, de You’re Gonna Rire, de Rufus et Martha Wainwright, de Win Butler et Régine Chassagne? Juste à côté de moi, sur une table de présentation, je remarque des éditions en anglais des bandes dessinées de Pascal Girard, de Guy Delisle, de Jimmy Beaulieu.
Ici, en plein cœur de l’été et de ce quartier montréalais rempli d’artistes de bonne foi qui n’ont qu’une seule envie, celle de satisfaire aux exigences de leurs ambitions littéraires et esthétiques, on pourrait effectivement croire à un rapprochement, à une entente. On pourrait presque croire à un monde qui aurait changé profondément, qui aurait dépassé certaines querelles stériles et qui serait maintenant mûr, prêt à affronter les défis de demain: un monde où la langue serait uniquement un outil d’expression, une manière singulière, personnelle, d’exprimer l’universalité de la condition humaine, un monde où la langue serait pure, absolue, débridée, et surtout, dépolitisée.
Et pourtant, cela reste une illusion d’optique, créée aussi bien par l’enthousiasme démesuré de certains que par le cynisme et le défaitisme des autres. Rien n’a changé, au fond, ou si peu. Guillaume Morissette et moi le savons (même si nous le vivons d’une manière différente), nous qui représentons les deux faces opposées de cette supposée «nouvelle réalité» adaptée à l’ère numérique, mondialisée, une réalité qui craint le nationalisme comme la peste et qui se braque devant la moindre référence aux notions d’identité. Une réalité où, le français n’étant officiellement plus en danger, il serait grand temps de «passer à un autre appel».
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