La merdification est encore pire que nous le pensions
Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

Alors que la droite s’autoproclame protectrice d’un prétendu «gros bon sens» dont la gauche aurait perdu toute notion, il est bon de se rappeler que ce n’est pas d’hier que les forces conservatrices ont recours à cette tactique.
On est modernes et voilà qu’on n’en est plus certain·e·s. L’injonction rimbaldienne «Il faut être absolument moderne» nous a mis·es dans le trouble. On veut le retour de certaines idées stables. On est embarrassé·e·s par tant de diversité et par l’implosion des notions simples. Par exemple: la théorie des genres a envahi nos écoles primaires et on mêle tout le monde, à commencer par les enfants. Jean-François Lisée, qui est devenu sage sans qu’on sache trop quand et comment ça s’est passé, le disait bien, il y a quelques mois, dans Le Devoir: «À l’heure où l’on s’apprête à reconduire cette pédagogie hasardeuse au sein du nouveau cours “Citoyenneté québécoise”, je n’ai qu’un mot à lui dire: pause!» C’est prudent en diable comme attitude: calmons-nous, prenons une pause. Dans ce domaine et dans plein d’autres: pensons à la prétendue terreur de l’EDI (Équité, diversité et inclusion) dans les universités québécoises, ou encore au développement «tentaculaire» du wokisme, terme qui a tous les traits d’un anathème définitionnel—comme, à la fin du 19e siècle, en France, le substantif intellectuel.
Mais comment justifier une pause dans notre cavalcade moderne? En convoquant le gros bon sens, tout simplement. C’est une expression qui revient de temps à autre, selon la saison politique.
Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, l’emploie sans arrêt par les temps qui courent. À la fin de l’été, au Congrès du gros bon sens de Québec (c’est bien le titre de l’évènement, je ne niaise pas), Poilievre n’a cessé de marteler qu’il fallait ramener ce gros bon sens à Ottawa. Si vous êtes d’accord avec lui, si vous considérez que le chou-fleur coute trop cher à cause de Justin Trudeau, que la critical race theory nous détourne des vrais problèmes comme l’emploi et le développement des hydrocarbures, vous pouvez acheter votre gaminet sur le site web du parti. «Après huit ans, les Canadiens comme vous sont fatigués de se sentir ignorés par leur gouvernement. Envoyez à Trudeau le message que vous REJETEZ son programme wokiste. Ensemble, nous reprendrons le contrôle de nos vies et ferons du Canada le pays le plus libre au monde. Achetez votre T-shirt “Ramenez le gros bon sens”», lit-on.
De quoi est fait ce gros bon sens, au juste? Cela va de soi, puisque c’est le gros bon sens. Et on ne définit pas ce qui va de soi. Le gros bon sens est toujours juste, jamais dépassé, il existe de tout temps.
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Dans son nouvel ouvrage, Cory Doctorow étaye ses thèses sur la «merdification» de l’internet. Il en ressort un portrait révoltant de pratiques qui affectent aussi le monde réel.

Alors que s’amorce la nouvelle année, une réflexion sur nos visions du futur: et si, loin d’être neutres ou inédites, elles étaient des héritages du passé qui orientent nos choix collectifs et limitent notre capacité à imaginer d’autres possibles?

À garder en tête en 2026: le geste créatif, disponible en chacun·e de nous, a peut-être la capacité de nous offrir cet espace de paix que nous cherchons ailleurs, et de nous aider à guérir.

Quand le bruit empiète sur la preuve, il devient crucial de se pencher sur les procédés qui permettent aux chiffres fabriqués, aux raisonnements bancals et aux digressions hors propos de ne plus susciter l’étonnement. Se dessine un paysage troublant: celui d’une époque où le mensonge constitue la toile de fond de nombreux débats.