En ce moment, on est dans l’espace

Virginie Fortin
Publié le :
Ailleurs à Atelier 10

En ce moment, on est dans l’espace

Le texte du spectacle Du bruit dans le cosmos nous force à apprivoiser notre vertige face à l’immensité de l’univers. Pas mal, pour un show d’humour. En voici les premières pages, telles que publiées au sein de la nouvelle collection d’Atelier 10. 

Bonsoir,

Capotez pas. Ne capotez surtout pas. Mais en ce moment, on est dans l’espace. 

En fait, on est toujours dans l’espace, mais ce soir j’ai envie qu’on prenne le temps d’en parler1En entendant «Capotez pas», les gens ont toujours un petit rire nerveux, parce qu’ils croient que je leur demande de ne pas capoter de me voir. Mais en réalité, je leur demande de ne pas capoter parce que je m’en vais leur dire qu’on est dans l’espace. Parfois de petits rires, parfois un silence. Dès ces premières lignes, normalement je suis capable de savoir si ce sera une soirée agréable pour moi (et pour le public), ou plus difficile..

Parce qu’on n’en parle plus beaucoup, de ça. On est comme trop préoccupés par les choses plus tangibles qui se passent sur la Terre. Nos jobs, les enfants à la garderie, les lunchs, FUGUEUSE! Avez-vous vu Fugueuse2Je ne suis pas particulièrement fan des références populaires; cela dit, elles sont parfois nécessaires. Juxtaposer l’immatériel de l’espace au tangible de Fugueuse suscite un rire qui me servira à garder les gens attentifs pendant les dix minutes qu’ils vont passer à m’écouter parler de l’espace.? Ben, la fugueuse aussi est dans l’espace. 

C’est juste qu’ils n’en parlent pas beaucoup dans l’émission. Mais si tu recules la caméra très très loin, bien vite tu te rends compte que Ludivine aussi, elle flotte dans l’infini.

Je trouve que, globalement, on en est vite revenus de ça, l’espace. On est vite passés à autre chose, ça ne nous a pas inquiétés longtemps. On a commencé à exister, on ne savait même pas où on était. On pensait que la vie, c’était juste être là pis attendre. Jusqu’à ce que des gens curieux et intelligents comme Galilée fassent comme: «OK, guys, j’ai checké, on est dans l’espace.» 

Pis nous autres, on a dit: «Oh ben, merci, Galilée. Maintenant que je sais qu’on est dans l’espace, je peux continuer à vivre ma vie comme si de rien n’était.» 

On n’a pas eu le gout de tous ensemble dire: «WÔ, DEUX SECONDES. L’ESPACE? Je ne suis pas satisfaite de ce terme très peu précis pour définir un lieu et sa surface.»

Publicité

Parce qu’en passant, c’est nulle part, l’espace. Faut spécifier c’est l’espace entre quelles deux affaires?! L’espace, c’est supposé être entre deux affaires. Tu ne peux pas juste être dans le vaste espace entre rien. On est dans l’espace entre quoi? Moi, j’ai un petit espace entre les dents ici3À ma grande surprise, le petit espace entre mes dents a toujours suscité un rire. Alors qu’il n’y a pas réellement de blague. C’est la pure vérité: j’ai un espace entre les palettes qui est revenu même après près de deux ans de broches au secondaire.. Il y a peut-être un petit univers là-dedans, ça se peut, je ne passe pas souvent le fil de soie dentaire. On est peut-être dans l’espace entre les dents de quelque chose de beaucoup plus grand que nous? 

Non mais, ça ne vous fait pas capoter, vous autres4À ce moment-ci, je quitte le micro comme pour m’adresser directement au public, d’humain à humain et non d’humoriste à public. Le texte qui s’ensuit a varié presque tous les soirs, imprégné sensiblement du même propos—c’est-à-dire: wake up, criss, on est dans l’espace, chu-tu la seule qui y pense tous les jours, coudonc?? C’est quoi l’espace? Ça ne vous hante pas? Moi, tous les matins je me lève, j’suis comme: «C’EST QUOI, L’INFINI, OUCH.» Vous autres, vous avez pas l’air stressé de ça. Vous avez le temps de venir vous divertir tranquilles avec un show d’humour. Vous pensez que vous êtes relax dans un petit théâtre à [ville dans laquelle on se trouve], mais on est sur un amas de matière qui se déplace à 108 207 km/h dans le vide. On est où? On est ici? On est quand? On est maintenant? ÊTES-VOUS SURS? Ça vous fait pas capoter5Normalement, après le crescendo de panique et le fait que je crie à côté du micro en faisant des allers-retours frénétiques, il y a quelques rires, mais surtout un grand malaise qui me permet de réaliser qu’il faut que je me calme.?

Je trouve que, globalement, on en est vite revenus de ça, l’espace.

Bon, c’est peut-être juste moi aussi, haha. Mon dieu, excusez-moi. Je suis désolée. Ça part violent, ce spectacle-là? Vous autres, vous êtes venus voir un show d’humour pis finalement vous avez droit à une fille en psychose. Je suis désolée. Mais bon, je me disais que j’allais partager mes angoisses en commençant… finalement ça vous a peut-être un peu chamboulés. 

Hahaha, inquiétez-vous pas, j’ai aussi de vraies blagues. On ne parlera pas de l’espace tout le long, là… Haha, j’ai préparé un vrai show d’humour. 


Improvisatrice remarquée, comédienne dont le large registre a été souligné par plusieurs nominations, Virginie Fortin signe ici son premier spectacle solo. 

Continuez sur ce sujet

  • Culture

    Denis Côté: le cinéaste affranchi

    Le réalisateur de Curling et Répertoire des villes disparues revient de loin, et c’est précisément ce qu’il raconte dans son essai à paraitre dans «Nouveau Projet 28.» En voici un avant-gout.

  • Fiction+poésie

    «Tabarnak, que je me sens seul!»

    Avec un humour mordant et une grande liberté de ton, Camille Giguère-Côté nous invite à lutter contre les mille nuances de beige qui envahissent notre existence. Extrait du «Show beige», prochain titre à paraitre dans notre collection «Pièces».

  • Société

    Un sociologue en centre jeunesse

    À Montréal, c’est à Cité-des-Prairies que sont exécutées les peines les plus sévères prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Avec la complicité de l’illustratrice Alexandra Dion-Fortin, le sociologue Nicolas Sallée dévoile l’équilibre fragile d’un lieu dont la structure carcérale contredit constamment les visées de réhabilitation.

  • Société

    À la recherche d’une autre justice

    Dans «Personne ne s’excusera», Aurélie Lanctôt aborde de front une contradiction profonde dans notre conception de la justice: que pour prévenir la violence, nous acceptions de l’exercer à notre tour par l’intermédiaire du système pénal de l’État, et d’ainsi participer à sa reproduction dans notre société.

Atelier 10 dans votre boite courriel
S'abonner à nos infolettres