FNC: Révolution à deux têtes

Céline Gobert
Publié le :
Culture

FNC: Révolution à deux têtes

«Deux têtes valent mieux qu’une», dit le proverbe. Et ce n’est pas les deux nouvelles codirectrices générales du Festival du nouveau cinéma, Zoé Protat et Ariane Bélanger, qui diront le contraire. Pour elles, codiriger rime avec dialogue, décentralisation et transversalité.

La première rencontre entre Ariane Bélanger et Zoé Protat ressemblait à une blind date, lancent-elles en riant. Un «mariage arrangé». Les deux amoureuses du septième art se sont tout de suite bien entendues. Leur aventure professionnelle en tant que binôme a officiellement commencé en juin 2025.  

«L’année passée, il y avait une direction générale par intérim, explique Bélanger, codirectrice générale et directrice administrative. C’est donc Michel Pradier, le conseil d’administration et un expert externe en RH qui ont réfléchi à l’avenir de la direction d’un festival comme le FNC. C’est un nouveau modèle dans le milieu de la culture.»

Ce modèle, on le voit désormais aussi au Festival TransAmériques de Montréal, où trois personnes tiennent les rênes. Mais également au Théâtre Outremont qui a annoncé, mi-aout, la mise en place d’une structure de direction similaire au FNC: d’un côté, une tête artistique, de l’autre, une administrative. 

«C’est vraiment dans l’air du temps. Comme vraiment, vraiment, dit Protat, codirectrice générale et directrice artistique du festival. Je dirigeais la programmation depuis quelques années, je savais que le conseil d’administration était en réflexion sur un nouveau modèle. Dès le début, c’était assez clair qu’on voulait que ce soit deux femmes.»

À ses yeux, c’est le signe que les organismes adoptent une nouvelle façon de voir le monde du travail et repensent certains modèles hiérarchiques. «Qu’au numéro un de la hiérarchie, il y ait un dialogue entre deux personnes qui ont des expertises différentes, des champs d’intérêts différents, ça garantit déjà une circulation des idées, puis une espèce de contrepoids aussi.»

Ariane Bélanger adhère complètement à cette vision. «On veut aplatir la pyramide. S’assurer qu’il n’y a pas trop de silos entre les départements, qu’on décentralise une portion des décisions qui peuvent être prises, même si tout ne peut pas l’être, ajoute-t-elle. On veut responsabiliser au maximum les chef·fe·s de départements pour qu’ils et elles puissent avoir en main le maximum de ressources et d’informations dont ils et elles ont besoin pour avancer. Moi, ma vision, c’est vraiment ça. C’est le plus décentralisé possible. Puis aussi: collaboration et transversalité.»

  • Photo: Céline Gobert

Partage du pouvoir et solitude

Selon Alaric Bourgoin, professeur au Département de management de HEC Montréal, la codirection répond avant tout à une dynamique de partage du pouvoir hiérarchique. Selon l’expert en gouvernance et en leadership, il s’agit de mettre au même niveau deux personnes, donc «d’équilibrer les forces». 

Il y voit autant de défis (de coordination, notamment) que de points positifs. «Avoir deux têtes peut brouiller les messages; ça peut complexifier les relations ou l’encadrement dans certains cas.» Il est donc crucial que l’organisation dispose de mécanismes de coordination qui fonctionnent bien, en termes de communication et de résolution de conflits, précise-t-il. Sur ce point, Bélanger a d’ailleurs entamé, cet été, une démarche de développement des compétences en leadership à l’intention de tou·te·s les chef·fe·s de département afin de «mettre en place un climat de travail où la créativité et la bienveillance peuvent s’épanouir».

Être deux, c’est aussi éviter une certaine solitude au sommet. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Bélanger à dire oui. «J’ai été directrice générale de l’organisme Le Grand Costumier. Pour l’avoir vécu, je peux dire que c’est un poste solitaire à la base. Donc t’as besoin de quelqu’un avec qui parler, ce qui n’est pas toujours possible, car il y a plein d’informations confidentielles.»

Une réalité que confirme le professeur de HEC Montréal: «Les dirigeants qui sont en codirection se sentent moins seuls. Surtout quand il faut prendre des décisions difficiles. Dans des situations de vulnérabilité organisationnelle, ça peut être rassurant.» 

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Des stratégies à long terme

La direction générale du FNC impulse les grandes orientations et réflexions, ainsi que la stratégie sur le long terme, indique Bélanger. «Comment on voit ça ensemble? Comment on l’exprime ou on le déploie dans chacun dans nos départements? C’est Zoé, la directrice artistique; moi, je suis aux opérations, mais aussi au développement à long terme. C’est vraiment ça, mon dada. Mais je ne vais pas juste partir de mon bord sans consulter personne.»

Pour Protat, le choix d’une codirection s’inscrit dans la logique collaborative qui est à l’œuvre depuis longtemps au festival. «Le modèle ultracapitaliste de l’entreprise, avec la direction générale qui est complètement opaque et les petites mains qui ne peuvent jamais s’exprimer… c’est juste impossible d’imaginer ça dans notre festival. Je m’écoute parler, puis j’imagine qu’il y a peut-être des festivals dans le monde qui marchent comme ça (Rires). Ici, on n’est rien sans les autres. Les compétences de chacun et chacune sont tellement inestimables.» 

Surfant sur cette vague de changements, le conseil d’administration a été renouvelé à 75%, se dotant d’un nouveau président et d’un nouveau comité exécutif. «Ça, c’est une occasion pour justement établir de nouvelles bases, ajoute Ariane Bélanger. Je pense qu’on a maintenant une proximité plus grande avec le conseil. On veut aussi mettre en place une culture de philanthropie. Et ça, ça implique toujours assez activement le conseil d’administration. Je travaille là-dessus.»


Cap sur le futur

Dès la fin de cette 54e édition, les deux dirigeantes entameront une démarche de planification stratégique triennale. Un exercice qui n’a pas eu lieu depuis longtemps. «C’est une opportunité, dit Ariane Bélanger. On va réfléchir ensemble: où est-ce qu’on peut se rendre dans un an, deux ans, trois ans? Comment on veut se rendre là? Quels moyens se donne-t-on? Il faut avoir une base.» 

Selon Protat, une meilleure structure permettra d’insuffler plus de liberté au festival. Car plus les assises sont solides, plus il est possible d’accueillir l’imprévu, croit-elle. «Même s’il y a des gens qui ont travaillé à le consolider puis à l’organiser, le festival a toujours eu tendance à être dans le flou. Sans lui couper les ailes ou scléroser les grandes envolées, on veut considérer quelque chose de solide.» 

Tout en gardant, néanmoins, un espace d’improvisation souhaitable dans cette industrie, ajoute-t-elle. «Souvent, les plus belles opportunités ne sont pas celles qu’on avait prévues. Elles viennent de rencontres particulières ou de propositions d’artistes qui parfois nous sollicitent directement, et qui amènent des choses fabuleuses.»

Beaucoup de réflexions et de projets sont ainsi sur la table. «On parle de temps, mais aussi d’énergie, d’argent, dit Bélanger. Je réfléchis: est-ce que je peux maximiser le lieu? Parce que six mois par année, il n’y a quasiment personne dans les bureaux, puis les autres six mois, on est tellement nombreux que ça déborde. Je me demande: est-ce que c’est le bon lieu? Est-ce que je peux mutualiser? Est-ce qu’on peut s’associer avec d’autres festivals, travailler en groupe, en synergie?» 

Par exemple, cette année, le FNC s’est associé au Réseau pour la paix et l’harmonie sociale afin de présenter le film Promis le ciel, d’Erige Sehiri. Ce sera une grande soirée, où la projection sera suivie d’une table ronde. 

«On veut avoir encore plus d’impact dans le milieu, dit Ariane Bélanger. Peut-être avec les mécènes qui ont déjà des fondations chacun de leur côté. Pour nous, c’est vraiment important, tout ce qui est professionnalisation, médiation. On a un public très jeune, d’ailleurs, des activités qui ciblent les étudiants, les jeunes professionnels, les étudiants en cinéma. Il y a encore des tas de choses qu’on peut développer sur le plan de la philanthropie pour justement venir appuyer ces beaux programmes.» 

Et d’un point de vue plus artistique, les jeunes sont aussi l’avenir du cinéma, note Zoé Protat. «C’est eux qui nous proposent leur premier film étudiant. Puis leur premier court-métrage. Pour nous, c’est non seulement une fierté, mais quelque part un devoir de les accompagner.» 

Car, finalement, «c’est eux, le nouveau cinéma!» lance-t-elle.


Cinq recommandations cinéma de Zoé Protat

Le rire et le couteau, de Pedro Pinho

«C’est un film portugais qui interroge le regard colonial. Sur la rencontre avec le territoire, avec la communauté queer aussi, avec l’amour sous toutes ses formes. C’est complètement envoutant. Un des plus beaux films de l’année.»

 

Blue Heron, de Sophy Romvari 

«Un film canadien qui m’a chavirée, sur une famille aux prises avec le fils ainé, qui a des problèmes de santé mentale. Ça pose des questions sur la façon de représenter une crise familiale avec tellement d’amour.»

100 Sunset, de Kunsang Kyirong

«Un super beau coming of age qui se passe dans la communauté tibétaine de Toronto. L’histoire d’une adolescente qui épie ses voisins et qui est cleptomane. Elle fait de petits larcins et filme les gens à leur insu.» 

Dracula, de Radu Jude

«L’un des plus grands cinéastes contemporains. LE penseur de notre monde contemporain. Il me fait mourir de rire. Dracula, c’est le plus gros délire de tous les temps.»

La voix de Hind Rajab, de Kaouther Ben Hania

«Un film important sur la façon dont le cinéma traite le présent. Sur la façon dont il est capable de capter l’Histoire qui s’écrit pendant que le film se fait. Ça, c’est un thème qui me fascine.» 


Céline Gobert est journaliste.

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