Denis Côté: le cinéaste affranchi
Le réalisateur de Curling et Répertoire des villes disparues revient de loin, et c’est précisément ce qu’il raconte dans son essai à paraitre dans «Nouveau Projet 28.» En voici un avant-gout.
Une histoire familiale multiculturelle, un réseau stimulant et des talents variés: la créativité du jeune comédien et auteur de Chevtchenko, prochaine pièce à paraitre chez Atelier 10, s’abreuve à de nombreuses sources et promet le meilleur pour l’avenir.
Guillaume Chapnick
Chevtchenko est ta première pièce à avoir été montée sur les planches. Le texte sera également publié (dans notre collection😊). Que retiens-tu de cette expérience?
Faire du théâtre, c’est magnifique et casse-cou. J’ai écrit Chevtchenko tranquillement, dans ma chambre, sans jamais croire qu’on monterait la pièce un jour, sans même savoir comment monter une pièce. J’ai contacté Sylvain Bélanger, mon ancien professeur à l’UQAM, mais surtout directeur artistique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, simplement pour avoir son avis sur le texte. Deux semaines plus tard, il m’annonçait qu’il m’offrait la possibilité de créer la pièce dans la salle Jean-Claude-Germain.
— On l’fait! j’ai répondu.
— T’es sûr? Prends le temps d’y penser.
— Oui! Let’s go! On l’fait! j’ai encore répondu.
— OK. Prends le temps d’y penser quand même. Si on l’fait, tu vas devoir commencer à travailler rapidement. Trouver ton équipe. Remplir tes demandes de subventions.
Comme il avait raison! Je suis devenu instantanément le producteur-auteur-comédien et la locomotive du projet. J’ai commencé à apprendre ce que c’était de diriger la création d’une pièce de théâtre. Je me trompais souvent, j’ai fait des erreurs, envoyé des courriels très mal écrits, mais j’ai appris énormément. Travailler aussi intensément, dans une intimité telle avec une douzaine d’artistes que j’admire, m’a permis de grandir en tant que créateur et membre d’une troupe. La création de Chevtchenko puis la publication du texte de la pièce sont des évènements qui ont bouleversé ma vie. J’en retiens qu’il faut être généreux, à l’écoute, bien s’entourer et être plein d’amour envers ses collègues. Bénéficiant de cette expérience, j’espère pouvoir engendrer des moments de création de plus en plus libres et harmonieux dans le futur.
Chevtchenko est une pièce très personnelle, inspirée en grande partie de ton vécu, qui aborde notamment la famille et la maladie. Est-ce que tu penses explorer à nouveau ces thématiques à l’avenir?
Comme artiste de théâtre, je crois qu’il faut révéler ses vulnérabilités et dévoiler ce qui nous est personnel au public. Généralement, ces offrandes d’intimité créent les spectacles les plus marquants. J’ai envie de parler de famille et de maladie de nouveau, mais autrement, en explorant des thèmes connexes. Alors que Chevtchenko représentait une famille bien classique, je crois que j’aimerais parler davantage de famille choisie, d’amitié, de bienveillance au sein d’un couple. Puisque j’ai été proche aidant, le concept du soin anime beaucoup mon écriture. J’ai envie de créer des personnages qui prennent soin de leur entourage, en affrontant leurs maux, leurs maladies.
Tu as commencé à écrire avant que ne débute le conflit armé en Ukraine. Et puis l’actualité, un peu malgré toi, a mis l’accent sur les origines ukrainiennes de la famille Chevtchenko. Est-ce que tu penses que l’écriture t’a néanmoins aidé à appréhender le conflit dans ton pays d’origine?
Je ne peux considérer, en toute sincérité, que l’Ukraine est mon pays d’origine. Je suis né et j’ai grandi à Montréal. Mon père était d’origine slave, mais avait plusieurs identités: Juif d’Europe de l’Est, Polonais, Ukrainien, Manitobain, Québécois. J’aurais pu m’inspirer de chacune d’entre elles pour créer. Je suppose que j’ai choisi l’Ukraine parce que, jeune déjà, il me récitait des poèmes de Taras Chevtchenko qu’il avait appris à l’école et ça m’avait énormément marqué. Je les traine avec moi depuis, et ils ont fini par aboutir dans la pièce. Je me souviens aussi, par la suite, de nuits blanches passées avec Alexander Peganov, qui joue Christophe dans la pièce, à lire des poèmes d’Arseni Tarkovski et de Chevtchenko, et à rêver de voir leurs paroles portées à la scène. C’est ce souffle poétique qui a bercé la création de cette pièce. Puis la guerre a débuté, en février 2022, et il est devenu impossible pour moi de ne pas en parler dans Chevtchenko. J’ai donc rajouté des passages, des répliques, beaucoup de non-dits, qui attestent subtilement de l’inévitable.
J’ai le sentiment d’être un comédien plus sensible depuis que j’écris, et un auteur plus vif puisque je joue.
Ce n’est pas exactement l’écriture de la pièce qui m’a aidé à appréhender la guerre, mais bien les rencontres qu’elle a engendrées. Ce sont les discussions que j’ai eues avec Gregory Hlady, monument du théâtre ukrainien qui joue le rôle de Stefan. Les livres qu’il m’a prêtés, les réflexions qu’il a suscitées chez moi, les gens auxquels il m’a présenté, le dialogue qui s’en est suivi. Si j’affirme que l’Ukraine n’est pas mon pays d’origine, c’est bien par respect.
J’ai rencontré une artiste ukrainienne à la suite d’une des représentations au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, en mars dernier. Elle m’a demandé pourquoi les enfants dans la pièce ne parlaient pas plus ukrainien. Je lui ai répondu que je ne parlais pas bien ukrainien. Elle voulait savoir pourquoi. Je lui ai dit que mon père parlait ukrainien, grâce aux origines de sa mère, mais que je ne l’avais jamais appris. «Vous avez un très petit pourcentage d’ukrainien, m’a-t-elle dit, mais c’est votre meilleur pourcentage.»
La famille du côté de ton père réside à Winnipeg—où vit l’une des plus grandes communautés est-européennes au Canada—, où tu as passé beaucoup de temps toi-même. As-tu, ou auras-tu à l’avenir, l’occasion d’y présenter ta pièce? Quels sont tes liens avec la communauté franco-manitobaine?
Mes grands-parents, les parents de mon père, sont d’origine polonaise et ukrainienne.
Comme beaucoup de familles d’Europe de l’Est, ils ont immigré au Manitoba au début du 20e siècle. Mon père a seulement appris le français à la fin de sa vingtaine, quand il a déménagé au Québec. Je suis né à Montréal, mais grâce à lui, j’ai pu découvrir le Manitoba et sa francophonie. Pouvoir parler français quand je me trouve dans les Prairies m’émeut énormément, me fait me sentir infiniment chez moi. Je ressens un lien fort avec n’importe quelle communauté francophone au Canada, mais surtout avec celle du Manitoba, car ce sont des gens que j’ai rencontrés.
Quand je suis à Winnipeg, je traverse toujours le pont Provencher à pied comme Gabrielle Roy dans La détresse et l’enchantement, pour me rendre dans Saint-Boniface. Un jour, j’aimerais me promener dans la province et voir les autres villes francophones, comme Sainte-Rose-du-Lac, où je n’ai pas encore eu la chance d’aller. En tant qu’artiste de théâtre francophone, je rêve depuis mes débuts de collaborer avec des artistes du Manitoba. Si j’ai cette chance un jour, je dédierai indéniablement cette pièce à mon père.
Tu es sorti de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM avec un profil jeu, mais tu t’es rapidement lancé dans l’écriture. Que t’apportent ces deux postures créatives? Y en a-t-il une que tu souhaites explorer plus que l’autre?
Je suis reconnaissant du parcours que j’ai eu à l’école de théâtre. Je suis tombé sur des professeur·e·s qui nous ont fortement poussé·e·s à écrire, à créer nos propres scènes, à nous exprimer en tant qu’interprètes. Je garde de ravissants souvenirs de mes cours avec Michel-Maxime Legault et Christian Lapointe, où nous avions une immense liberté de créer, d’écrire et de jouer. J’ai aussi eu la chance de faire partie d’une cohorte d’interprètes pour qui l’écriture était une pratique active. Je pense notamment à Kathleen Laurin-Mc Carthy, Virginie Daigle, Eric Vega, Brice Gouguet. Être entouré de collègues talentueux·euses m’a beaucoup motivé à m’accomplir en tant qu’auteur. J’écris depuis que je suis jeune—des bandes dessinées, des poèmes, des nouvelles—, mais c’est en étudiant pour devenir comédien que je me suis finalement affirmé comme écrivain. Ces pratiques se sont liées, se nourrissant entre elles. J’ai le sentiment d’être un comédien plus sensible depuis que j’écris, et un auteur plus vif puisque je joue. Dernièrement, il me vient plus souvent des envies d’écriture. De la poésie, du théâtre, de la fiction. Je commence bientôt une résidence d’écriture dramatique au sein du Théâtre La Licorne, je tiens à profiter des mois à venir pour écrire continuellement.
Passionné de spectacle vivant, de poésie et de cinéma, Guillaume Chapnick est diplômé de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, profil jeu, depuis 2021. Il poursuit depuis son exploration dans les domaines de la danse et de l’écriture. Chevtchenko, sa première pièce, a été récompensée par le Fonds de dotation Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Chevtchenko est le 39e titre de notre collection Pièces.
Le lancement aura lieu à la boutique Atelier 10 le jeudi 5 septembre dès 17h30. (Détails ici.)
Extrait
Chevtchenko
Antoine
(À Stefan) J’suis venu en train, P’pa!
Christophe
(À Antoine) C’est beau, y est pas cave. Il sait comment t’es venu icitte.
Gabriel
Moi j’le savais pas, en tout cas! J’pense que j’ai jamais pris le train de ma vie.
Antoine
Ben oui, pour le mariage de Jeanne.
Gabriel
Jeanne? C’est qui, ça?
Antoine
Ben Jeanne, câlisse.
Gabriel
Hein?
Antoine
Jeanne Chevtchenko, câlisse!
Christophe
Jeanne! Notre cousine Jeanne, osti!
Stefan
Le mariage de Jeanne…
Antoine
J’pense pas que tu t’en rappelles, Gab. T’étais trop jeune.
Gabriel
C’est qui Jeanne, tabarnak?
Stefan
Moi, je m’en rappelle.
Antoine
C’est vrai?
Stefan
Oui… C’est le mariage de ma nièce. Très beau mariage.
Antoine
Oui, c’est vrai, hein? C’était vraiment un beau spot où y avaient fait ça.
Stefan
Oui, vraiment. Mais... t’étais là?
Antoine
Moi?
Stefan
Je me rappelle pas de toi là-bas… que t’étais là.
Antoine
Ben oui! C’est sûr que j’étais là.
Stefan
Que… Pourquoi?
Antoine
Pourquoi quoi?
Stefan
Qu’est-ce que tu faisais là?
Antoine
Où ça?
Stefan
Au mariage de ma nièce…
Antoine
Qu’est-ce que je faisais là?
Stefan
Oui…?
Antoine
Ben… Jeanne, c’est ma cousine! C’est clair que j’allais être là à son mariage, P’pa.
Stefan
Non.
Antoine
Quoi?
Stefan
Non. C’est pas ta cousine?
Antoine
Ben oui!
Stefan
J’pense pas...
Antoine
Oui… La mère de Jeanne, c’est ma tante. Jeanne, c’est ma cousine…
Stefan
Pour vrai?
Antoine
Oui…
Stefan
Si Jeanne, c’est ma nièce… et toi… c’est ta cousine… ça veut dire quoi?
Antoine
Ben que j’suis ton fils!
Stefan
Mon fils?
Antoine
Oui, P’pa.
Stefan
Toi?
Antoine
Oui.
Stefan
Non, tu l’es pas…
Antoine
Oui, P’pa. J’suis ton fils. Antoine...
Stefan
Antoine...
Antoine
Oui. Antoine. C’est moi, ça.
Stefan
T’es mon fils?
Antoine
Oui!
Stefan
WOW! T’es mon fils!
Antoine
Oui! C’est moi!
Stefan
WOW!!! Mais c’est super!
Antoine
T’es content que j’sois ton fils?
Stefan
Vraiment content!
Christophe
(À Stefan) Tu pensais que c’était qui, P’pa?
Stefan
Je sais pas! J’étais pas certain, mais là je le sais! Eille, mon fils! Wow!
Antoine
(À Stefan) Tu pensais que j’étais juste un gars de même?
Stefan
Ben oui! Juste un gars de même! Un gars drôle!
Gabriel
Eille, P’pa! Nous autres aussi, on est tes fils! T’en as pas juste un! T’en as trois!
Stefan
Trois fils! WOW !
Rires et pleurs.
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