Humoriste abasourdie

Virginie Fortin
Photo: Éric Myre
Publié le :
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Humoriste abasourdie

Quels mots utiliser pour décrire le travail de Virginie Fortin? Dans cet extrait de Mes sentiments, le 2e titre de notre collection Humour, la principale intéressée se prête à un étonnant exercice d’introspection.

Mes sentiments

Virginie Fortin

C’est vrai que parfois les gens disent que je fais de l’humour intelligent. Le compliment d’humour intelligent, je l’accepte, je l’aime, même si je sais que ce que ça veut réellement dire, c’est: «C’est moins drôle, mais c’pas grave!»

Mais parfois, on dit de moi que je fais de l’humour engagé et ça, je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas engagée, non.

Moi, je pense que je fais de l’humour d’observation.

Bon, je sais que mes jokes d’observation sonnent plus comme: «Savez-vous c’est quoi la différence entre les hommes et les femmes? Il n’y en a pas, puisque les deux vivent dans un système capitaliste qui empêche toute forme d’égalité.»

Ça sonne engagé, mais c’est toute une observation pareil.

Je ne pense pas que je suis une humoriste engagée.

Être réellement engagée, je ne serais pas en train de faire des spectacles qui nourrissent à la fois mon égo et mon rêve d’avoir les moyens financiers pour rénover ma cuisine.

Être une humoriste réellement engagée, je serais présentement attachée à une plateforme de forage en train de gueuler: «SAVEZ-VOUS C’EST QUOI LA DIFFÉRENCE ENTRE LES BALEINES ET MON GRAND-PÈRE? IL N’Y EN A PAS, LES DEUX SE MEURENT!1Je sentais parfois un malaise parmi les rires dans la salle, alors je tiens à vous rassurer: mes deux grands-pères sont morts depuis longtemps. (Comme les baleines, ben vite, si on ne change pas nos habitudes de vie.)»

J’ai l’impression que les vrais humoristes engagés sont porteurs d’un message. Ils veulent changer les choses, ils ont espoir d’un monde meilleur.

Moi, personnellement, j’ai pu vraiment espoir, j’ai un peu abandonné—je reste juste pour voir comment ça va péter, cette histoire-là.

Mais je ne suis pas non plus complètement désengagée.

Je suis pessimiste, mais motivée.

J’fais du compost, je recycle, je ne voyage pas en fusée… Les p’tits gestes qui comptent.

Je crois que c’est trop facile de se faire donner l’étiquette «engagée». On l’octroie à quiconque tient un discours qui fait un tant soit peu de sens dans les médias. Non mais, Bianca Gervais est allée pas maquillée à Bonsoir bonsoir!, pis ça a été qualifié de geste militant. C’était tellement révolutionnaire que l’entrevue a porté là-dessus2À l’origine je faisais la blague sur moi, en disant que si un jour je me présentais sans maquillage à Tout le monde en parle, ce serait le sujet de l’entrevue. Et comme de fait, j’avais vu juste et Bianca Gervais m’a offert la situation réelle sur un plateau d’argent.

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Pis malheureusement, c’est vrai encore aujourd’hui que refuser le maquillage sur un plateau de télé, pour une femme, ça devient un geste engagé.

Mais je me dis: «Ouf, ça en prend pas gros pour être considérée comme militante. J’pas rasée de nulle part en ce moment, je dois donc être considérée comme la dirigeante d’une cellule féministe radicale. MA SACOCHE EST UNE BOMBE.»

Mais c’est vrai que c’est un peu insultant pour les femmes. On doit arriver une heure et demie avant un tournage pour se faire maquiller. Dans le fond, ce qu’on me dit, c’est: «Virginie, toi, pour être présentable à la télé, ça va prendre une heure et demie.»

Et Paul Houde, lui, ça va prendre huit minutes3J’avais écrit ça bien avant le décès de Paul Houde. En Europe, je dis Garou. Avoir joué le spectacle au Québec après le décès de Paul, j’aurais sans doute changé pour Garou aussi. Repose en paix, Paul..

C’est dur de pas le prendre personnel.

Les attentes envers Paul, c’est qu’il ne luise pas.

Je rêve d’un jour où je pourrai aller à Bonsoir bonsoir! pas maquillée, pis être assise à côté de Paul Houde qui a un smokey eye du tonnerre, un contouring de rêve et un parfait gloss, parce que ça y tentait de shine bright like a diamond.

Pis ce n’est pas le sujet de son entrevue. Le sujet de son entrevue, c’est des statistiques surprenantes et la fois en 1978 où un sportif a fait une affaire que tout le monde s’en torche sauf Paul.

Ça ne devrait pas être un geste militant pour une femme de ne pas se maquiller. Les seules personnes pour qui c’est militant de pas se maquiller, c’est les clowns en grève.

J’y ai pensé longtemps pis c’est le seul exemple. «Nous réclamons de plus petites chaussures.»

Là, je suis consciente que ça a l’air engagé, l’humour que je viens de faire.

Y a une prise de position. J’ai un ton revendicateur. Vous avez pas tant ri. Toutes des caractéristiques de l’humour engagé.

Mais je ne suis pas une humoriste engagée. Je pense juste que je suis une humoriste abasourdie.

Je ne veux pas changer le monde, je suis juste surprise qu’on en soit rendu là.

Pis j’en parle parce que je trouve que c’est surprenant. Y a pu d’abeilles, mais y a full de Costco!

C’est curieux. C’est bizarre. J’suis juste abasourdie.

Pis je pense que la plupart des humoristes, c’est ça, leur sentiment de base. Ils sont abasourdis. Ils vous parlent de choses qui les abasourdissent pis ils font des jokes avec ça.

Parce que souvent c’est ça, le sous-texte, c’est comme: «BEN VOYONS DONC!»

Les humoristes parlent des choses qui leur font faire «ben voyons!», pis le monde au show en entendant ça font comme «Ben oui, c’est vrai, ben voyons!», pis là tout le monde rit parce qu’on se dit «ben voyons!».

Après, on n’est pas tous abasourdis par la même chose. Y a des humoristes qui sont abasourdis par le fait que leur mère est donc ben conne, elle ne sait pas utiliser un iPhone.

Moi, c’est pas ça qui m’abasourdit. Ce qui m’abasourdit, c’est qu’il y a un continent de plastique pis qu’on n’a pas encore construit de tout-inclus dessus. BEN VOYONS!

Y a pas d’humour engagé ou pas engagé, y a juste de l’humour abasourdi.

Y a quand même quelques différences dans l’approche, là.

Un humoriste dit engagé va commencer une blague en disant: «J’ai lu une étude qui disait que les pandas en captivité ne se reproduisent plus.» Ça, c’est la prémisse d’un humoriste engagé.

Un humoriste pas engagé va commencer la même blague en disant: «C’tu juste moi ou les pandas au zoo, ça bande mou?»

Même idée, vocabulaire différent.

C’est juste qu’il y a un vocabulaire qui vend un p’tit peu plus de billets. Et j’ai lu une étude qui dit que ce n’est pas mon vocabulaire.

Anyway, moi, mon but dans la vie, ce n’est pas de vendre plus de billets. C’est de savoir pourquoi on vit, pourquoi c’est pas juste tout noir. Ouais, je sais, vous pensiez qu’on était passé à autre chose, mais moi, j’ai pensé à ça tout le long du show.

Mon Dieu, j’existe devant du monde qui existe, pourquoi on existe?


Humoriste, comédienne et improvisatrice, Virginie Fortin tente d’ajouter le titre d’autrice à sa biographie en publiant ici son deuxième spectacle solo.


Pour aller plus loin

Mes sentiments est le 2e titre de notre collection Humour. 

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