Denis Côté: le cinéaste affranchi
Le réalisateur de Curling et Répertoire des villes disparues revient de loin, et c’est précisément ce qu’il raconte dans son essai à paraitre dans «Nouveau Projet 28.» En voici un avant-gout.
À l’école on apprend à lire, à écrire, à compter et aussi à vivre en société. Mais les parents d’élèves ont aussi leur bout de chemin à faire, notamment en choisissant l’établissement scolaire de leur progéniture.
Voici un extrait de Nos enfants auront le dernier mot, le premier titre de notre collection Le temps debout.
«Nos petites bêtes d’égoïsme.» C’est dans ces mots que David Robichaud et moi avons parlé de nos enfants, avec beaucoup de tendresse. Ce professeur de philosophie à l’Université d’Ottawa et coauteur de La juste part (Atelier 10, 2012), un court essai sur la nécessité de repenser la distribution de la richesse, a accepté de réfléchir avec moi à l’importance de défendre le bien commun auprès de nos enfants.
Oui, nos petites bêtes sont égoïstes par nature. L’apprentissage du partage, même au sein d’une fratrie, se fait rarement par magie. Vouloir tout, tout de suite, et tant pis pour les autres!
«Il y a toujours une opposition entre ce qui est mieux collectivement et individuellement, me dit David. Le transport est un bon exemple: on le sait que ça serait mieux que tout le monde prenne les transports en commun ou son vélo. Mais si tout le monde le fait, toi, personnellement, t’es aussi bien de prendre ta voiture. Parce qu’il n’y aura personne sur les routes! Même chose dans la cour d’écol: si tu joues avec les bâtons de hockey ou les ballons de soccer, mais qu’une fois que tu as fini d’en profiter, tu t’en fous et les laisses trainer, il y a des chances que ça soit scrap à cause de la pluie ou que ça se fasse voler. Tu ne ferais pas ça si c’était à toi, mais comme c’est un bien collectif, bof. Si tout le monde adopte de bons comportements, toi aussi tu en bénéficies. Mais il y a tout le temps cette maudite option fatigante qui est que si tout le monde le fait, sauf toi, alors t’as le beurre et l’argent du beurre...»
Tellement avantageux (et tentant!) de faire passer son propre plaisir et son impatience avant ceux des autres.
Mais on peut aussi se demander si certaines de nos attitudes de parents n’y sont pas un peu pour quelque chose, malgré nos beaux discours. Dans le monde de la parentalité moderne, où chaque enfant est le plus beau ou le plus extraordinaire, et a le droit de tout faire pour conquérir le monde, est-ce qu’on ne s’éloigne pas d’une certaine humilité nécessaire à la poursuite du bien commun?
«Eh oui, me concède David, on essaie d’en faire des esprits libres, indépendants, mais est-ce qu’on perd quelque chose par la bande ?»
Ce «quelque chose» que l’on perd, j’ai l’impression qu’il se ressent au-delà de la cour d’école. Ce qui finit aussi par s’éroder, n’est-ce pas la quête du bien commun, entendu dans son sens plus large: celui de mettre l’épaule à la roue pour l’égalité de tou·te·s dans nos sociétés?
Je me suis tournée vers la journaliste et animatrice Annie Desrochers, aussi mère de cinq enfants, pour avoir un autre son de cloche. Annie et moi avons fréquenté, comme beaucoup de mères que je connais, des groupes virtuels de parents. Si ces communautés m’ont été utiles à différents moments de ma maternité, surtout durant la petite enfance, je me demande à quel point elles participent à notre obsession parentale pour «le meilleur pour nos enfants». Que nous reste-t-il finalement de ces échanges une fois que les enfants vieillissent et qu’il faut aussi penser à leur citoyenneté, à leur place dans le monde?
Ce que je nomme «obsession pour le meilleur», Annie le décrit comme de la «consommation individuelle parentale».
«Toi, comme parent, tu peux acheter un mieux pour ton enfant. Mais on est à côté de la plaque. À quoi ça te sert de le tirer vers le haut dans une société qui tire tout le monde vers le bas? Le mieux qu’on aurait à faire, collectivement, c’est d’avoir des meilleures écoles, parce que ça, c’est quelque chose qui tire tout le monde vers le haut. Car tu peux discuter de racisme ou de sexisme au sein d’une famille, mais il faut que l’école permette à d’autres enfants d’être choyés et privilégiés. L’éducation, l’alphabétisation, c’est ça qui te permet d’avancer comme société.»
Dans le monde de la parentalité moderne, où chaque enfant est le plus beau ou le plus extraordinaire, et a le droit de tout faire pour conquérir le monde, est-ce qu’on ne s’éloigne pas d’une certaine humilité nécessaire à la poursuite du bien commun?
En l’écoutant, j’ai repensé à une idée particulièrement... radicale que j’avais lue dernièrement, sur un sujet à première vue tout à fait différent. La sociologue et autrice Margaret Hagerman avançait que pour combattre le racisme dès le nid familial, les parents blancs devaient être capables de renoncer à privilégier le bienêtre de leurs propres enfants pour viser celui du plus grand nombre. Elle pointait du doigt certaines incohérences entre le discours qu’adoptent des personnes bien intentionnées et ce qu’elles font concrètement: choisir d’envoyer son enfant dans une école privée, par exemple, ce qui encourage un système éducatif à deux vitesses qui nuit généralement aux populations racisées; vouloir l’exposer à une diversité culturelle, mais emménager dans un quartier entièrement blanc, etc.
Ces idées sont merveilleuses en théorie. Et je vois mal comment offrir un monde décent aux plus jeunes sans les mettre en pratique concrètement. Mais comment (peut-on, même?) concilier ce désir du bien commun avec les injonctions de la parentalité moderne qui nous martèle qu’il faut donner le meilleur, tout le temps, à notre progéniture ? C’est dans nos tripes de vouloir que nos fils et nos filles ne manquent de rien, qu’ils et elles aient les meilleures cartes en main.
Des solutions existent déjà, et elles ne peuvent pas venir uniquement de nos décisions individuelles: des quotas d’embauche pour favoriser la discrimination positive, par exemple, ou des politiques urbaines qui misent sur une nécessaire mixité sociale sont certainement parmi les meilleures armes que nous ayons pour nous diriger ensemble dans la bonne direction.
Ces initiatives qui viennent d’en haut ne se concrétiseront pas sans l’adhésion de la majorité la plus visible, qui doit faire le choix conscient de renoncer par la bande à certains acquis. Je lance la question: pour le bien commun, sommes-nous prêt·e·s à renoncer à nos privilèges lorsqu’il s’agit de nos enfants?
Sarah Poulin-Chartrand nourrit une curiosité insatiable pour les défis de l’enfance et de la parentalité. Après avoir écrit sur le sujet comme journaliste pendant dix ans, elle chemine désormais auprès des familles en tant que travailleuse sociale. Entretemps, elle a mis au monde trois enfants pour pouvoir étudier ces curieuses créatures de plus près.
Pour aller plus loin
Nos enfants auront le dernier mot est le 1er titre paru dans la collection Le temps debout.
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