Le petit théâtre qui en jette

Philippe Couture
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Commentaire

Le petit théâtre qui en jette

Grâce à lui, des artistes éclosent bruyamment et des esthétiques se réinventent puissamment. Le Théâtre La Chapelle, jadis marginal et peu considéré, semble être devenu le lieu de tous les possibles au sein d’un milieu théâtral montréalais trop souvent frileux. Que s’est-il donc passé, rue Saint-Dominique?

Considéré dans ce texte

Le Théâtre La Chapelle et le flair de Jack Udashkin. Le déficit. L’audace et l’élégance. La relève. La contemporanéité et l’inter-disciplinarité.

Au Québec, tous les théâtres en arrachent. De plus en plus. Mal subventionnés, ils se cantonnent dans une posture prudente. Pas trop d’avant-garde, pas trop de visages inconnus sur les affiches: il ne faut pas effrayer le public (vieillissant) et risquer le déficit. Les théâtres établis ne peuvent tout simplement pas se permettre d’erreur, car chaque échec commercial cause un trou béant dans le budget annuel et affecte toutes les autres productions.

Or, à La Chapelle, depuis l’arrivée de Jack Udashkin à la direction artistique, finie la disette. La petite salle se remplit de spectateurs, les propositions artistiques rivalisent de pertinence et s’ancrent dans une véritable volonté d’avant-garde, les artistes étrangers y sont accueillis à bras ouverts, et les journalistes n’en finissent plus d’inventer des superlatifs à son sujet.

Je fais partie du lot. Au moment d’écrire ces lignes, je viens de recevoir la brochure de la saison 2013-2014, et mon ébahissement est complet. Au menu: la première création de Bruno Dufort, jeune homme dont le travail fort prometteur n’a été vu que par une poignée de personnes à l’école de théâtre et qui, sans le flair de ce bon Jack, aurait mis du temps avant d’être remarqué par un théâtre institutionnel. Dufort s’épargne ainsi quelques années de travail dans l’ombre et permet à tous (du moins à tous les assidus de ce théâtre) de découvrir un artiste qui aurait autrement été confiné à la confidentialité.

Mais la recette de La Chapelle repose sur un amalgame plus complexe que la simple découverte de nouveaux visages. Se bousculent ainsi dans sa programmation les plus intelligents artistes en vogue, comme le duo danse/théâtre formé par Frédérick Gravel et Étienne Lepage, et des étrangers comme le Flamand Jan Fabre, une vedette incontestée de la mise en scène européenne. Toujours, Jack Udashkin choisit les démarches les plus signifiantes. Il se trompe rarement, même s’il croit à la pertinence de présenter de temps à autre des œuvres inachevées.

La Chapelle, à vrai dire, peut se comparer avantageusement à d’autres petits lieux d’avant-garde et d’expérimentation cultivant une image d’élégance et de sérieux, tels que The Kitchen à New York ou La Ménagerie de Verre à Paris. Montréal, coincée entre les frileux théâtres institutionnels et certaines petites salles toujours menacées de s’éteindre, avait grandement besoin d’un théâtre occupant cette niche.

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Petite histoire d'une reconstruction

Rien ne laissait pourtant présager, il y a quelques années, que La Chapelle deviendrait ce lieu d’ébullition tant attendu des Montréalais.

En 2007, 17 ans après sa fondation, le Théâtre La Chapelle se mourait. Dirigé passionnément depuis les débuts par Richard Simas, le petit théâtre de la rue Saint-Dominique était alors plongé dans une crise financière qui ne laissait que peu d’espoir pour son avenir. Lieu reconnu mais peu fréquenté, La Chapelle faisait le maximum possible avec un très mince budget annuel de 350 000$ et des subventions inchangées depuis près d’une décennie. Dans ce contexte, la marge de manœuvre était très limitée. L’argent manquait pour soutenir les artistes, pour engager un responsable des communications, assurer une promotion efficace et pour renouveler un équipement désuet. Le climat était morose, et les artistes se produisaient régulièrement dans des salles presque vides. Rien à faire, malgré la qualité de certaines propositions artistiques: le lieu demeurait confiné à la marge et limité à quelques habitués.

Puis, tornade. Jack Udashkin—producteur venant du milieu de la danse et ayant cumulé de nombreuses expériences de directorat général ou artistique dans des lieux phares de la création contemporaine (notamment à l’Usine C, à la Tohu, au programme de danse du Centre national des Arts, à Ottawa)—succéda à Richard Simas et se vit confier la mission de faire renaitre ce petit théâtre d’une centaine de places. Il s’est adjoint les services du metteur en scène Jérémie Niel et, ensemble, ils ont fait ce que jamais leur prédécesseur n’aura osé: le déficit. La stratégie d’Udashkin fut toute simple, mais très mal perçue par le milieu culturel québécois: dépenser de l’argent qu’on ne possède pas, pendant quelques années, pour rehausser la qualité générale du lieu et de la programmation, et attirer ainsi de nouveaux spectateurs. Selon un scénario idéal, ces améliorations rendront peu à peu les opérations plus rentables et achèveront de convaincre les organismes subventionneurs de faire preuve de plus de générosité. Udashkin a également réussi mieux que les autres à lever des fonds dans le secteur privé, même si le mécénat n’est pas très répandu à Montréal, et ce, sans faire de compromis artistiques.

Quelques chiffres, obtenus auprès du principal intéressé, sauront convaincre les sceptiques de la validité de la démarche. La Chapelle a dépensé, à sa première année de renouveau, une somme atteignant 80 000$ de plus que ce que lui permettaient ses revenus. La deuxième année, le déficit a été de 40 000$. Mais, fort de son nouveau dynamisme, le diffuseur a fait le plein de nouvelles sources de revenus en obtenant une aide financière de la Conférence régionale des élus (cré), ainsi que divers revenus privés et une contribution du Cirque du Soleil pour organiser un programme de résidences de création. Les revenus de la billetterie ont triplé, les abonnements se sont multipliés par cinq et, ce faisant, La Chapelle a permis aux artistes se produisant en ses murs de tirer à l’occasion un cachet sur les entrées (rappelons au passage qu’il s’agit d’un diffuseur, non d’un producteur, et qu’il n’a pas le mandat de soutenir financièrement les artistes accueillis ni de les coproduire). Le taux de remplissage de la salle est passé de 15 à 45%, puis à 66% (sans compter les billets de faveur), et davantage encore l’année suivante. Le succès devrait maintenant assurer à Udashkin et ses troupes une augmentation des subventions du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec. La Chapelle est plus en santé que jamais.

Une affaire d'image

Le théâtre, traditionnellement perçu comme une forme d’art plus libre et plus contestataire que le cinéma, en raison de son caractère éphémère et unique (ou non reproductible), échappe de moins en moins aux lois du marché dans un contexte culturel foisonnant où l’offre excède largement la demande. Ces dernières années, la plupart des compagnies théâtrales ont réagi à cette situation en adoptant un markéting plus énergique et se sont mises à considérer davantage le spectateur comme un client à satisfaire, répondant ainsi aux dictats de la publicité telle qu’elle se déploie dans le secteur privé. Certains artistes craignent, à tort ou à raison, que cette attitude de soumission au spectateur-client finisse par avoir une incidence directe sur le contexte de création et enferme les artistes dans des formes d’art plus consensuelles, destinées à plaire et à divertir plutôt qu’à faire réfléchir. Il y aura toujours des électrons libres, bien sûr, mais une frange importante de la communauté artistique, celle qui tient à œuvrer dans les institutions et à toucher un public large, pourrait devoir se soumettre, contre son gré, aux sirènes du théâtre commercial. Or, on a beau craindre cette contamination de la création artistique par le markéting, il faut admettre que le succès récent de La Chapelle est partiellement dû à la force de sa mise en marché.

Les campagnes promotionnelles récentes et l’image de marque du théâtre ont une réelle force de frappe: design épuré, photographies accrocheuses, accent sur l’interdisciplinarité des productions, sur la contemporanéité du lieu et des artistes qui s’y produisent. Plutôt que de miser sur les visages connus de sa programmation (il y en a peu, mais il y en a tout de même) ou sur les éléments que les médias de masse associent aux gouts du «grand public», La Chapelle réussit à donner une image branchée et agréable à sa marginalité, la débarrassant de l’étiquette de théâtre underground, de théâtre pauvre, de création brouillonne et de relève inexpérimentée qui lui était jadis accolée.

Le théâtre de la rue Saint-Dominique est aujourd’hui associé à l’avant-garde, à l’audace et parfois même à l’irrévérence, mais il demeure toujours inspirant. À vrai dire, le markéting y est au service de la vision artistique d’Udashkin et parvient à transmettre le profond gout de liberté et de révolte qui anime ce petit théâtre indiscipliné. Il n’y a pas plus joli paradoxe: malgré des pièces radicales et complexes qui pourraient faire fuir les spectateurs, le public de La Chapelle ne cesse d’augmenter.

Une relève qui a fait ses preuves

C’est inscrit dans l’adn du lieu: la programmation du Théâtre La Chapelle a toujours mis à l’avant de la scène les artistes de la relève et les nouveaux visages. Mais avec Udashkin aux commandes du navire, il n’est pas question de dériver en laissant la place à n’importe quelle relève. Celle qu’il invite à bord a généralement fait ses preuves. Les noms de ces jeunes artistes ne nous disaient rien il y a quelques années, mais le directeur artistique les a choisis au moment où leurs ailes étaient prêtes à se déployer, après qu’ils ont tâté la scène dans un relatif anonymat tout en ayant attiré sur eux le respect des professionnels. Il a du flair.

C’est ainsi qu’Emmanuel Schwartz, dont la carrière de comédien était effervescente, mais dont les qualités d’auteur et de metteur en scène restaient méconnues, a présenté à La Chapelle sa première mise en scène en octobre 2009. Si son travail textuel et scénique n’est pas sans maladresses, tous lui ont reconnu une griffe unique.

En faisant de Jérémie Niel son adjoint pendant les premières années, Udashkin reconnaissait aussi la rigueur de ce metteur en scène et la pertinence de son travail. Le festival TransAmériques l’avait d’ailleurs salué en présentant, en primeur, sa plus récente pièce, Cendres, en 2010. Même chose pour Marc Beaupré, dont l’adaptation de Caligula d’Albert Camus, intitulée Caligula (Remix), s’est démarquée au cours de la saison 2009-2010 par un riche travail sonore et choral qui faisait éclater le texte en de multiples réseaux de signification. Notons que Beaupré y avait présenté en 2008 sa première mise en scène, Le silence de la mer, et que La Chapelle a aussi accueilli son spectacle Dom Juan_uncensored. On pourrait également mentionner la metteure en scène Nini Bélanger qui, avec les spectacles Endormi(e) et Beauté, chaleur et mort, a révélé une esthétique contemplative et minutieuse, un véritable travail d’orfèvre.

En danse, Jack Udashkin n’a pas perdu de temps pour repêcher la jeune Virginie Brunelle, déjà repérée par le désormais chorégraphe-vedette Dave St-Pierre. Elle a créé dans les murs de La Chapelle les spectacles Foutrement et Complexe des genres, explorations charnelles et brutales des thèmes du désir, du triangle amoureux et de l’ambigüité sexuelle à travers les relations de couple.

Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres.

Les mutations de l'interdisciplinarité

L’interdisciplinarité n’est pas une chose nouvelle et elle se manifeste dans différentes acceptions sur la scène occidentale depuis maintenant près de 60 ans. La danse-théâtre, le théâtre de l’image, le théâtre performatif et les spectacles empruntant des procédés à l’art vidéographique, au concert, à l’échantillonnage sonore ou au cinéma ne sont plus exactement considérés comme des formes avant-gardistes et se présentent souvent aujourd’hui sous des aspects éculés. Affirmer son parti pris pour l’interdisciplinarité n’est plus un gage d’audace. Au contraire, c’est presque banal et les formes inter-artistiques, trop souvent imitées (pas toujours avec talent, d’ailleurs), sont montrées à tort comme le nec plus ultra de la création contemporaine.

Or, La Chapelle ne se contente pas de diffuser des compagnies qui ressassent ces esthétiques surannées. Les formes scéniques interartistiques sont soumises à de constantes remises en question dans ce petit théâtre. Danse-théâtre, théâtre sonore et théâtre de marionnettes sont autant de disciplines qui peuvent s’y rencontrer, mais les artistes sélectionnés par le directeur artistique ont généralement le souci de les réinventer. Il n’est pas exagéré d’affirmer que La Chapelle rivalise de plus en plus avec l’Usine C sur ce terrain. À sa manière, en favorisant des formes plus modestes et des compagnies à plus petit budget, Jack Udashkin est un solide découvreur d’artistes à la croisée des différentes formes scéniques. Il semble d’ailleurs être le seul directeur artistique montréalais à s’intéresser autant au théâtre dit «performatif», ce qui est digne d’être mentionné.

Le Théâtre La Chapelle en bref

Année de création: 1990 

Fondateur: Richard Simas

Direction artistique: Jack Udashkin 

Nombre de places: une centaine

L’interdisciplinarité, à La Chapelle, rime aussi souvent avec interculturalisme. Sans en faire une règle absolue, Udashkin s’attarde à tisser des ponts entre les cultures anglophone et francophone de Montréal, mais il a aussi invité des artistes d’origine africaine, notamment la Torontoise D’bi. Young, avec le solo Benu. Plus récemment, l’artiste québécois d’origine iranienne Mani Soleymanlou a trouvé dans les murs de La Chapelle le lieu d’accueil idéal pour son spectacle Un, dans lequel il lance une prise de parole engagée sur ses origines métissées et sur sa quête de sens dans un Québec qui n’a pas toujours bien su l’intégrer.

Surtout, à La Chapelle se développent des esthétiques, des manières de travailler, des collaborations fertiles qui, si je puis risquer une prédiction, vont bientôt refaçonner complètement la dynamique théâtrale montréalaise. Une communauté d’artistes s’y rencontre: Udashkin semble aussi vouloir rester fidèle à certains artistes qui lui sont chers et qui ont une certaine parenté (Jérémie Niel, Marc Beaupré, Emmanuel Schwartz, Virginie Brunelle, Frédérick Gravel, Christian Lapointe et Nini Bélanger, entre autres).


Un volet international inespéré

Inutile de répéter ici à quel point la scène montréalaise, à l’image du reste de la société, souffre de son repli sur soi et du nombre infime de productions étrangères qui se rendent jusqu’à elle. Cette réalité est sur le point de changer, notamment grâce aux efforts récents du Théâtre du Nouveau Monde, de l’Espace Libre et de l’Espace go, mais surtout grâce à ceux du Théâtre La Chapelle, qui accueille, depuis 2008, plusieurs spectacles européens par année. Ainsi s’est développée entre la transsexuelle belge Vanessa Van Durme et le public montréalais une relation toute privilégiée: elle est venue à deux reprises présenter son solo Regarde maman, je danse. Jack Udashkin met parfois le cap sur la France et y déniche, par exemple, des œuvres atypiques signées Jean Boillot ou Gisèle Vienne. Ces deux artistes se tracent un chemin enviable sur la scène contemporaine française en remettant en jeu la théâtralité par des emprunts à d’autres traditions spectaculaires: le concert et les expériences sonores pour Boillot, la ventriloquie pour Vienne. Mais leur travail n’est pas de taille à concurrencer celui des stars européennes que le fta et l’Usine C nous proposent généralement. Udashkin occupe donc à Montréal un créneau international que personne d’autre n’a eu l’audace de diffuser. Qu’il en soit remercié. Personne ne doute de l’effet bénéfique de ces rencontres avec l’inconnu—elles sont nourrissantes pour le public comme pour les artistes.

Il reste encore beaucoup à faire, toutefois, pour donner aux spectateurs montréalais un meilleur aperçu de la vitalité de la scène contemporaine européenne et américaine. Ainsi, on s’étonne qu’Udashkin, qui entretient de forts liens avec certains artistes torontois et avec le milieu anglophone, n’ait pas invité plus souvent d’artistes canadiens-anglais dignes d’intérêt, ou qu’il nous prive de ses connaissances de l’underground new-yorkais. Et pourquoi ne pas ouvrir le volet international à de jeunes artistes latino-américains? Puisque nous savons que l’Argentine, le Mexique et le Chili vivent une période stimulante grâce à une nouvelle génération de comédiens particulièrement dynamiques, l’initiative aurait de quoi réjouir les spectateurs montréalais. Soyons patients, néanmoins, car les fonds sont minimes, et l’accueil de compagnies étrangères n’est pas une mince affaire pour un modeste diffuseur comme La Chapelle. Mais il va de soi que c’est une voie d’avenir. Souhaitons que les organismes subventionneurs reconnaissent cette particularité du directorat d’Udashkin et lui donnent les moyens de poursuivre dans cette direction.


C’est la persistance à rejeter les règles de l’industrie culturelle qui caractérise le plus fortement la direction artistique de Jack Udashkin. 


Faire fi de l'industrie culturelle

C’est un théâtre empreint de contemporanéité et d’interdisciplinarité, sur lequel souffle un doux vent de rébellion et de jeunesse. Mais plus encore que ces quelques considérations esthétiques, c’est la persistance à rejeter les règles de l’industrie culturelle qui me semble caractériser le plus fortement la direction artistique de Jack Udashkin. La Chapelle, en effet, ne cherche pas à plaire coute que coute, du moins pas à un public en particulier (une tendance forte parmi les scènes établies, qui obéissent là à des dictats du Conseil des arts). Udashkin cultive un gout pour le radicalisme, les artistes sans compromis, le rejet de la tradition et la recherche de la nouveauté, sans se soucier de créer une homogénéité ou de répondre aux attentes d’un public préidentifié. C’est un théâtre éclectique, bigarré, qui entend témoigner de notre monde d’une manière éclatée, complexe—puisque ce monde, selon une vision postmoderne, est de plus en plus complexe et insaisissable. Udashkin y arrive en favorisant différentes formes d’art et différents angles d’approche, ainsi que par le biais de cultures, de langues, de rythmes divers. Or, même si ces quelques principes d’action sont loin d’être révolutionnaires, on les rencontre de moins en moins souvent sur nos planches en proie à la Disney-ification.

Dans sa théorie des industries culturelles, Theodor Adorno ne considérait pas le spectacle vivant comme une forme d’art obéissant aux mécanismes d’industrialisation, parce qu’il ne se consomme que dans l’immédiateté et qu’il ne peut pas être efficacement reproduit pour être ensuite distribué massivement sur un support abordable (comme la pellicule film, par exemple). Mais il est désormais admis que les exigences de rentabilité de l’art et la forte compétition entre les productions culturelles et le divertissement populaire ont forcé le théâtre à obéir à une logique marchande et à se développer en fonction d’un public avide de divertissement, qui paie sa place de théâtre en espérant en «avoir pour son argent».

Au Québec, la plupart des salles établies sont quasiment privées, et ne peuvent remplir totalement leur mandat de service public en favorisant un développement adéquat de la pratique théâtrale. Je n’ose pas les appeler «institutions», car ce mot désigne généralement, dans le monde du théâtre, des lieux de création nationaux entièrement soutenus par l’État. Les nôtres ne sont souvent subventionnés qu’à 30% ou à 40% de leur budget global et doivent prouver que leurs activités sont rentables pour avoir accès à ces subventions. Or, il est impossible de produire un théâtre national de haut niveau en étant subventionné à 30% et, dans ce contexte, tous les directeurs artistiques sont forcés de faire de plus en plus de compromis. On pourrait résumer succinctement la situation en disant que le théâtre québécois se privatise dangereusement, même si les attentes à son égard sont toujours celles dévolues à un théâtre public.

Pour mesurer l’ampleur du désastre, il suffit de lire les plus récents entretiens accordés par Lorraine Pintal à différents journaux. Tout en gardant le sourire, la directrice artistique du tnm confiait au quotidien La Presse son intention de programmer plus de «divertissements» dans les prochaines années pour éviter les déficits.

Voilà pourquoi, à son échelle, Jack Udashkin agit en éclaireur et donne une leçon de courage à ses homologues. Le risque, me direz-vous, est moins grand pour le diffuseur d’une salle de 100 sièges que pour un grand théâtre comme le tnm. Certes. Mais la pertinence des choix d’Udashkin demeure, et il n’y a pas de (bonne) raison pour qu’ils n’inspirent pas un peu les autres.


Après une formation en journalisme et d’interminables études théâtrales à l’UQAM, Philippe Couture n’a pas tardé à publier ses premiers textes dans l’hebdomadaire Voir et la revue Jeu, dont il est maintenant membre du comité de rédaction. Aujourd’hui chef de section Arts de la scène à l’hebdomadaire Voir Montréal, où il tient aussi un blogue de débats sur le théâtre et ses enjeux sociopolitiques, il a également publié dans les pages du quotidien Le Devoir et de la revue Liberté, tout en collaborant à la Première Chaine de Radio-Canada (radio et web).

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