Léa Stréliski: l’humoriste posée

Catherine Genest
Photo: Steven Peng
Publié le :
L’entrevue

Léa Stréliski: l’humoriste posée

On la reconnait à son accent sis quelque part entre le Québec et la France, à ses prises de position parfois risquées, mais toujours livrées avec un calme désarmant, sur un ton mi-figue mi-raisin, sans malveillance aucune. Entrevue avec Léa Stréliski, collaboratrice de Nouveau Projet 25.

Tu signes un texte dans Nouveau Projet 25 au sujet de la mort de Twitter—une fatalité (il me semble) que tu as du mal à accepter. Hormis tes 60 000 abonné·e·s qui désertent peu à peu la plateforme, qu’est-ce que tu perds avec la déconfiture de ce réseau social?

Je perds l’espoir que notre monde puisse appartenir à d’autres gens que des mégalomanes milliardaires à l’égo démesuré qui, avec leurs décisions prises sur un coup de tête, peuvent avoir un impact sur la vie de millions de personnes.


Ton premier livre, La vie n’est pas une course, commence par une rupture professionnelle, celle que tu as vécue avec ton ancienne agence, qui t’imposait un rythme de travail trop rapide. Que répondrais-tu à ceux et celles qui prétendent qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, surtout quand on évolue dans un domaine aussi compétitif que celui de l’humour, au Québec?

Je répondrais que les artistes ne sont pas des athlètes. Y a rien à gagner, à part la satisfaction de mourir en sachant que tu t’es mis au monde. Rien de ça ne viendra vite, rien de ça ne viendra parce que tu te sens meilleur qu’un autre. La compétition est un piège qui nous amène à nous développer en fonction d’objectifs extérieurs à nous. Le piège, c’est qu’une fois que tu as atteint un tel objectif, même adulé, tu te sens aussi vide qu’avant. 


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Tu as fait le saut dans ce monde-là sur le tard, en t’inscrivant à l’École de l’humour à 33 ans, alors que tu étais déjà maman trois fois et que tu travaillais comme rédactrice publicitaire. Qu’est-ce que ton père, publicitaire renommé et cofondateur de l’agence Cossette à Montréal (c’est pas rien!), a dit quand tu lui as annoncé que tu changeais de domaine?

Il a dit rien du tout. J’avais 33 ans, j’étais mariée, donc il avait déjà confié mon destin à quelqu’un d’autre. Sans blague, je suis arrivée en pub un peu par accident, j’ai jamais pensé que j’y ferais carrière. Et il aurait été mal placé pour dire quoi que ce soit, il a fait pareil. 

La compétition est un piège qui nous amène à nous développer en fonction d’objectifs extérieurs à nous. Le piège, c’est qu’une fois que tu as atteint un tel objectif, même adulé·e, tu te sens aussi vide qu’avant. 

La famille Stréliski m’impressionne. En plus de ton père, Jean-Jacques, qui est maintenant professeur associé aux HEC, ta sœur Alexandra est une pianiste très connue. À quoi ressemblent les soupers de famille chez vous?

À ceux de toutes les familles du monde. Avec des rires et des non-dits et des maladresses, de beaux moments et des moments difficiles. Je dirais que notre chance, c’est que nos parents s’aiment. Encore. Après des décennies. Dans le tumulte, ça reste un repère constant.


Ta vie sentimentale semble idyllique quand on lit La recette de l’amour, surtout au début, où il est question des prémisses de ta relation avec celui qui allait devenir ton mari. Quel regard portes-tu sur les filles hétéros de ton âge qui swipent sur Tinder ou Bumble et qui doivent composer avec la solitude?

On composait avec la solitude bien avant ça. Les applications ne sont qu’une manière de rencontrer quelqu’un (ou pas) de plus. Mais je pense que le chemin intérieur qui est à faire pour trouver l’amour reste le même.


À ton balado Dans ma semaine, tu as déjà dit que ta plus grande phobie était la guerre. Comment arrives-tu à préserver ton hygiène mentale (je sais que tu préfères ce mot à «santé») avec tout ce qui se passe actuellement en Ukraine et en Palestine, avec toutes les images qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels?

J’ai du mal, je l’avoue. Je suis obligée de bien m’entourer. D’amis, de collègues, de me concentrer sur ce que je sais me nourrit. Sinon, la possibilité de tomber dans une spirale de négativité est menaçante. Notre cerveau n’est pas fait pour absorber une aussi grande dose d’information par jour, je pense, et il faut faire bien attention à ce à quoi on s’expose. Lire, se renseigner, mais aussi rester bien branché sur le réel. Ne pas trop se perdre dans le virtuel est important, sinon ça n’a pas de fin et la dose de mauvaises nouvelles est trop grande. 


Pour aller plus loin

«Twitter est mort, on va où?», de Léa Stréliski, dans Nouveau Projet 25

À paraitre le 23 novembre

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