Denis Côté: le cinéaste affranchi

Catherine Genest
Photo: Lou Scamble
Publié le :
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Denis Côté: le cinéaste affranchi

Le réalisateur de Curling et Répertoire des villes disparues revient de loin, et c’est précisément ce qu’il raconte dans son essai à paraitre dans Nouveau Projet 28. En voici un avant-gout. 

Très souvent, les films que vous faites sont qualifiés de «pas pour tout le monde». C’est quelque chose qui vous fait rouler des yeux, quelque chose que vous abordez brièvement dans le texte que vous signez dans Nouveau Projet 28. Que répondez-vous à ceux et celles qui ont le culot de vous dire cette chose-là en pleine face? 

Je me suis habitué à être cantonné dans la catégorie floue du «cinéma pour intellos». Je sais que c’est faux, mais en même temps, c’est peut-être vrai qu’il faut une certaine éducation ou plutôt une fibre cinéphile pour les apprécier. 

Je pardonne vite aux quidams qui me le disent au visage, mais un peu moins aux médias qui sont vites sur la gâchette et qui cherchent à éloigner des gens curieux de mon travail. J’ai trop souvent lu que mon cinéma est «à prendre ou à laisser». Je trouve ça paresseux. 


Votre plus récent long métrage, Mademoiselle Kenopsia, semble raconter, de manière presque onirique, et assurément métaphorique, les derniers moments de votre vie avant la greffe. Pourquoi avoir choisi de transmettre vos idées par le biais de ce personnage, cette gardienne de sécurité qui, à priori, ne vous ressemble pas du tout? 

Je ne dirais pas que c’est un film autobiographique. Ce sont des idées flottantes qui semblent vivre en périphérie de ma condition à l’époque. Je ne parle jamais directement de moi dans mes films. Je préfère que ça donne l’impression de s’adresser à qui veut bien s’approprier le matériel. 


Ce qui est archi intéressant, aussi, dans ce récent film, c’est le choix du décor. J’ai lu quelque part que le personnage de Larissa Corriveau évolue notamment entre les murs du monastère des Sœurs adoratrices du Précieux-Sang, l’un des nombreux bâtiments à avoir été abandonnés par une communauté religieuse au Québec, ces dernières années. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre d’espace là?

J’étais très affaibli et je cherchais de grands lieux avec une âme, disponibles, pas trop loin de Montréal. Un collaborateur m’a conseillé d’aller visiter cet endroit qui appartient aujourd’hui à la Ville de Saint-Hyacinthe. 

J’ai trop souvent lu que mon cinéma est «à prendre ou à laisser». Je trouve ça paresseux. 

Je ne cherchais pas à donner un vernis religieux à mon film, mais comme je savais que j’allais esquiver ce sujet, j’ai décidé de l’utiliser. Un lieu reste un lieu. Si on veut le rendre abstrait, on peut, et je crois que nous l’avons fait.  Il cohabite d’ailleurs très bien avec un hôpital et une sorte de centre communautaire dans le film.  


Vous le racontez dans votre texte qui paraitra bientôt dans Nouveau Projet 28: Olivier Bill Bilodeau, votre «donneur», le bon samaritain qui vous a donné un rein (rien de moins), est un cinéphile lui aussi, le cofondateur du Festival de cinéma de la ville de Québec par ailleurs, mais aussi un grand fan de Star Wars et de Star Trek—ce que vous n’êtes pas du tout. Quels sont les films sur lesquels vous vous entendez?

(Rires) C’est une bonne question! C’est vrai que j’ai toujours taquiné Bill sur son amour du baseball, du prog rock, d’Elvis ou de Star Trek! Je viens d’un univers culturel underground, toujours à la recherche de bands ou de films obscurs, alors que Bill sait parfaitement bien embrasser une culture plus populaire. Il a une belle âme généreuse et il me parait toujours capable de trouver un émerveillement devant beaucoup de choses. 

Je suis différent, peut-être plus «contrarien» ou sombre. Il m’est arrivé quelquefois de l’entendre dire que tel ou tel film est excellent, et de lui répondre que j’étais clairement d’accord avec lui. (Rires) Mais c’est plutôt… occasionnel!  


On vous a conseillé de faire un documentaire sur votre greffe de rein, et vous avez refusé. Quel aurait été le synopsis de ce film qui n’existera probablement jamais?

J’aurais peut-être pu faire un film-essai ou quelque chose qui n’a rien d’un documentaire ou d’un reportage conventionnel. Mais j’ai beaucoup de mal à parler au «je» et à être présomptueux [au point de penser] qu’on peut intéresser les gens avec un truc finalement plutôt banal comme une greffe de rein. 

Je ferai donc un synopsis de film de fiction, que voici. 

Un désillusionné au bord de la dialyse flâne dans la sombre ville de Québec jusqu’à tomber sur un improbable prince qui lui offre une occasion impossible à refuser.   


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Ces jours-ci, votre grande amie Larissa Corriveau partage la scène avec Monique Miller, 90 ans. Maintenant que vous pouvez vous projeter dans le vieil âge, croyez-vous que vous serez de ces artistes nonagénaires qui continuent de créer? 

J’aimerais. Pourquoi pas? Mais je suis une personne très lucide et assez peu rêveuse.

La science m’annonce qu’un rein peut durer environ 25 ans, puis qu’il faudrait probablement en greffer un autre ensuite. Difficile d’imaginer étirer le conte de fées à ce point. Mais je reste à l’affut des prochaines merveilles de la science…


Pour aller plus loin

«Paysage dans le brouillard», de Denis Côté, Nouveau Projet 28

À paraitre le 21 novembre 2024

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