Les bélougas de Maryse Goudreau

Catherine Beau-Ferron
Photo: Nancy Guignard
Publié le :
Visages du Québec nouveau

Les bélougas de Maryse Goudreau

Depuis une dizaine d’années, l’artiste gaspésienne multidisciplinaire crée une œuvre consacrée au bélouga.

J’ai rencontré Maryse en son absence. Elle m’avait hébergée à la suite d’un évènement improbable et, à mon réveil, je me suis retrouvée seule dans sa vieille maison d’Escuminac, dans la baie des Chaleurs. J’ai passé la journée à errer, fascinée par les objets, par l’ambiance douce et recherchée, imaginant l’ampleur des travaux qui avaient permis d’en faire un endroit aussi vivant et soigné.

Un étrange cliché d’époque, représentant un groupe de jeunes femmes costumées et photographiées dans un décor boisé, avec chapeaux coniques et paniers tressés, trônait à l’étage. Sur le mur de son bureau, un autre, saisissant, de l’œil d’un bélouga grandeur nature.

J’ai lu d’une traite ses recueils Histoire sociale du béluga (2016) et La conquête du béluga (2020), qui retranscrivent des extraits choisis de 150 ans de débats politiques sur la préservation de ce mammifère marin présent dans l’estuaire du Saint-Laurent, avec de touchantes photos sous-marines glissées entre les pages. Dans le deuxième livre, une biologiste décrit la souffrance des bélougas maintenus en captivité, qui perdent non seulement leurs repères sonores, mais surtout la possibilité de foncer, à toute vitesse et dans toutes les directions, dans les immensités noires de la mer.

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Maryse m’a raconté ensuite son histoire d’amour avec ces créatures, qui remonte à son enfance. Dans sa cage d’escalier, une vieille affiche de sensibilisation à leur disparition imminente, artéfact de sa chambre d’adolescente, en témoigne.

J’ai revu Maryse quelques mois plus tard, dans son shack. J’y ai découvert une tout autre partie de son univers: un endroit plus rugueux, avec quelques vestiges du camp de chasse qu’il a été, mais aussi avec des bouquets de fleurs et des livres sur l’art et la cueillette sauvage. Le terrain alentour est parsemé de vieux arbres fruitiers dont elle tire, avec un collègue, un cidre délicieux.

Cette fois-là, je me suis régalée en l’écoutant me raconter des passages extraordinaires de son existence comme si c’était banal. «J’étais sur un voilier en Arctique», ou «ça, c’était quand je dormais dans une carrière à Shediac pour apprendre à tailler la pierre», ou encore «c’était un peu le chaos quand mes oies vivaient dans ma maison». Maryse est une artiste hybride, surprenante, au parcours incroyable. Le mot qui me vient est: entière.

Photos argentiques sur des quais gaspésiens, «miel de tank», installations sonores, anthologies littéraires, cétacés en pierre, décors et marionnettes low tech : tout cela se tient ensemble dans un édifice fragile et sensible. Elle y répertorie le drame et la beauté, le vivant et sa destruction, formant un socle de mémoire pour une suite plus douce, que l’on construirait ensemble sur les cendres encore fumantes des choses disparues.

On peut voir une partie de son travail en ligne, mais aussi dans une exposition jeunesse qui aura lieu du 28 avril au 22 juillet 2023 à la Galerie Foreman (2600, rue College, Sherbrooke, en Estrie). Il faut en tout cas rester attentif·ive·s puisque son nom peut surgir dans de nombreux environnements, en pleine forêt, au bord de la mer.

Maryse recommande...

Attendez que la migration des baleines passe la pointe de la Gaspésie à l’automne ou au printemps, puis faites une longue marche à Coin-du-Banc. Baignez-vous avec des bas de laine pour sentir le pouls de la mer et tenez-vous sur un cap avec des jumelles pour espérer apercevoir la beauté des Géantes en groupe.

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