Continuer à croire en la démocratie, au-delà du populisme
- Publié dans : Nouveau Projet 11
- Dossier : Croire
Continuer à croire en la démocratie, au-delà du populisme
Élection de Donald Trump, Brexit, montée de partis xénophobes un peu partout en Occident, multiplication de fausses nouvelles et autres «faits alternatifs»: ces phénomènes récents en amènent plusieurs à remettre en question la capacité même des électeurs à faire les «bons» choix. La démocratie est-elle malade du peuple?
La démagogie. Les conséquences de 40 ans de néolibéralisme. L’élection de Donald Trump et la campagne de Bernie Sanders. La supposée ère postfactuelle. La force de l’action collective et sa nécessité.
Le 2 octobre 2015, le titre de la chronique hebdomadaire de Dana Milbank dans le Washington Post prenait la forme d’un pari: «Trump va perdre, ou je mangerai cette chronique.» Face à l’accumulation de scandales sexuels comme financiers, à la multiplication des erreurs de communication et à la mise au jour de sévères divisions internes, le chroniqueur était convaincu—comme tout le monde dans les milieux branchés et progressistes—que la candidature de Trump à la primaire républicaine était aussi factice que son bronzage. Aussi vive que soit leur colère contre la classe politique traditionnelle, les électeurs de la droite ne voteraient jamais pour un bigot misogyne, écrivait-il en professant sa foi à l’égard du pragmatisme de l’électorat: «Ils n’ont aucune envie d’élire un perdant assuré. Et c’est ce que Trump est.»
En mai 2016, Trump remportait haut la main la nomination républicaine, et le chroniqueur mangeait une copie de son article dans une capsule vidéo humoristique. Une franche rigolade.
Avec le recul, les pitreries de Milbank sont un peu moins drôles, mais elles permettent de prendre la mesure du fossé qui sépare l’élite politicomédiatique de la classe moyenne américaine. Depuis la funeste soirée du 8 novembre 2016, journalistes, stratèges et commentateurs progressistes—bref, tous ceux qui se sont trompés—cherchent à comprendre pourquoi. Qu’un pays du «tiers-monde» élise un mégalomane narcissique et autoritaire est presque dans l’ordre des choses, mais comment expliquer que cela se produise dans la plus grande «république» au monde? La démocratie serait-elle en train de défaillir? Si oui, pourquoi?
Peu à peu, une réponse émerge: nous serions entrés dans «l’ère postfactuelle». La démocratie serait menacée par les fausses nouvelles, les mèmes et les billets de blogues malhonnêtes. Comme le faisait remarquer récemment l’auteur américain Evgeny Morozov, cette explication comporte un net avantage: elle exonère de toute responsabilité ceux qui l’ont formulée. L’idée selon laquelle l’élection de Trump serait due à une épidémie de fausses nouvelles a en effet l’avantage de conforter certains dans le sentiment de leur propre supériorité morale. Attribuant la victoire du vulgaire businessman à un déficit culturel, elle se combine généralement à une autre thèse explicative, qui voit dans le résultat du 8 novembre 2016 une révolte de rednecks, de hillbillies et autres racistes ignorants, bref, tous ceux qu’Hillary Clinton jetait dans son «basket of deplorables». Lorsqu’on perd une élection, blâmer l’ignorance des électeurs est un réflexe réconfortant, qui permet de ne pas avoir à remettre en question sa propre vision du monde. Et, dans le cas qui nous occupe, de faire l’économie d’une réflexion sur les causes profondes de la crise que traversent actuellement les démocraties occidentales.
Bien sûr, le racisme et l’ignorance existent, et ils ont joué un rôle dans l’élection de Trump. Les sondages effectués à la sortie des urnes montrent qu’une majorité de Blancs (58%) et d’électeurs peu scolarisés (54%) ont appuyé le candidat républicain, alors qu’une majorité d’Afro--Américains (88%) et d’hispanophones (65%) ont soutenu la candidate démocrate. Or, une telle répartition des électeurs n’a rien d’exceptionnel: selon ces mêmes sondages, les résultats de Trump au sein de l’électorat blanc sont les mêmes que ceux de Mitt Romney en 2012. Plus encore, chez les Afro-Américains et les Latinos, Trump a mieux fait que son prédécesseur républicain, gagnant sept et huit points respectivement. Bref, sans nier la prégnance du racisme chez nos voisins du sud, il est erroné d’attribuer spécifiquement l’élection de Donald Trump à cette réalité. Pire, mettre à l’avant-plan ce type d’explications contribue à occulter les causes profondes de la crise actuelle.
Le démagogue au teint orangé et ses électeurs ne sont pas tombés du ciel. Au lieu de s’émouvoir devant des mèmes nostalgiques de l’époque Obama, il faut comprendre que le 45e président est moins une menace pour la démocratie américaine que le signe que celle-ci est déjà en crise; il arrive après son effondrement bien plus qu’il ne le provoquera. Donald Trump récolte ce que 40 ans de néolibéralisme ont semé. En ce sens, son ascension est porteuse de leçons pour toutes les démocraties occidentales. Comment en est-on arrivé là?
La révolte des perdants
Toutes les analyses convergent: Donald Trump a déjoué les pronostics parce qu’il a réussi à mobiliser massivement la classe moyenne blanche. C’est en effet dans les districts ouvriers d’États comme le Michigan, le Wisconsin, l’Ohio et la Pennsylvanie—remportés haut la main par Obama en 2008 et 2012—que la performance de Trump a été la plus surprenante. Dans ces régions durement touchées par les délocalisations des dernières décennies, la défection des salariés blancs a été fatale à Hillary Clinton. Parce qu’ils ont confondu l’importance que prenait la question raciale dans leur propre campagne avec l’importance réelle de cet enjeu pour les électeurs de la classe moyenne, les stratèges démocrates n’ont jamais vu le coup venir: l’idée que le candidat républicain puisse rallier massivement des votes qu’Obama avait récoltés (à deux reprises!) leur apparaissait farfelue.
Si on met de côté la question raciale, il existe pourtant de nombreuses similitudes entre les campagnes d’Obama et celle de Trump. C’est en effet en critiquant l’influence de Washington et en incarnant l’espoir d’un changement de cap significatif qu’Obama a accédé au pouvoir, puis c’est en se positionnant comme le défenseur de la classe moyenne et en dépeignant son adversaire de 2012, Mitt Romney, comme un ploutocrate complice de la délocalisation des emplois qu’il s’y est maintenu, coalisant ainsi le vote des salariés blancs du nord et celui des minorités.
Ceux qui voient dans l’élection de Trump un «Whitelash» contre la présidence d’Obama n’ont donc qu’à moitié raison: il y a bel et bien un lien entre les 44e et 45e présidents, mais celui-ci a davantage à voir avec l’action—ou plutôt l’inaction—du premier en matière économique. Car à cet égard, en dépit de ses promesses et malgré un contexte extraordinairement favorable—l’ubris des spéculateurs venait tout juste de provoquer la perte de dizaines de millions d’emplois et la saisie de millions de maisons—, Barack Obama a choisi de rester fidèle à une tradition démocrate inaugurée par Bill Clinton: le renoncement.
Cela a commencé très tôt dans son mandat, alors qu’il contrôlait encore les deux chambres du Congrès, le Sénat et la Chambre des représentants. En mars 2009, les hauts placés de Wall Street ont été convoqués à la Maison-Blanche. Ils sentaient la soupe chaude. Comme l’un d’eux le confiera au journaliste Ron Suskind quelques années plus tard, ils craignaient que le nouveau président ne se serve de sa légitimité fraichement acquise pour sonner la fin de la récréation: «Nous étions vraiment vulnérables face au président. À ce moment, il aurait pu exiger à peu près n’importe quoi et nous n’aurions eu d’autre choix que d’obéir.» Leurs inquiétudes s’avérèrent cependant infondées: «Il ne l’a pas fait. Il nous a seulement demandé de l’aider à calmer la population.»
Huit ans plus tard, pour une majorité de salariés américains, la récession se poursuit: les salaires n’ont pas bougé et le revenu médian se situe toujours sous son niveau de 2007. Les inégalités sociales continuent de se creuser. Jusqu’en 1980, selon les économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez, près de 70% de la croissance du revenu national retournait dans les poches de ceux qu’on peut raisonnablement appeler «le peuple américain» (90% des ménages). Depuis 1997, ce pourcentage est descendu à zéro: les 10% des plus riches ont littéralement monopolisé la croissance du revenu national. Pire encore, durant les trois premières années de la «reprise» pilotée par Obama, le 1% des plus riches Américains a capturé 91% de la croissance du revenu national. Ainsi, si une majorité d’Américains (56%) jugent que l’économie de leur pays a décliné ou fait du surplace durant le règne Obama, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont intoxiqués par des «faits alternatifs» provenant de Fox News, mais bien parce que, dans leur vie quotidienne, rien n’a changé. L’économie américaine roule dorénavant sans que ses salariés en bénéficient, et ils sont de plus en plus nombreux à s’en rendre compte.
Ce sont les perdants de 40 ans de mondialisation néo-libérale qui ont mis au pouvoir Donald Trump. Cela faisait longtemps qu’un acteur politique ne s’était pas adressé aussi directement à eux. Le mouvement syndical, véhicule historique de leurs intérêts et lieu important de politisation, a pratiquement disparu du secteur privé. Au sein de la nouvelle «gauche radicale», on parle d’eux comme des bigots privilégiés et sous-éduqués. Les «New Democrats», convaincus depuis l’ère Clinton que leurs fortes majorités chez les professionnels et les minorités les maintiendront au pouvoir éternellement, gouvernent pour leurs copains de Silicon Valley et de la haute finance. À droite, les néoconservateurs, issus d’un curieux pacte entre conservateurs sociaux et libertariens économiques, n’en ont que pour la défense du contribuable, à condition que celui-ci adhère au libre-échange et renonce à la sécurité sociale, à l’assurance médicale et aux hausses de salaire.
En se présentant sous le signe d’un changement radical et en décrivant ses adversaires, républicains autant que démocrates, comme des disciples du consensus libre-échangiste ayant mis à mal l’économie américaine, Trump a renversé l’échiquier. Sa campagne—alliant nationalisme exacerbé, appels à l’insécurité et propositions modérées sur le plan social (pensons à ses promesses de ne couper ni la sécurité sociale ni l’assurance maladie)—était conçue sur mesure pour répondre aux frustrations de ceux qui se considèrent comme des «gens ordinaires». Les sondages de sortie des urnes sont clairs sur les raisons qui les ont poussés à appuyer Trump: 83% d’entre eux ont déclaré que le premier critère ayant guidé leur vote était la capacité du candidat à «provoquer un changement nécessaire». Fait révélateur, un électeur sur cinq ayant voté pour Trump a déclaré avoir une mauvaise opinion de lui! Cela en dit beaucoup sur l’état d’esprit de ceux qui l’ont mis au pouvoir: leur colère flirtait avec le désespoir.
Donner de l’espoir
Il faut prendre le temps de comprendre les raisons derrière l’ascension de Trump, puisque fondamentalement, le phénomène n’est pas propre aux États-Unis de 2016. Ne nous trompons pas, la forme spectaculaire et grotesque qu’a pris sa campagne—coiffures improbables, bronzage artificiel, démonstrations ostentatoires de richesse, mythe de l’homme d’affaires providentiel—n’est que la sauce américaine avec laquelle on sert un plat dont la recette est déjà bien connue dans la plupart des démocraties occidentales: un savant mélange de patriotisme nostalgique et de critique de la classe politique traditionnelle s’appuyant sur l’insécurité sociale et économique. C’est la soupe qu’a servie avec succès le camp pro-Brexit au Royaume-Uni, et c’est celle que mijote Marine Le Pen en France, mais aussi Geert Wilders aux Pays-Bas, Viktor Orbán en Hongrie, l’UKIP au Royaume-Uni, sans oublier le fpö autrichien—qui a frôlé le pouvoir en décembre dernier—et bien d’autres encore (en Belgique, au Danemark, en Norvège, en Suisse, en Italie, etc.).
Ces forces politiques ont leurs particularités, mais elles ont aussi beaucoup en commun. L’efficacité de leurs discours clivants est liée au déclin d’une classe moyenne qui, contrairement aux cadres supérieurs et aux membres des professions libérales, n’a jamais profité (ni économiquement ni culturellement) des bénéfices de la mondialisation. Les démocraties occidentales sont certes malades, mais pas parce que les réseaux sociaux donnent une voix aux «déplorables». Comme le montre de manière exemplaire la montée de Trump, les partis xénophobes connaissent du succès dans la mesure où ils articulent une réponse identitaire aux effets du néolibéralisme. Plus précisément, c’est leur procès féroce de la classe politique traditionnelle, la manière dont ils se positionnent en outsiders en mettant dos à dos les partis traditionnels de gauche et de droite qui font mouche auprès du salarié blanc moyen.
Si cette rhétorique fonctionne, ce n’est pas parce que les gens sont ignorants ou mal informés, mais au contraire parce qu’ils connaissent par cœur l’élite qui se partage le pouvoir depuis les années 1980. En jetant sociaux--démocrates et conservateurs dans le même panier, les nouveaux déma-gogues mettent le doigt sur un phénomène réel: dans la plupart des démocraties occidentales, depuis 40 ans, l’alternance entre partis de gauche et de droite n’a rien changé à la trajectoire globale des sociétés (augmentation des inégalités, précarisation du marché du travail, insécurité, etc.). En Europe comme aux États-Unis, le tournant social--libéral des grands partis de gauche—voire, dans le cas du Parti travailliste de Tony Blair et des démocrates de Bill Clinton, leur conversion totale au néolibéralisme—a créé, sur les enjeux économiques, un consensus quasi total au centre-droit de l’échiquier politique. C’est l’incapacité des partis politiques traditionnels à incarner une réelle solution de rechange à l’ordre existant qui a créé le vide politique dans lequel s’engouffrent Trump, Boris Johnson, Le Pen et cie. C’est aux États-Unis que cette alternance quasi mécanique entre néolibéraux progressistes et conservateurs a atteint son sommet: «Puisqu’on les a tous essayés, pourquoi pas une star de téléréalité?»
C’est du néolibéralisme et de ceux qui l’ont mis en place qu’est malade la démocratie, pas de l’ignorance du «peuple». Encore une fois: les forces politiques autoritaires et xénophobes qui montent sont moins une menace à la démocratie que le résultat d’une démocratie déjà en crise de légitimité et de confiance. Comme l’a montré une étude récente de Ipsos Global Advisor, trois décennies d’augmentation des inégalités, de précarisation et de copinage politique ont eu des effets dévastateurs sur la confiance des citoyens à l’égard des institutions: une majorité de Français (61%), d’Italiens (60%) et d’Espagnols (56%), par exemple, sont convaincus que leur vie est moins bonne que celle de la génération précédente. Ce n’est donc pas un hasard si, dans ces mêmes pays, le taux de méfiance envers les gouvernements atteint des sommets (89% en Espagne, 80% en Italie et 77% en France). Le portrait est semblable dans toutes les démocraties européennes: la perception d’un déclin du niveau de vie marche main dans la main avec la défiance vis-à-vis de la classe politique et les institutions démocratiques.
- Une assemblée populaire, lors de la tournée Faut qu’on se parle.Photo: Mario Jean / Madoc
La défiance à l’égard des institutions et de la classe politique s’enracine dans un sentiment plus profond: celui d’être impuissant face à son sort et à celui de ses semblables.
La défaite cuisante de Hillary Clinton devrait servir de leçon: on ne renversera pas cette tendance en faisant la morale aux gens. Les forces démagogiques et autoritaires qui montent répondent (certes de manière perverse et mensongère) à une volonté de changement qui n’est ni irrationnelle ni fondée sur l’ignorance. En jouant avec des mécanismes d’exclusion inacceptables, elles accomplissent néanmoins quelque chose dont les partis traditionnels ne sont plus capables: donner de l’espoir.
Ce n’est donc pas du «peuple» qu’il faut désespérer, ni du fait que les réseaux sociaux donnent la parole à ses éléments les moins instruits, et encore moins de la démocratie elle-même. Pour contrer ceux qui proposent de tout régler grâce à leur force de caractère ou la taille de leur fortune, il faut aller au-delà du clivage entre «peuple» et «élites» qui obsède tant de commentateurs libéraux. Ce qui caractérise la crise actuelle, c’est bien sûr la défiance à l’égard des institutions et de la classe politique, mais cette défiance, on l’a montré, s’enracine dans un sentiment plus profond: celui d’être impuissant face à son sort et à celui de ses semblables. On ne sortira donc de la crise actuelle qu’en s’appuyant, non pas sur l’élitisme moralisateur qui a caractérisé les partisans de Clinton durant la campagne de 2016, mais sur son exact inverse: la puissance de l’action collective, réel oxygène de la vie démocratique.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si en parallèle de Donald Trump a émergé la figure de Bernie Sanders. La popularité de l’iconoclaste sénateur du Vermont, qui a tout de même remporté la primaire démocrate dans 23 États et totalisé 13 millions de votes, démontre qu’il est possible de mettre d’autres visages et d’autres noms sur la détresse sociale qui menace actuellement les démocraties occidentales.
Les analystes ont beaucoup insisté sur la proximité—purement rhétorique—entre les critiques virulentes de Trump et de Sanders contre la classe politique traditionnelle. Les mêmes préjugés hautains étaient utilisés pour les discréditer: leur popularité n’était-elle pas, chacune à leur manière, le fruit d’une révolte adolescente et immature?
La critique des élites a bien sûr joué un rôle dans la popularité surprenante de Sanders. Néanmoins, le danger de surévaluer son importance est bien réel, car sa campagne a mobilisé des affects politiques différents de ceux de Trump. Ce dernier appliquait la stratégie populiste classique, que l’on connait depuis que Platon a fait dire à Socrate que la forme dégradée de la démocratie était la tyrannie des plouto-crates. Se positionnant en homme providentiel, Trump appelait les Américains à lui accorder leur pleine confiance. Lui seul, répétait-il frénétiquement, était en mesure de «réparer le système».
Rien n’est plus éloigné de la stratégie du sénateur socialiste, qui reliait toujours sa critique de l’élite à l’importance de l’action collective. Au-delà du prisme facile opposant «bon peuple» et «méchantes élites», Sanders insistait constamment—cela lui a d’ailleurs valu plusieurs caricatures—sur l’idée selon laquelle c’était ensemble qu’il était possible de transformer la société. Dans l’un de ses discours les plus célèbres, le candidat aux primaires du Parti démocrate déclarait ainsi que «quand nous nous unirons pour exiger que ce pays soit au service de tous plutôt que d’une minorité, nous transformerons l’Amérique. Voilà la raison d’être de cette campagne: rassembler les gens».
Certains ont raillé le ton fleur bleue et simpliste des discours de Sanders. Ce genre de phrases contient pourtant l’une des clés permettant de comprendre le succès de sa campagne: celle-ci s’appuyait bel et bien sur la colère des gens, mais en insistant sur l’action collective plutôt que sur ses capacités personnelles à régler la situation, il l’a canalisée vers une mobilisation sociale à caractère démocratique. Plutôt que de nourrir le fantasme populiste de l’homme tout-puissant prenant les choses en main, il a alimenté l’idée résolument démocratique selon laquelle c’est l’action collective, à l’intérieur et à l’extérieur des institutions, qui suscite des changements sociaux significatifs. Ce faisant, Sanders a contribué à renforcer les mœurs démocratiques plutôt qu’à les affaiblir. Trump réclamait un chèque en blanc à une foule qu’il considérait comme des consommateurs passifs. Sanders a enjoint ses partisans à investir massivement le terrain de l’action politique—institutionnelle et «citoyenne»—afin de transformer la société.
Il y a dans cette mobilisation une piste à suivre pour sortir de la crise actuelle. Une solution qui, fondamentalement, s’appuie moins sur l’opposition entre «peuple» et «élite» que sur la dichotomie entre l’impuissance individuelle et l’action collective. Ce n’est pas un surplus de démocratie qui nous a menés dans la situation actuelle, mais un manque de démocratie. Les démagogues s’appuient sur le mythe de la toute-puissance de l’individu exceptionnel. Le remède démocratique à leurs funestes propositions repose sur la démonstration de la force du collectif.
Militant politique et auteur, Gabriel Nadeau-Dubois est titulaire d’une maitrise en sociologie de l’Université du Québec à Montréal. Son premier essai de pensée politique, Tenir tête (Lux Éditeur), a été salué par la critique et lui a valu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2014. Il est l’initiateur du mouvement citoyen Faut qu’on se parle, qui a donné lieu à un livre, Ne renonçons à rien, aussi publié chez Lux Éditeur. Il sera le candidat de Québec solidaire à l’élection complémentaire dans le comté de Gouin.