Cultiver l’avenir

Gabrielle Lisa Collard
Photo: Nancy Guignard
Publié le :
Transition

Cultiver l’avenir

L’équipe maraichère de la Ferme aux petits oignons revalorise la place de l’agriculture dans la communauté.

Située dans la vallée de la rivière du Diable à Mont-Tremblant, la Ferme aux petits oignons propose différentes formules d’abonnement à des paniers hebdomadaires de fleurs, de légumes et de fruits certifiés Ecocert Canada. Avec ses quatre points de chute répartis entre Saint-Sauveur et Mont-Tremblant, la coopérative nourrit chaque année près de 1000 familles des Laurentides, de la fin mai à la fin octobre.

Agronome et directrice générale de la ferme, Véronique Bouchard n’était nullement prédestinée à l’agriculture. Originaire de la banlieue de Québec et fille de fonctionnaires, celle qui se décrit à la blague comme une «agronome de l’asphalte» est tombée amoureuse de la terre durant un stage agricole en France. «Ce mode de vie, se souvient-elle, a été une révélation pour moi. Les légumes, les vaches poilues, les ventes directes sur les marchés… Je suis quelqu’un qui a un grand besoin d’être dans l’action, et l’agriculture me permet de canaliser mon indignation face aux iniquités sociales et aux enjeux environnementaux de manière très concrète.»

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À l’hiver 2011, après quelques années à se faire la main sur une ferme thérapeutique pour personnes ayant une déficience intellectuelle et qui était implantée sur des terres louées, Véronique et son partenaire de l’époque font l’acquisition d’un premier lopin de quatre hectares à Mont-Tremblant, pour lequel il et elle se présentent devant la Commission de protection du territoire agricole du Québec. Après avoir vu son dossier refusé une première fois—la CPTAQ étant généralement défavorable au morcèlement des terres agricoles—, le couple obtient gain de cause, créant par le fait même un précédent juridique qui a pavé la voie à l’acquisition de superficies agricoles par d’autres fermes de plus petite envergure.

Les premières années, aussi gratifiantes que difficiles, se sont déroulées sous le signe du «travail acharné» et de ce que la maraichère décrit comme une totale absence de frontière entre son métier et sa vie personnelle. «Quand on a l’espace, on peut faire de l’agriculture avec très peu d’équipement, dit-elle. Mais c’est énormément de jus de bras, et la conciliation travail-famille n’existe tout simplement pas. Démarrer une ferme, dans mon cas, a signifié travailler la veille et le lendemain de mes accouchements!»


Nouveau départ

En 2019, à la suite de sa séparation, Véronique rachète les parts de son ancien conjoint, avec une idée en tête: faire de la Ferme aux petits oignons une coopérative de solidarité. Loin d’être une simple structure juridique, la coopérative représentait pour elle un tout nouveau paradigme—idéologique et logistique—basé sur la confiance, l’entraide et la poursuite d’une mission commune.

En novembre dernier, après avoir exploré différentes méthodes de gestion alternative, Véronique et son équipe de 15 travailleur·euse·s confirment leur choix et, en février, ils et elles procèdent au grand changement.

«Le modèle coopératif, dit Véronique, nous sort du paradigme employeur-employé basé sur la méfiance et le contrôle. Chacun d’entre nous contribue à sa façon et on est tous là parce qu’on veut y être. Ce qui nous rassemble, c’est la mission: prendre soin de la terre, la préserver pour les générations futures et contribuer au bienêtre de la communauté, des membres et de l’équipe de travail. Plutôt que de se trouver dans un rapport de force entre le producteur et le consommateur, on nourrit un rapport collectif centré sur le désir commun de protéger notre garde-manger.»

L’agronome ne mâche pas ses mots: l’agriculture québécoise vit une crise sans précédent qui menace nos réserves de nourriture et qui nous forcera tôt ou tard à changer de paradigme. Travaillant dans une industrie où les frais d’exploitation sont particulièrement élevés, les producteur·trice·s agricoles d’ici sont incapables d’atteindre leurs objectifs économique et ils voient leur santé financière et mentale se détériorer année après année. «Les fermes qui atteignent leurs objectifs financiers se font reprocher leurs pratiques, et celles qui priorisent les pratiques éthiques se font reprocher leurs prix, lance-t-elle. Personne n’y arrive, personne n’est heureux.»

  • Véronique Bouchard
    Photo: Nancy Guignard

Sur le papier, la Ferme aux petits oignons répond à certaines des plus grandes inquiétudes de notre époque en proposant un modèle indéniablement inspirant. Son succès, toutefois, dépendra directement de l’implication des résident·e·s, des municipalités et des organismes qu’elle espère bientôt compter parmi ses membres. En phase avec les valeurs d’un nombre grandissant de consommateur·trice·s qui, à défaut d’exploiter leur propre ferme d’autosuffisance, achètent des aliments bios, éthiques et locaux, la coopérative offre une occasion d’investissement à haut rendement social et environnemental. L’adhésion, qui coute 1000$, permet aux membres de contribuer à la pérennité d’un projet correspondant à leurs valeurs, de s’impliquer activement dans les démarches décisionnelles démocratiques de la ferme et de développer une plus grande autonomie alimentaire pour leur famille et leur communauté.

«Au Canada, conclut Véronique Bouchard, 58% des aliments sont gaspillés. On est très déconnecté de notre terre et de ce qui pousse chez nous.  Pendant que tout le monde capotait sur le prix de la laitue à neuf dollars la pomme, personne ne parlait du chou, bien moins cher, largement disponible et tellement nutritif.»

L’avenir de l’agriculture, pour elle, se trouve dans la création de systèmes agricoles qui nous permettront de reprendre un certain pouvoir sur notre alimentation, de nous défaire de l’emprise des banques, de la technologie et des mégacorporations qui la détiennent, et de plonger les deux mains dans la terre avec respect et intention.

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En plus, c’est prouvé: les coops ont un taux de survie 2,5 fois plus élevé que les entreprises traditionnelles du monde agricole, à qui on octroie pourtant la majeure partie du financement. «Au-delà du profit, philosophe Véronique, il y a la connexion, l’innovation, la générosité et le bonheur d’exercer son métier. Ça aussi, ça compte. Quand on se projette dans l’avenir, est-ce qu’on a envie qu’il ressemble à WALL·E, ou bien à La belle verte

D’autres initiatives locales pour la transition


J’arrive Laurentides

J’arrive est une application de covoiturage desservant le territoire des Laurentides depuis 2022. Répondant à un besoin criant dans la région, où plusieurs automobilistes se déplacent sur de longues distances quotidiennement pour aller au travail, l’application soutient l’adoption de comportements responsables et la réduction des GES, tout en apportant un complément à l’offre plutôt limitée de transport collectif.


  • Photo: Nancy Guignard

Les Serres de Clara

Fondé en 1991, ce projet de jardinage collectif a pour mission d’assurer l’accès à des fruits et des légumes frais aux familles de Saint-Jérôme aux prises avec l’insécurité alimentaire. Les participant·e·s obtiennent des aliments en échange de leur implication au jardin. Les Serres proposent également des activités de formation, notamment d’éducation culinaire, en plus de soutenir les initiatives locales, comme la création de cuisines collectives, et d’offrir une aide alimentaire de dernier recours.


  • Photo: Laurentides j’en mange

Le marché d’été de Val-David

Chaque année depuis l’an 2000, de la fin mai à la fin octobre, plus de 50000 personnes se rendent tous les samedis matins dans le village pittoresque de Val-David pour y vivre l’expérience gastronomique de son célèbre marché d’été. Réunissant une quarantaine de producteur·trice·s de viande et volaille, de fruits et légumes et d’une multitude de produits du terroir, le marché a reçu en 2022 l’accréditation Marché de la Terre remise par l’organisme Slow Food. C’est l’un des marchés publics les plus importants au Québec, et il a pour mission de mettre en valeur l’économie locale et les aliments de saison, offerts à un juste prix et issus d’un processus respectueux de l’environnement et des travailleur·euse·s.

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